Partager la publication "Covid, couvre-feu, confinement… Et si nous profitions de cette période pour hiberner ?"
Cet article a initialement été publié dans le numéro 31 de la revue WE DEMAIN, sorti en kiosque en août 2020
Près de huit semaines entre quatre murs, comme des lions en cage, épuisant une à une les sources de distraction et guettant, moral fébrile et œil las, l’extérieur interdit… Pour beaucoup, le confinement printanier fut une gageure, physique et psychologique. Et si, au lieu du lion, la solution eut été d’imiter une autre bestiole poilue qui, lorsque l’horizon s’obscurcit, préfère se rouler en boule, fermer les yeux et attendre avec flegme les jours meilleurs ? Et si nous apprenions à hiberner comme des ours ?
L’idée fleure bon la science-fiction, et pourtant… Depuis une dizaine d’années, des chercheurs planchent sur cette aptitude fascinante qui permet aux hibernants, via une profonde dépression de leur taux métabolique, de baisser leur température corporelle et réduire leur consommation d’énergie de 80 % à 98 %. Leur objectif : comprendre les mécanismes physiologiques à l’œuvre pour en exploiter les propriétés sur l’humain. Et, pourquoi pas, prouesse biomimétique ultime, inventer une forme d’hibernation humaine.
Des primates hibernent
De fait, les sources d’inspiration ne manquent pas. La première d’entre elles ? L’ours brun. “Il est le modèle phare parce qu’il nous ressemble en masse et en physiologie, et qu’il entre en hibernation en ne baissant sa température que de quelques degrés, de 37 °C à 32-34 °C. Cette température semble plus crédible pour le corps humain que les 10 °C pratiqués par la marmotte…”, explique Fabrice Bertile, biologiste CNRS au Laboratoire de spectrométrie de masse bio-organique (LSMBO) de Strasbourg. Mais le plantigrade n’est pas seul.
“À ce jour, on dénombre une centaine d’espèces hibernantes”, témoigne Sylvain Giroud, chercheur en écophysiologie à l’Université de médecine vétérinaire de Vienne (Autriche), qui buche lui aussi depuis des années sur l’hibernation.
“Et l’on continue d’en découvrir de nouvelles chaque année, partout sur la planète, en pays froids comme en zones tropicales.”
Hamsters syriens, blaireaux, lémuriens nains de Madagascar… les études se multiplient. Parmi les champions, le loir gris, capable d’hiberner jusqu’à… 11,4 mois consécutifs, ou encore le spermophile arctique, une sorte d’écureuil dont la température corporelle chute sous 0 °C, sans que son sang ne gèle. La dernière découverte en date, publiée en décembre 2019 dans la revue Nature, décrit comment les grizzlis parviennent, grâce à des variations saisonnières dans l’expression de leurs gènes, à passer les longs mois d’hiver totalement inactifs… sans perdre un gramme de muscle.
S’agissant de l’homme, les sources d’espoir ne manquent pas non plus. La première est d’ordre génétique, justement. “La recherche a montré qu’il n’existe pas un gène spécifique de l’hibernation, dont l’humain serait privé et qui constituerait une barrière”, note Sylvain Giroud. “L’hypothèse est au contraire que l’humain dispose du matériel génétique pour hiberner, a un jour su le faire, mais qu’il en a perdu l’aptitude au cours de l’évolution.” D’ailleurs, certains de nos proches cousins, les primates, hibernent. Alors pourquoi pas nous ?
Pourquoi pas l’homme ?
La deuxième source d’espoir est d’ordre purement factuel. “L’exemple le plus extrême est celui d’Anna Bågenholm, skieuse suédoise piégée 80 minutes sous la glace, dont la température corporelle est tombée à 13,7 °C, et qui a récupéré sans la moindre séquelle”, explique Matthew D. Regan, chercheur au département de biosciences comparatives de l’Université du Wisconsin-Madison, pionnier en matière d’hibernation.
“Ce n’est pas un cas isolé, ce qui suggère que, dans des conditions particulières, les humains ont la capacité d’entrer de manière réversible dans des états de profonde torpeur.”
La troisième raison d’espérer est empirique : faire artificiellement “hiberner” un mammifère non hibernant, d’habiles laborantins y sont déjà parvenus. Une équipe de l’Institut de biologie arctique de l’Université d’Alaska a réussi à provoquer des “torpeurs synthétiques” réversibles chez des rats et des porcs, en stimulant, via un agent pharmacologique, un récepteur (adénosine A1) dans leur cerveau. “De quoi rendre plausible de telles inductions métaboliques chez l’homme”, estime Matthew D. Regan.
“Le grand défi reste de trouver le ou les interrupteurs qui couperont le chauffage central chez l’homme !” précise Sylvain Giroud.
Plausible, donc… mais pour quoi faire ? La réponse varie selon les équipes scientifiques. Il y a d’abord l’utilisation la plus aventureuse : hiberner pour faciliter les voyages spatiaux. Les agences spatiales sont en effet les premières à avoir investi massivement dans la recherche sur l’hibernation.
“La NASA en 2014 et l’ESA [l’agence spatiale européenne] dans la foulée ont toutes deux créé des groupes de travail dans l’optique des vols spatiaux de longue durée”, rappelle Matthew D. Regan.
Pour parcourir les 78 millions de kilomètres qui nous séparent de Mars, neuf mois de voyage seront nécessaires. Les agences aimeraient plonger leurs équipages dans la torpeur durant ce long périple. L’ESA a déjà les ébauches d’un vaisseau doté de capsules d’hibernation… “L’intérêt est triple”, note Matthew D. Regan : “logistique, car des astronautes en hibernation consommeront moins d’eau et de nourriture, ce qui allège les navettes ; biologique, les expériences suggérant que la torpeur synthétique atténuerait les dommages liés à la microgravité et au rayonnement spatial, limitant l’atrophie osseuse et musculaire ; et psychologique, enfin, puisque cela permettrait aux astronautes de s’abstraire d’un espace psychiquement éprouvant car confiné, exigu et partagé.”
Une révolution médicale
Dans le sillage des agences spatiales, une foule de chercheurs se sont intéressés à l’hibernation dans un but plus classique : prolonger la vie humaine, cette fois sur terre. Le secteur de la santé, en particulier, a les yeux rivés sur les hibernants. Parmi les applications les plus prometteuses figure la “TTM”, comme targeted temperature management, ou hypothermie thérapeutique, déjà pratiquée par d’autres moyens par les médecins pour protéger les patients lors d’arrêts cardiaques et d’AVC.
“La TTM consiste à baisser le thermostat du corps – entre 32 et 36 °C – pour lui faire économiser de l’énergie et préserver les tissus du cœur et du cerveau”, décrypte la chercheuse Kelly Drew, à l’Institut de biologie arctique de l’Université d’Alaska.
“Notre but est de cibler le mécanisme qui permet aux hibernants de se refroidir pour l’appliquer aux humains et ainsi améliorer les effets thérapeutiques de la TTM actuelle.”
Le nom de l’autre grand secret poursuivi par les chercheurs ressemble à celui d’une potion magique : le sérum de l’ours. Cette partie liquide du sang de l’animal détient en effet des promesses médicales hors-normes. La principale ? Conserver ses muscles sans lever le petit doigt. “Le manque d’activité physique est la quatrième cause de mortalité dans le monde”, rappelle Fabrice Bertile (CNRS). “Le muscle humain est très vulnérable : un malheureux bras dans le plâtre réclame trois semaines de kiné pour refonctionner normalement. Et que dire des personnes âgées ou durablement alitées ?”
La recherche a déjà fait de grands pas : “Nous avons détecté que dans le sang de l’ours circulent en hiver des molécules non identifiées, capables d’agir sur des cellules humaines in vitro. Des molécules qui traversent donc la barrière des espèces, et dont l’action est très prometteuse : après 48 heures, les cellules humaines exposées à ces molécules d’ours grossissent et leur contenu en protéine augmente.” Le travail demeure toutefois immense : “Nous devons identifier et isoler ces molécules pour en faire un produit injectable à l’homme”.
Augmenter son espérance de vie
Le sérum de l’ours pourrait par ailleurs faciliter la transplantation d’organes. “En augmentant la durée de vie des organes hors du corps de plusieurs jours, leur circulation pourrait s’étendre à l’échelle de la planète. Soit une véritable révolution médicale”, explique Fabrice Bertile. Des traitements contre l’obésité pourraient aussi dériver de la recherche sur l’ours, qui parvient à ne consommer que de la graisse durant son inactivité d’un semestre.
Enfin, comme souvent en matière de science, la course au progrès technique cache une quête plus philosophique… Au-delà des exploits spatiaux et médicaux, explorer l’hibernation, dans l’imaginaire des chercheurs, revient à se mettre en quête d’un véritable Graal métaphysique : la maitrise du temps.
“Hiberner, c’est ralentir le passage du temps”, dit ainsi Matthew D. Regan, citant l’exemple des tardigrades, animaux microscopiques aux pouvoirs sidérants : “Ils sont capables de déprimer leur métabolisme au point de faire disparaitre leurs besoins primaires, tels que l’alimentation et la respiration, et d’arrêter les processus biologiques du vieillissement.”
D’une espérance de vie de deux à trois mois, certains spécimens ont su suspendre leurs fonctions vitales pour les reprendre tranquillement… trente années plus tard ! “L’idée qu’il soit métaboliquement possible de dilater voire d’arrêter le temps est philosophiquement fascinante.”