En plein coeur de la forêt de La Teste-de-Buch, la nature renaît peu à peu après les terribles incendies de l'été 2022. Crédit : Jérémy Lempin/WD.
Partager la publication "Feux dans les Landes en 2022 : tirer les leçons d’une catastrophe annoncée"
Le 12 juillet 2022, en plein après-midi, un départ de feu dans la forêt usagère de La Teste-de-Buch, dans les Landes, en Gironde, va embraser plus de 7 000 hectares. Quinze jours de lutte acharnée seront nécessaires pour contenir l’incendie. Les images de pins calcinés, de dunes noircies et de fumées opaques ont marqué durablement les esprits. Ce drame n’est pas un fait isolé : il est le symptôme d’une forêt sous pression, à la fois par sa structure, sa gestion et son contexte climatique. Ce drame n’est pas un fait isolé : il est le symptôme d’une forêt sous pression, à la fois par sa structure, sa gestion et son contexte climatique.
Située à proximité immédiate de zones urbaines et touristiques densément fréquentées l’été, la forêt landaise est aussi en première ligne face à une pression démographique constante. Pour rappel, 90 % des départs de feu sont d’origine humaine. Cette cohabitation fragile, entre patrimoine naturel et activité humaine intense, accentue les risques d’incident et complique les interventions d’urgence. Pierre Massé, directeur de la DFCI Aquitaine (Défense des forêts contre l’incendie) dresse un constat sans appel, deux ans et demi après la catastrophe : “Ces incendies sont devenus des réalités récurrentes. Ils ne sont plus exceptionnels mais tendanciels. Avec la hausse des températures et les périodes de sécheresse prolongées, on va vers une fréquence accrue des feux.”
La forêt des Landes est un massif à 92 % privé, exploité en grande partie pour le bois, principalement en monoculture du pin maritime. La responsabilité de la prévention incombe donc en grande partie aux propriétaires forestiers. En Aquitaine, ils sont regroupés en 212 associations syndicales autorisées de DFCI, avec près de 2 500 bénévoles actifs. “C’est un réseau unique en France, mais ce bénévolat, aussi précieux soit-il, reste invisible dans les modèles économiques. Il n’apparaît pas dans les bilans comptables des entreprises forestières”, déplore Pierre Massé.
Autre problème : les obligations légales de débroussaillement (OLD), sont souvent mal appliquées, voire tout simplement ignorées. “En 2015, à Saint-Jean-d’Illac, un industriel avait refusé de s’y conformer jusqu’à ce que 700 hectares partent en fumée et qu’il doive évacuer son personnel”, se souvient-il. À cela s’ajoute une mémoire collective courte : “Deux ans après un incendie, nous constatons que l’on oublie déjà les leçons”, ajoute-t-il, amer.
Le pin maritime, essence dominante, représente environ 75 % du couvert forestier. Cette monoculture, si elle facilite l’exploitation, accroît la vulnérabilité aux incendies et aux ravageurs. Le changement climatique remet en cause la viabilité de ce modèle. “Le pin maritime est résilient, mais jusqu’à un certain point. On commence à tester d’autres variétés, voire à introduire des feuillus, mais cela reste marginal”, explique le directeur de la DFCI Aquitaine.
La gestion sylvicole est au cœur du débat. Qui décide de la conduite de la forêt ? Quelles essences planter aujourd’hui pour une résilience demain ? La forêt usagère de La Teste, rescapée d’une sylviculture standardisée, illustre une autre voie, où le droit d’usage prime sur la rentabilité, et où les habitants peuvent prélever du bois pour leurs besoins sans industrialisation du massif. Une rareté en France.
C’est justement sur cette question de la prévention que Mathilde Allençon, cheffe de projet climat chez Kayrros, concentre ses efforts. Cette entreprise utilise l’intelligence artificielle et l’imagerie satellitaire pour suivre l’impact environnemental des activités humaines et anticiper les risques. “La prévention est encore perçue comme coûteuse. Notre rôle est de la rendre visible, mesurable et utile”, explique-t-elle.
Kayrros a ainsi collaboré avec les sapeurs-pompiers du sud de la France pour détecter les zones autour des maisons non conformes au débroussaillement. Charge ensuite aux soldats du feu d’aller visiter les propriétaires qui n’ont pas appliquer les OLD pour les sensibiliser. Grâce aux images satellites de la NASA et de l’ESA, l’entreprise produit des cartes en temps réel des zones à risque, modélisant la propagation des incendies sur 48 à 72 heures. “Ces données, croisées avec les informations des assureurs, permettent aussi des indemnisations plus rapides et plus justes”, ajoute-t-elle.
La technologie ne remplace pas l’action humaine, mais elle l’oriente. Après les incendies dans les Landes, Kayrros a pu estimer la gravité des dégâts avant même l’accès au terrain. “Nous pouvons créer des cartes de dommages très rapidement, utiles pour les collectivités, les assureurs et les opérateurs forestiers”. Ces données sont réactualisées chaque année et intègrent les catastrophes passées pour améliorer la précision des prédictions.
Kayrros ne se limite pas aux feux : artificialisation des sols, déforestation, émissions de méthane… l’entreprise fournit des indicateurs environnementaux adaptés aux besoins des entreprises et des pouvoirs publics. “Il faut agir sur trois leviers : financier, réglementaire et médiatique. Nous essayons d’outiller chacun de ces axes”, souligne Mathilde Allençon.
L’historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz le rappelle : les énergies se cumulent, elles ne se remplacent pas. Le bois, loin d’être une ressource du passé, conserve un rôle stratégique dans la construction, la chimie verte et la substitution au plastique. Mais cette relance ne peut se faire sans sobriété. “On ne coupe pas des arbres pour faire du bois-énergie. On coupe un arbre, puis on hiérarchise les usages”, pointe Pierre Massé.
L’enjeu est donc double : faire du bois un allié de la décarbonation sans mettre en péril l’écosystème. Cela suppose une sylviculture à couvert continu, avec un mélange d’essences et de classes d’âge, permettant une exploitation en rotation et un renouvellement naturel. Encore faut-il que les modèles économiques et techniques s’adaptent à cette vision plus fine et plus exigeante.
Pierre Massé alerte aussi sur certaines visions écologiques qui prônent l’ensauvagement total. “Cela peut sembler contre-intuitif mais cette démarche représente selon moi un danger. On risque d’accumuler du combustible, de favoriser les ravageurs et de rendre la lutte impossible dans certaines zones”. Il appelle à une gestion active, préventive et systémique, intégrant le changement climatique et la pression démographique croissante sur les zones à risque. Cette pression est particulièrement forte sur le littoral où les zones résidentielles s’étendent au plus près du massif, augmentant la vulnérabilité des populations et la complexité des interventions. Selon l’Insee, en Métropole, les 885 communes littorales accueillent près de 12 % de la population sur seulement 4 % du territoire.
Et l’afflux de populations en bord de mer est croissant. Pour réduire les risques, on ne pourra pas s’affranchir d’investissements lourds, d’une vigilance constante et d’une véritable culture du risque partagée. Plus que jamais, la sécurité repose sur une hiérarchisation claire des priorités : protection de l’humain, du bâti, puis de la forêt. Si les deux premiers sont assurés en amont, alors la troisième devient possible. “Le feu n’est pas une fatalité”, conclut-il, mais encore faut-il s’en souvenir plus de vingt-quatre mois…
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