En Espagne, adoptez un olivier pour sauver un village

Une fois sorti de l’autoroute reliant Madrid à Barcelone, je m’enfonce dans un espace immensément vide. Les étendues de garrigue alternent avec des collines de terre ocre. Seuls quelques petits villages rompent ce défilement continu. Bienvenue au cœur de l’Aragon, région espagnole voisine de la Catalogne, qui s’étend des Pyrénées au nord de Valence.

C’est désertique, hein ?“, me lance à l’arrivée Alberto Alfonso Pordomingo, qui travaille la semaine à Madrid et passe presque tous ses week-ends dans son village familial d’Oliete, 365 habitants contre 2 400 il y a un siècle. Ce pueblo aragonais aurait pu ressembler à tant d’autres de cette région parmi les plus dépeuplées du pays, mourant à petit feu de l’exode rural. Mais il tient son salut d’une richesse locale bien ré-exploitée : l’olivier.

5200 oliviers soutenus par plus de 2000 “parrains”

Autour d’Oliete, mot dérivé du latin olivetum qui signifie champ d’oliviers, environ 100 000 de ces arbres centenaires étaient à l’abandon. Des champs entiers délaissés par leurs propriétaires, partis en ville ou estimant que leur culture n’était plus rentable. En 2014, face à ce gâchis, quatre entrepreneurs ont décidé de tirer avantage de cette richesse négligée en créant le site apadrinaunolivo.org : “Parraine un olivier”.

On voulait, avec les nouvelles technologies, connecter le monde urbain et le monde rural, prendre soin des oliviers en faisant appel à la solidarité“, m’explique Alberto Alfonso Pordomingo, 39 ans, l’un des cofondateurs. Moyennant un don de 50 euros par an, les parrains se voient attribuer un arbre à leur nom, reçoivent deux litres d’huile d’olive vierge extra produite localement et peuvent rendre visite à leur “filleul” à branches.

5 200 oliviers ont été récupérés avec le soutien de plus de 2 000 parrains. La plupart viennent d’Espagne, une cinquantaine de France, d’autres d’Allemagne, d’Italie…“, poursuit ce résident madrilène qui garde un fort lien affectif avec le village de ses parents et grands-parents.

Oliete a changé, et en mieux, apprécie Ramiro Alfonso Carod, le maire. La culture de l’olivier a toujours été un moyen de subsistance, mais on ne voyait plus comment s’en sortir économiquement. Apadrina un olivo nous a tirés de notre léthargie.” Les trois bars-restaurants (!), l’épicerie, la pharmacie profitent des visites ponctuelles des parrains et de l’activité générée par les neuf postes créés.

On est le premier employeur du village, se félicite Alberto Alfonso Pordomingo. On a aussi pu donner du travail à des personnes en situation de handicap, dont l’insertion est encore plus dure en milieu rural.

“Quand une école ferme en milieu rural, c’est définitif”

Raoul García Martín est passé du monde de l’hôtellerie à l’arboriculture. Son arrivé, à l’été 2017, avec sa femme et ses trois enfants – maintenant quatre – a permis d’éviter la fermeture de l’école. “Quand une école ferme en milieu rural, c’est définitif. Donc un parrain donne de l’argent pour un arbre, mais il me donne aussi du travail, ce qui permet à ma famille de vivre et à l’école de rester ouverte“, raconte le père de famille de 34 ans, employé de l’association.

C’est un effet domino“, confirme Pilar Romeo Palacios, la dernière venue, qui souligne les vertus de cette économie circulaire. En sauvegardant ses oliviers, le village conserve ses services, les habitants récupèrent une huile haut de gamme sans produits chimiques, du bois pour se chauffer, des rameaux pour nourrir le bétail… 

Ce cercle vertueux aurait été impossible sans l’implication des parrains. “Les donateurs peuvent venir sur place quand ils le veulent et prendre part à des activités, poursuit Alberto Alfonso Pordomingo. Ce côté participatif explique notre succès.

Depuis les environs de Pau (Pyrénées-Atlantiques), Marie-France Carrere, 68 ans, se rend au moins une fois par an avec son compagnon Gabriel, un Aragonais, voir les quatre oliviers qu’ils parrainent. Un pour chaque petit-enfant.

Le côté écologique nous a intéressés et comme nous venons souvent dans la région, on en a profité pour découvrir le village et venir chercher en personne l’huile d’olive“, explique cette éducatrice de rue à la retraite. Afin de toucher un plus large public, l’association, déclarée d’utilité publique, a lancé l’an dernier miolivo.org, une plateforme de vente en ligne.

C’est une autre voie de commercialisation pour nos 2 000 litres d’huile d’olive excédentaires“, précise Sira Plana Marín, 40 ans, initiatrice du projet. Motivée par la réussite rencontrée, elle espère développer de nouvelles idées cette année, dont l’organisation d’interventions en milieu scolaire autour du développement durable. Avec, seule contrepartie pour les établissements intéressés, le parrainage d’un olivier. Elle conclut : “Avant de commencer l’aventure, je voyais mon village vide, mort d’ici vingt ans. Il y a maintenant des raisons d’espérer.

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