Partager la publication "Douglas : l’arbre américain qui bouscule nos forêts françaises"
Il est l’arbre le plus grand présent en France hexagonale. Le deuxième le plus planté. On le retrouve aussi dans les foyers à la période de Noël. Le sapin de Douglas est un arbre qui vient de loin, mais qui a connu un succès incontestable dans les forêts françaises. Certains s’en inquiètent en pointant notamment du doigt ses impacts néfastes sur la biodiversité. Retour sur l’histoire de cet arbre américain devenu omniprésent dans nos paysages et dans l’économie française du bois.
Le sapin de Douglas (Pseudotsuga menziesii), communément appelé Douglas, est un conifère de la famille des Pinacées qui regroupe les sapins, épicéas, pins, mélèzes, etc. Il se distingue des espèces voisines par ses aiguilles planes, minces et souples, pointues, rétrécies à la base, de couleur vert foncé et rainurées sur le dessus, dégageant une odeur citronnée au froissement. Les cônes femelles pendants (les “pommes de pin”) sont portés par un court rameau et mesurent de 5 à 15 cm et présentent des appendices saillants à trois pointes, appliquées contre les écailles du cône. C’est l’un des conifères vendus comme “sapin de Noël“, aux côtés de l’épicéa commun et du sapin de Nordmann.
Le Douglas est originaire de l’ouest de l’Amérique du nord, où il occupe une vaste aire de répartition depuis le Mexique au sud (où il co-habite avec une autre espèce voisine, Pseudotsuga macrocarpa) jusqu’à la province canadienne de Colombie britannique au nord. Son nom scientifique rend hommage à son découvreur, Archibald Menzies (1754-1842), membre de l’expédition menée par le capitaine Vancouver dans le nord-est de l’océan Pacifique en 1790. Quant à son nom vernaculaire, il commémore le botaniste écossais David Douglas, qui en a récolté des graines le long du fleuve Columbia en 1824 pour les envoyer en Angleterre, où l’arbre a très vite connu un certain engouement.
Le Douglas a ainsi été introduit sur tous les autres continents comme arbre ornemental et, en plantations forestières, où il s’est parfaitement naturalisé, au point de devenir envahissant dans certaines régions de Nouvelle-Zélande, d’Argentine et du Chili ; en Europe, il est, de ce point de vue, « sous surveillance » en Allemagne, en Autriche, en Bulgarie et en Grande-Bretagne.
Aux États-Unis, les plus grands arbres, âgés de plusieurs siècles voire de plus de mille ans, peuvent avoisiner ou atteindre de 90 à 100 mètres de hauteur pour un diamètre de plus de 3 mètres.
Son bois est solide et résistant, particulièrement approprié pour des utilisations comme bois d’œuvre. D’énormes volumes de vieux Douglas ont ainsi alimenté l’industrie et ce sont les planches de ce sapin de Douglas qui ont permis de construire une grande partie des banlieues américaines après la Seconde Guerre mondiale.
En Europe, des Douglas de plus de 60 mètres de hauteur, toujours en phase de croissance car forcément âgés de moins de 180 ans, ont été observés dans diverses forêts du Massif central et des Vosges. Ils correspondent aux arbres les plus grands de France. Le record pour l’Europe serait détenu par un arbre haut de 71 mètres à Snowdonia, au Pays de Galles.
Le Douglas est ainsi apparu comme une espèce très bien adaptée aux conditions climatiques de l’ouest de l’Europe et sur des sols profonds à bonnes réserves en eau. Il produit un bois d’œuvre et de sciage de qualité et il a vite été considéré comme une essence d’avenir.Le douglas : origine et aptitude en tant qu’essence d’avenir. Présentation de Thomas Wohlgemuth (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage).
L’espèce a de ce fait été largement plantée dans de nombreuses régions françaises, comme le Massif central (Auvergne, Morvan, Limousin, etc.) et les Vosges, ainsi qu’en plaine dans la moitié nord, dans l’après-guerre sous l’impulsion et grâce aux financements du Fonds forestier national, de sorte qu’elle est devenue la deuxième essence de reboisement du pays, couvrant aujourd’hui 420 000 hectares. Dès lors, le succès du Douglas ira grandissant, l’espèce possédant de nombreux atouts : une croissance rapide, un bois de qualité, une bonne résistance aux ravageurs et aux épisodes de sécheresse, et une grande amplitude écologique qui permettent de le planter presque partout en France et d’assurer au propriétaire un revenu conséquent de son vivant.
Un programme d’amélioration génétique lancé par l’Inrae à partir des années 1960 a par ailleurs permis de créer des variétés adaptées aux reboisements dans les stations forestières productives de basse et moyenne altitude et, d’autre part, de mettre en place des vergers à graines pour assurer la production de semences.
Le sapin de Douglas est ainsi devenu l’espèce la plus appréciée des forestiers français au point de représenter environ 30 % du résineux produit en France d’ici 2035 ; c’est la seconde espèce la plus plantée en France, derrière le pin maritime et loin devant la première essence feuillue, le chêne sessile, qui n’occupe que le 9e rang !
Mais dans bien des régions, les plantations de Douglas – et de résineux en général – suscitent l’émoi des populations locales. Pourtant, la forêt française est l’une qui possède le moins de résineux en Europe, avec à peine plus de 30 % de la surface concernée, contre plus de 90 % dans les pays scandinaves, plus de 70 % en Allemagne et près de 50 % en Espagne ; et les 420 000 hectares de Douglas ne représentent que 3 % de la surface forestière métropolitaine.
Alors comment expliquer ce rejet du grand public ? Peut-être d’abord parce que l’irruption de vastes plantations de résineux à basse altitude vient bouleverser les paysages, en se substituant à des prairies ou à des parcelles de feuillus. C’est le cas dans des secteurs comme le Morvan. Le paysage se « ferme ». Le regard humain habitué aux terrains vallonnés, aux vertes pâtures parcourues par les bovins, à la palette des couleurs des parcelles cultivées entrecoupées de quelques bois et forêts, voit subitement son champ visuel amputé : il se heurte aux rideaux sombres des parcelles de Douglas, que les rayons du soleil eux-mêmes ont du mal à percer.
Les riverains se sentent privés d’un patrimoine, dépossédés d’un héritage, coupés de l’histoire qui avait façonné « leur » paysage. Ces plantations agissent aussi comme un repoussoir pour le promeneur qui aimait parcourir les sous-bois feuillus au gré des saisons, découvrant les floraisons du sous-bois et les chants d’oiseaux à la renaissance printanière, allant chercher la fraîcheur sous les frondaisons estivales, ramassant champignons et châtaignes à l’automne, profitant de la luminosité particulière sous les arbres dénudés en hiver. La plantation de Douglas ne connaît guère le rythme des saisons, elle semble rester immuable, faisant perdre tout repère spatial et temporel. Ainsi la principale cause du rejet du Douglas n’est pas envers l’essence elle-même, mais plutôt à l’encontre de l’exploitation industrielle des forêts qu’elle génère.
En France, dans leur domaine naturel de moyenne montagne, les conifères indigènes (épicéa, sapin pectiné, mélèze d’Europe, pin sylvestre, pin à crochets, etc.) vivent plus ou moins mélangés, entre eux ou avec des feuillus, les vétérans côtoyant les juvéniles car la forêt se régénère continuellement. La forêt héberge une riche biodiversité qui a co-évolué depuis des millions d’années avec ces résineux. De plus, le terrain souvent accidenté exclut l’intensification à outrance de l’exploitation forestière.
Lorsqu’il est présent, le Douglas se « fond » dans la masse, seul un regard entraîné étant capable de le différencier du sapin pectiné indigène. La situation est tout autre à basse altitude (en dessous de 1000 m), où le Douglas se présente le plus souvent en parcelles géométriques de plantations d’arbres qui ont tous le même âge et donc la même taille. On parle alors de plantations monospécifiques et équiennes. Ces « champs d’arbres » ont de fait remplacé beaucoup de forêts diversifiées.
Même si comparativement à d’autres résineux comme l’épicéa (voire à certains feuillus comme le hêtre), le sapin de Douglas acidifie moins les sols, voire améliore même l’humus, il a des répercussions importantes au niveau de la biodiversité. Sa plantation à densité élevée conduit à un appauvrissement sensible de la diversité des insectes et des oiseaux insectivores qui s’en nourrissent.
L’éventail des organismes du sol peut être profondément réduit, notamment des arthropodes et des champignons, qui jouent un rôle fonctionnel essentiel dans la décomposition des feuilles mortes qui tapissent le sol des forêts et permettent l’apport en nutriment dans les sols.
Mais plus encore, c’est le mode d’exploitation qui est particulièrement destructeur pour l’écosystème et la biodiversité. Les monocultures équiennes en terrain peu accidenté facilitent la mécanisation et la récolte de tous les arbres d’une parcelle (coupe rase ou « à blanc ») sur de grandes surfaces, qui dégradent et érodent considérablement les sols, appauvrissent tout l’écosystème forestier, laissent derrière elles un paysage de désolation, même si la parcelle ne tardera pas à être replantée en Douglas, non sans avoir été « préparée », c’est-à-dire nivelée à l’aide d’engins, parfois labourée, amendée, fertilisée voire traitée par des herbicides.
Sachant que le Douglas est un arbre à croissance rapide, ce cycle sylvicultural peut se répéter tous les 40 ans, ce qui excède de beaucoup les capacités de résilience des sols et de l’écosystème tout entier. Ceci explique la spéculation foncière et commerciale qui accompagne la culture de cet « or vert », dont la demande reste élevée tout comme le prix de vente au mètre cube, qui dépasse nettement celui des autres résineux et du peuplier et atteint même celui du merisier.
Ce mode de sylviculture par plantation monospécifique est pourtant largement soutenu et même favorisé par des subventions publiques dans le cadre des aides de l’État pour l’adaptation des forêts aux changements climatiques. Ainsi l’appel à projet « renouvellement forestier » lancé en juillet 2024 par le ministère de l’agriculture, de la sécurité alimentaire et de la forêt dans le cadre du plan « France nation verte » permet de raser une forêt diversifiée et de la remplacer par une plantation monospécifique d’arbres dès lors qu’il y a plus de 20 % d’arbres morts ou dépérissant dans cette forêt. Elles conduisent ainsi à une dénaturation et un appauvrissement très sensible des écosystèmes forestiers.
Face à cette dégradation des écosystèmes et des sols par les monocultures de Douglas, d’autres modes de sylviculture sont possibles, davantage orientés vers le qualitatif, qui permettent de valoriser les potentialités de production de bois de qualité du Douglas, tout en préservant les écosystèmes. Il s’agit de la sylviculture mélangée à couvert continu, qui privilégie les mélanges d’essences et de classes d’âge, et proscrit les coupes rases, comme le prône, l’association Pro Silva France. Celle-ci doit s’accompagner par un enrichissement en espèces feuillues afin d’augmenter la diversité et la mixité du peuplement, l’éclaircie éventuelle pour plus d’adaptation au changement climatique et pour faire arriver davantage de lumière au sol.
De nouvelles plantations de Douglas devraient être restreintes à d’anciennes parcelles agricoles et réalisées sur de petites parcelles afin de conserver une diversité paysagère et de mélanger feuillus et résineux afin de limiter les aspects négatifs de ces plantations.
Le sapin de Douglas apparaît également comme une essence sensible au changement climatique dans les régions à climat semi-continental comme la Bourgogne ou le Morvan, particulièrement impactées par le changement climatique, ce qui devrait conduire, pour les peuplements existants, à y mettre en place une sylviculture adaptée, privilégiant les mélanges d’essences.
Beaucoup moins sensible aux attaques des coléoptères scolytes que l’épicéa, il n’en est toutefois pas indemne, les sécheresses répétées de ces dernières années fragilisant cet arbre qui est, rappelons-le, originaire de la côte Pacifique où l’humidité est permanente.
Des champignons parasites sont récemment apparus, comme le rhabdocline du Douglas (Rhabdocline pseudotsugae), capable de tuer l’arbre, ou la rouille suisse du Douglas (Phaeocryptopus gaumannii) qui provoque une chute des aiguilles, réduisant la production jusqu’à 50 %. D’autres parasites commencent à prendre de l’importance et, à n’en pas douter, de nouveaux feront leur apparition avec l’importation de plants nord-américain. Le Douglas a d’ailleurs déjà été responsable de l’introduction de champignons et arthropodes exotiques potentiellement nuisibles pour les conifères européens.
Les peuplements monospécifiques étant naturellement plus vulnérables par « effet de concentration » (le parasite n’a aucun problème à trouver son hôte et pour se propager rapidement faute d’obstacle), le recours au mélange d’essences, en particulier feuillus-résineux, devrait s’imposer. Les plantations devront se faire à plus faible densité et faire l’objet d’une sylviculture « à couvert continu » afin de mieux préserver les réserves en eau du sol, le capital sol et la biodiversité. Réduire les impacts négatifs de la sylviculture du Douglas sur la biodiversité, sur les services écosystémiques et sur les paysages, accroîtra certainement son acceptabilité sociale.
À propos des auteurs :
– Guillaume Decocq. Professeur en sciences végétales et fongiques, directeur de l’UMR CNRS EDYSAN, Université de Picardie Jules Verne (UPJV).
– Serge Muller. Professeur émérite, chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).
– Thierry Gauquelin. Professeur émérite, Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), Aix-Marseille Université (AMU).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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