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Des villes plus perméables, la solution contre les inondations ?

Ce sont des images devenues de plus en plus fréquentes en Europe : celles de villes inondées, de maisons sinistrées par la montée des eaux, de populations désemparées par ces épisodes. Le changement climatique est identifié parmi les causes potentiels de l’augmentation de la fréquence et l’intensité des précipitations. Dans le contexte d’une urbanisation croissante, l’utilisation répandue de matériaux imperméables dans les constructions routières aggrave les ravages de ces phénomènes météorologiques.

L’infiltration adéquate des eaux pluviales à la suite d’épisodes de fortes pluies est ainsi considérablement entravée, engendrant par là un ruissellement pollué et des risques d’inondations. Les réseaux d’évacuation des eaux de pluie en milieu urbain se trouvent de plus en plus dépassés, et posent un défi de taille aux autorités quant à la gestion de ces eaux.

Repenser les stratégies de gestion des eaux pluviales

Le modèle conventionnel de collecte intégrale des eaux pluviales via un système de canalisations, évacuant ces eaux seules ou mélangées aux eaux usées, a, de fait, atteint ses limites. Non seulement cette approche s’avère coûteuse, mais elle accroît également le risque d’inondations, comme observé au cours du printemps 2023, tout en contribuant à la pollution des écosystèmes aquatiques. Il semble ainsi nécessaire de repenser les stratégies de gestion des eaux pluviales en milieu urbain pour faire face aux défis actuels et futurs.

Saint Rémy-lès-Chevreuse. Lionel Allorge, CC BY-NC-SA

Imiter le cycle de l’eau

Face à cette réalité, une nouvelle approche émerge, qui vise à se rapprocher du cycle naturel de l’eau en réduisant l’imperméabilisation de surfaces urbaines tout en favorisant l’infiltration des eaux de pluie dès leur chute. En plus de maîtriser la pollution à sa source, cette gestion contribue au rechargement des nappes phréatiques tout en favorisant le verdissement urbain. Nommée « gestion à la source des eaux pluviales » cette approche intéresse de plus en plus divers pays européens. De nombreuses collectivités ont ainsi adopté des stratégies intégrées reposant sur la perméabilisation et la restauration écologique de leurs sols afin de limiter les rejets dans les réseaux d’assainissement.

Ces stratégies de gestion des eaux de pluie se concentrent sur l’absorption naturelle par le sol et la végétation environnante, considérée comme le moyen le plus efficace et respectueux de l’environnement pour gérer les excès d’eau de pluie. Les noues (fossés peu profonds), les jardins pluviaux, les toitures végétalisées et les revêtements de chaussée perméables figurent parmi les réalisations concrètes de cette approche.

L’infiltration des eaux pluviales au plus près de leur point de chute limite également l’accumulation de polluants dans les eaux en évitant le ruissellement. Cette méthode représente ainsi un moyen durable et à faible impact sur l’environnement pour la gestion des eaux pluviales en milieu urbain.

Matériaux drainants et végétalisation

Pour rendre les sols urbains perméables, deux approches distinctes sont aujourd’hui mises en avant. La première consiste à utiliser des matériaux drainants permettant d’ériger des sols tout en favorisant l’infiltration des eaux.

Pavés drainants. Fournis par auteurs

La seconde repose sur la végétalisation. Dans ce cas, les végétaux jouent un rôle crucial dans la prévention de l’érosion et la compaction des sols grâce à leurs racines tout en absorbant l’eau nécessaire à leur croissance. Cette action de décompactage favorise l’infiltration des eaux de pluie, évitant ainsi leur ruissellement.

La végétalisation compense enfin les avantages environnementaux perdus du fait du développement urbain en apportant de la biodiversité locale, des ilots de fraicheur ou la purification de l’air.

Pour rendre ainsi les sols urbains perméables tout en accroissant la végétalisation des villes, le biochar apparaît comme un allier de choix. Ce matériau, à la fois poreux et riche en carbone, est issu de résidus organiques tels que les déchets verts ou forestiers, chauffés dans des conditions de faible oxygène, via un processus appelé décomposition thermique rendu possible grâce à des étapes successives de pyrolyse et de gazéification.

Les nombreux atouts du biochar

De par ses interactions physiques, chimiques et biologiques le biochar offre une multitude d’avantages lorsqu’il est intégré dans un sol. On peut noter à cet égard sa capacité à retenir l’eau, à prévenir la perte de nutriments des sols, à améliorer la structure du sol et à fertiliser les sols via sa capacité d’échange cationique.

Biochar, le produit de la carbonisation des résidus verts en charbon. Simon Dooley, Fourni par l’auteur

Son utilisation dans les terreaux représente également une alternative plus durable à des éléments moins écologiques tels que la perlite, la vermiculite et surtout la tourbe. Cette dernière reste largement utilisée en Europe (jusqu’à 80 % des substrats) et provient de matière organique partiellement décomposée.

Toutefois, la tourbe est issue de tourbières, des écosystèmes vitaux pour la biodiversité et le stockage du carbone dans le sol. Face à l’augmentation de la demande et des coûts de la tourbe, une ressource non renouvelable, il devient crucial de rechercher des alternatives plus durables comme le biochar.

En raison de sa porosité importante et de sa résistance à la biodégradation, le biochar agit comme un excellent adsorbant pouvant être utilisé pour filtrer et purifier l’eau, remplaçant ainsi le charbon actif très souvent importé et issu de ressources fossiles. De plus, le biochar peut être incorporé dans la reconstruction des sols, mélangé à d’autres matériaux tels que les pierres, le gravier et la terre, afin de faciliter l’infiltration des eaux dans les environnements urbains.

Le biochar : un matériau qui peut être produit directement en ville

Ultime avantage du biochar : il peut être produit directement en ville, et même participer à la gestion des déchets organiques, qui posent d’importants défis aux villes.

En effet, les résidus verts provenant des parcs et jardins constituent une ressource pouvant être transformée en biochar, offrant ainsi la possibilité d’une application dans les espaces verts urbains, dans le cadre d’une approche intégrée de gestion des eaux de pluie par la végétalisation. Le biochar peut agir à la fois en tant que substrat et amendement du sol, contribuant à décompacter et rendre perméables les surfaces urbaines.

Un exemple significatif d’utilisation du biochar dans l’amélioration structurale des sols est celui du projet Biochar à Stockholm depuis Mars 2017. Celui-ci a permis une gestion conjointe des eaux pluviales et du verdissement urbain, favorisant la croissance des arbres par une optimisation de l’infiltration des eaux pluviales, évitant ainsi leur drainage vers les égouts et les stations d’épuration.

Grâce à sa structure poreuse, le biochar a également la capacité de purifier les eaux pluviales en éliminant les polluants, évitant ainsi la contamination des sources d’eau naturelles. Depuis, d’autres villes, à l’instar de Minneapolis ou Helsinki, ont adopté cette approche.

Par ailleurs, l’utilisation du biochar s’avère prometteuse dans le domaine de l’agriculture urbaine. Il peut être intégré dans les toitures végétalisées en tant que substrat horticole durable. Ces toits verts peuvent retenir l’eau de pluie et atténuer les effets des îlots de chaleur urbains. Ainsi, le biochar offre un potentiel important dans la gestion écologique des ressources et dans la promotion de pratiques durables en milieu urbain.

Le biochar dans les villes françaises

Si le biochar reste peu connu en France, certaines collectivités manifestent un intérêt croissant pour son utilisation dans leurs aménagements urbains. Des municipalités telles que Pantin (Seine Saint Denis), Franconville (Val-d’Oise) et Le Hommet-d’Arthenay (Manche) l’emploient déjà. Le constat est positif : les plantes sont en bonne santé et les besoins en arrosage ont connu une réduction significative malgré des environnements très urbanisés et des conditions climatiques parfois rigoureuses.

La ville de Franconville, par exemple, rapporte que l’usage du biochar pour ses aménagements a largement atteint les objectifs fixés, contribuant ainsi à l’embellissement de la commune . Bien que le respect des critères de qualité, de santé et de sécurité du Certificat Européen du Biochar élimine les risques liés à son utilisation, le manque de normalisation et de cadre politique en France limite cependant encore son intégration sur le marché. Par conséquent, la production reste faible et le prix du biochar demeure élevé en raison des coûts substantiels associés au processus de pyrolyse.

Par ailleurs, les projets phares menés en Suède et en Finlande ont démontré que l’impulsion et l’initiative devraient émaner du secteur public plutôt que d’attendre une prise de risque initiale du secteur privé, plus hésitant et fragile. De plus, pour favoriser le développement de la filière du biochar, l’approvisionnement en biomasse doit reposer sur des contrats à long terme entre les fournisseurs de ressources et les opérateurs de pyrolyse, garantissant ainsi une qualité constante et une quantité suffisante. Les déchets verts urbains représentent une ressource précieuse à cet égard.

Un défi : réintroduire l’eau issue des eaux pluviales dans les sols urbains desséchés

Dans le cadre des objectifs fixés en matière de changement climatique et d’adaptation des villes, la reconstitution des fonctions biologiques et naturelles des sols anthropisés (encore peu développés voire souvent négligée) est un enjeu primordial pour les années à venir. Une des clés de cette reconstitution réside dans la réintroduction de l’eau issue des eaux pluviales dans les sols urbains desséchés Pour y arriver, cela nécessite de développer des infrastructures adaptées pour collecter, stocker et infiltrer cette eau. En ce sens, le recours au Biochar en ville peut être justifié et représente une opportunité.

Tous ces enjeux peuvent être surmontés grâce à des échanges constructifs entre diverses parties prenantes telles que les administrations municipales, les scientifiques, le secteur privé et les associations de gestion des eaux pluviales.Ces aspects font l’objet du projet Interreg NWE CASCADE, visant à rendre possible ces échanges, en introduisant des solutions de gestion durable du carbone dans 7 régions de l’Europe Nord-Ouest, en utilisant des chaînes de conversion de la biomasse en biochar et à créant des scénarios applicables et soutenables pour d’autres régions dont des solutions techniques intégrant le biochar ainsi que des bonnes pratiques pour la bonne gestion des eaux pluviales.

À propos des auteurs :
Lydia Fryda.
Enseignante-chercheure en procédés transformation biomasse, UniLaSalle.
Abdoulaye KANE. Enseignant-Chercheur en Procédés durables | Directeur de l’Unité de Recherche Cyclann.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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