Partager la publication "Dans l’Arctique, les paysages sonores des fonds marins évoluent avec le changement climatique"
Le (non) silence de la mer. Depuis des décennies, les scientifiques “écoutent” ce qu’il se passe sous la surface des océans pour déterminer la présence d’animaux, leurs comportements et la cohabitation – bien souvent difficile – avec l’espèce humaine. Baleines, dauphins, phoques, morses… autant de mammifères dont la signature sonore est bien connue. De nouvelles recherches, publiées dans Frontiers in Marine Science, se sont concentrées sur l’archipel du Svalbard, en Norvège. Cette région de l’océan Arctique a connu une augmentation des températures et un déclin de la glace de mer au cours des dernières décennies.
Grâce à l’analyse de l’environnement acoustique, les scientifiques du Norwegian Polar Institute peuvent non seulement en déduire de nombreuses données sur l’interaction complexe de la nature et de l’humanité. Mais les paysages sonores océaniques servent aussi à témoigner des changements environnementaux. En constante évolution, le monde sous-marin prouve qu’il évolue vite pour répondre au changement climatique. Mais cela sera-t-il suffisant ?
À l’écoute des océans
On distingue trois types de sons sous-marins :
- La géophonie, qui sont les bruits de nature non-organique (comme les vagues ou le craquement de la banquise),
- L’anthropophonie, liée à l’activité humaine,
- La biophonie, soit les sons émis par les animaux marins (poissons, mammifères et invertébrés).
C’est notamment la biophonie qui intéresse les scientifiques pour mieux comprendre le comportement des animaux marins, à commencer par les plus grands, les mammifères. Ils utilisent pour cela des microphones marins spécialisés. Entre 2017 et 2020, deux sites côtiers (Kongsfjorden à l’Ouest et M2 à l’Est, à 50 km au Sud de Kvitøya) ont fait l’objet d’enregistrements des paysages sonores de l’archipel. Cela a permis d’établir trois données principales : l’occurrence, le type et la cyclicité de reproduction des mammifères marins dans cette zone de l’Arctique.
Les chercheurs ont comparé l’évolution entre les deux sites car ils évoluent de manière différente. M2 bénéficie encore de conditions arctiques assez classiques. À savoir : eau polaire froide, glace de mer dérivant pendant la majeure partie de l’année et près de la moitié de la superficie couverte de glace entre mars à avril. Pour sa part, Kongsfjorden connaît des changements rapides en raison du réchauffement climatique. L’afflux d’eaux atlantiques plus chaudes et plus salées réduit la concentration de glace de mer. Cela donne à voir le – possible – futur du comportement des mammifères marins dans les décennies à venir.
11 types de mammifères marins identifiés, dont 5 migrateurs
Onze espèces de mammifères marins ont été identifiés par Samuel Llobet et ses équipes du Norwegian Polar Institute. Parmi elles, cinq espèces endémiques résidentes de l’Arctique : les baleines boréales, les narvals, les baleines blanches, les phoques barbus et les morses ainsi que les phoques du Groenland.
Ces derniers sont une espèce reproductrice de la banquise subarctique (appelée désormais migratrice régionale). Cinq espèces de cétacés migrateurs saisonniers ont également été repérés : le rorqual boréal, le rorqual commun, le rorqual bleu, le rorqual à bosse et le cachalot.
Des effets visibles du réchauffement climatique sur les mammifères marins de l’Arctique
Selon les résultats de l’étude menée au Svalbard, dans l’Ouest (Kongsfjorden), des espèces arctiques ont été détectées de l’hiver à l’été et des espèces de mammifères marins migrateurs ont été détectées occasionnellement tout au long de l’automne. Dans l’Est (M2), des espèces arctiques ont été détectées en permanence presque toute l’année, et quelques espèces migratrices ont été détectées en été. Choses inhabituelles pour la région.
À noter aussi que, dans le Kongsfjorden, les scientifiques ont observé des changements dans les schémas de reproduction. Ils ont constaté que les phoques barbus avaient une courte saison vocale par rapport aux études précédentes réalisées dans les années 1990 et au début des années 2000. Pour eux, cela suggère une activité d’accouplement réduite dans le fjord, en ligne avec la disparition saisonnière des glaces dérivantes.
Une hausse de l'activité humaine en Arctique qui inquiète
L'étude a également souligné une hausse de l’anthropophonie, c'est-à-dire des bruits liés à l'activité humaine, comme le passage de cargos commerciaux ou des bateaux touristiques. Celle-ci se combine avec un accroissement de la géophonie liée à la fonte des glaces et aux craquements de la banquise. Tout ceci rend la communication entre les mammifères marins plus compliquée.
Ils dépendent d'un certain silence sonore échanger entre eux des informations à longue distance, mais aussi pour se situer, trouver leur chemin et se nourrir. Des espèces telles que les narvals sont particulièrement sensibles au bruit dans leur environnement ambiant, et cette étude a révélé qu'ils ont cessé d'appeler au même moment où l'utilisation des armes à air comprimé a commencé dans le fjord.
"Les humains ont conçu toutes sortes d'inventions, mais nous n'avons pas pensé à ce qui se passait sous l'eau, explique Samuel Llobet. Le bruit est un problème majeur à résoudre dans nos océans. Nous devons résoudre ce problème ensemble et trouver des solutions plus silencieuses." Le bruit des pales des hélices, des bateaux classiques comme électriques, est un fléau pour la vie sous-marine. En Arctique comme ailleurs
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