Partager la publication "Christophe Cassou : “Notre scénario tendanciel nous place sur une trajectoire de +3 °C à la fin du siècle”"
Arte.tv diffuse à compter de ce mardi 8 novembre une série-documentaire intitulée “Un Monde Nouveau”. Écrite et racontée par Cyril Dion, elle a été réalisée par Thierry Robert. Il s’agit d’une enquête en trois volets qui questionne les raisons de notre échec à lutter contre le dérèglement climatique, s’intéresse aux mouvements de résistance et part à la rencontre de celles et de ceux qui font concrètement bouger les choses, que ce soit à l’échelle d’une région ou d’un pays.
Parmi eux, le climatologue Christophe Cassou intervient dans le premier volet de cette série. Dans le premier épisode, Résister, que vous pouvez découvrir en intégralité ci-dessous, il intervient pour expliquer comment, avec l’aide des supercalculateurs de Météo France, il parvient à mesurer les évolutions du climat et modéliser les bouleversements climatiques qui commencent à secouer notre planète. À l’occasion de la sortie de ce documentaire, WE DEMAIN l’a interviewé. Découvrez l’entretien sous la vidéo.
WE DEMAIN : Vous êtes directeur de recherche au CNRS et un des principaux auteurs du 6e rapport du GIEC. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre travail ?
Christophe Cassou : Au sein du Cerfacs (Centre Européen de Recherche et de Formation Avancée en Calcul Scientifique) et de Météo France, je travaille avec d’autres scientifiques pour modéliser les bouleversements climatiques. Nos recherches ont permis d’établir que le dérèglement climatique est la conséquence directe de l’activité humaine. Maintenant, il y a trois types de scénarios pour l’avenir : le scénario du laisser-faire, le scénario tendanciel et le scénario sobre. Avec le premier, on part sur des niveaux de réchauffement extrêmement élevés. Depuis 4-5 ans, on a décroché de ce scénario du laisser-faire. Pour autant, nous ne sommes pas du tout sur un scénario sobre. Nous sommes sur des trajectoires qui sont incompatibles avec l’Accord de Paris qui vise à conserver le réchauffement climatique bien en dessous des 2 °C et, de manière optimale, autour des 1,5 °C.
Alors où en est-on en termes de trajectoire ?
Notre scénario tendanciel nous place sur une trajectoire de réchauffement climatique de +3 °C à la fin du siècle. On a décroché des trajectoires qui misent sur un réchauffement de +4 ou 5 °c mais cela reste encore dans le domaine des possibles. Actuellement, les mesures incrémentales mises en place (moteurs électriques, isolation des maisons…) portent un peu leurs fruits mais il n’y a pas de transformation structurelle et collective. Et sans cela, on ne pourra pas aller beaucoup plus loin que les mesures prises jusqu’à aujourd’hui. Il faut s’engager vraiment vers cette transformation structurelle et systématique dans tous les secteurs et de manière immédiate. Il faut comprendre qu’on est quand même plus près du scénario chaud que du scénario de l’Accord de Paris.
Pensez-vous que les phénomènes de chaleur et sécheresse qu’on a pu vivre cet été vont faire réfléchir les gens ?
On verra dans quelques mois mais cet été a été vraiment emblématique du réchauffement climatique. L’été que nous avons eu est celui que l’on aura tous les étés en 2050 selon le scénario tendanciel. On arrive à un réchauffement de 2 °C vers le milieu du siècle. On a été touchés par l’ensemble des risques anticipés dans un climat qui change : les extrêmes chauds avec un excès de mortalité, les impacts désastreux sur les écosystèmes (souffrance des arbres, souffrance des écosystèmes marins), l’effondrement des rendements agricoles, les pénuries d’eau, les incendies, les inondations à cause des orages diluviens…
La dernière chose qu’on n’a pas encore cochée cette année, ce sont les submersions marines. C’est-à-dire une tempête combinée à une marée haute qui fait que les côtes sont touchées. Mais l’année n’est pas finie ! Enfin, tout ça pour dire que le réchauffement climatique n’est pas un horizon lointain et cela participe à une prise de conscience.
Et le mois d’octobre bien plus chaud que la normale n’a rien arrangé…
On est dans la continuité logique. Cet été est un marqueur du changement climatique et cet automne confirme les anomalies de températures. Mais les dynamiques sont un peu différentes. On est dans une phase critique, en particulier au niveau de la sécheresse, car il faut absolument qu’il pleuve pour que la recharge des nappes se fasse cet hiver pour qu’on ait à nouveau de l’eau l’été prochain. En 2022, on est partis sur des réserves déjà basses en début d’année mais là, elles sont extrêmement basses donc repartir une autre année comme ça, notamment dans le sud-ouest, la situation va devenir extrêmement critique. Il va y avoir des tensions sur la ressource en eau à tous les niveaux, y compris sur l’eau potable.
On a déjà eu cet été quelques villages dans l’Est de la France approvisionnés par des camions-citernes. Imaginez la ville de Toulouse dans le même cas… c’est pas possible. Il est souhaitable qu’on ait un hiver pluvieux. Pour l’heure, on voit un automne plutôt sec et il est encore trop tôt pour avoir des prévisions jusqu’au bout de l’hiver. Mais ce qui compte pour la ressource en eau, c’est le bilan, ce qui reste, entre les précipitations, ce qui s’évapore et ce qui ruisselle. Or toute augmentation de température fait évacuer l’évaporation. Et avec le début d’automne chaud que nous avons eu… ce n’est pas une bonne nouvelle.
Est-on arrivé à un point de bascule ?
Non, il faut différencier globalement et localement. Localement, en France, on aura encore des années qui vont rentrer dans les clous. Comme en 2021 qui était dans la norme, par exemple. Il est probable que l’été sera moins chaud l’an prochain par rapport à 2022 qui est rare. Mais cet exceptionnel va devenir la norme en 2050. Cela va donc devenir de plus en plus fréquent.
Et notre région du monde n’est pas celle qui souffre le plus du réchauffement climatique…
En effet, on peut prendre en exemple les terribles inondations au Pakistan, la forte sécheresse dans la Corne de l’Afrique… Pour eux, c’est la double peine car ce ne sont pas, et de loin, les principaux pollueurs dans le monde mais ce sont les premières victimes. À date, les pays les plus émetteurs sont les pays les moins touchés. L’Europe, par exemple, bénéficie encore d’une variabilité naturelle du climat. Celle-ci cache un peu l’influence humaine sur le réchauffement climatique. Ce n’est pas le cas dans d’autres régions du monde, comme en Afrique où la hausse des températures devient tellement forte qu’elle émerge clairement.
Concernant votre travail dans le cadre du GIEC, quelles sont les prochaines étapes ?
Nous sommes au début des discussions sur le futur 7e cycle, parallèlement à la préparation du rapport de synthèse du 6e cycle qui sortira au printemps 2023. Des discussions on été lancées au sein de notre communauté scientifique sur les prochaines modélisations climatiques [Coupled Model Intercomparison Project ou CMIP, ndlr]. Nous devons coordonner nos expériences dans le cadre du Programme mondial de recherche sur le climat [WCRP en anglais, ndlr]. Ce sont des calculs très complexes qui prennent du temps. La dernière modélisation a nécessité 5 ans de travaux. Il faut se mettre d’accord sur les mêmes expériences et faire tourner les modèles. Ensuite, il faut les analyser, partager les résultats entre nous puis écrire les papiers. Et enfin évaluer le rapport par les auteurs du GIEC.
Nous voulons aussi revoir un peu la structure des rapports du GIEC pour fournir des rapports plus réguliers et sur un sujet précis. Par exemple, nous aimerions aborder la question des enjeux climatiques liés aux villes et à leur biodiversité.
La série documentaire “Un Monde Nouveau” est disponible sur arte.tv du 8 novembre 2022 au 13 mai 2023. Elle sera diffusée à la télévision sur Arte, mardi 15 novembre 2022 à 20h50. Et sera disponible en DVD chez Arte Éditions le 22 novembre 2022.
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