Frans de Waal : “Le problème n’est pas la viande mais la maltraitance des animaux !”

We Demain : Qu’est-ce que “l’anthropodéni”, terme que vous utilisez dans votre dernier ouvrage ?

Frans de Waal : L’anthropodéni s’applique aux gens qui disent : “Nous ne sommes pas des animaux, on est totalement différents !” Quand je dis que “mon chien est jaloux”, je projette des sentiments humains sur l’animal, je pratique l’anthropomorphisme. Pour moi, ce n’est pas un si grand problème, en particulier avec les espèces qui nous sont proches, comme les primates et de façon plus générale les  mammifères. L’anthropodéni nie toute continuité entre nous et les animaux. Dans le domaine de la philosophie, de l’anthropologie, de la psychologie, on trouve beaucoup d’anthropodéni, je trouve que c’est un problème bien plus grand que l’anthropomorphisme.
 

Vous expliquez que l’animal ressent toutes les émotions – tristesse, joie, dégoût, amour, jalousie, attachement, justice… Quelle est selon vous la frontière entre l’animal et l’homme ?

L’homme est ni une machine ni une plante. Il est un animal ! La capacité unique de l’être humain, je pense, est le langage.

L’expression artistique ou la religion sont-ils uniquement le propre de l’homme ?

Il y a de plus en plus de recherches sur la perception des couleurs, sur le rythme, la musique chez les animaux, en particulier chez les oiseaux. Chez les Bowerbirds (oiseau d’Océanie), le mâle arrange des éléments en couleur… Il y a des expressions artistiques je crois chez les animaux.

Pour ce qui est de la religion ? Je ne sais pas… Il y a bien sûr des spéculations. Il y a deux ans, des scientifiques ont découvert que des chimpanzés en Afrique de l’Ouest jettent des pierres dans des arbres creux jusqu’à former des tas assez haut (sortes de cairns, ndlr) . Certaines personnes ont spéculé sur le fait que c’est peut-être un rituel sacré, le quotidien britannique Daily Mail a même titré “Les chimpanzés croient en Dieu”. Je trouve cela un peu fort !
 

Que vous inspire le mouvement L214 et les mouvements anti-spécistes ?

Si on regarde les animaux non comme des machines mais comme des êtres dotés de capacités cognitives, d ‘émotions, d’intelligence… On a certaines obligations morales. Dans les élevages, les abattoirs, il faudrait plus de transparence… Il y a toutes sortes de choses qui ne sont pas acceptables, toutes sortes de cruautés. Pour moi, le problème ce n’est pas le fait de manger de la viande, mais celui de mal traiter les animaux, en particulier les animaux d’élevage dont le nombre est si colossal [Franz de Waal a exclu tout mammifère de son alimentation depuis deux ans, ndlr].
 

Alors comment concilier la production de viande et le respect de l’animal ?

En premier lieu, on devrait réduire très significativement notre consommation de viande, parce qu’on a pas besoin d’en manger autant. Et aussi, il est nécessaire de mieux traiter les animaux d’élevage – amener les vaches au pré, faire que les cochons ne soient pas dans des cages mais puissent s’ébattre dans la boue…
La seconde solution est de faire de la viande synthétique (voir We Demain n°15) – on va la voir apparaître dans nos assiettes. Ainsi, on se passera des animaux et tout le problème disparaîtra.

Quel statut donner aux animaux ? Qu’aimeriez-vous dire aux législateurs ?

Dans l’Etat de Georgie, aux Etats-Unis, les poules ne sont pas considérées comme des animaux et cela signifie qu’on peut faire n’importe quoi avec. Aussi, la première chose à faire est de les reconnaître comme des animaux. La deuxième chose, il faut reconnaître que tous les animaux qui ont un cerveau (poissons compris) sont sentients [la sentience étant la capacité à expérimenter, sentir ou percevoir, ndlr], c’est reconnaître par là même qu’ils peuvent souffrir, éprouver de la joie, de la souffrance… Plutôt que de parler de statut et de droits des animaux, je préfère parler des obligation humaines ! Si on élève et on mange des animaux, on a l’obligation de bien les traiter, les respecter et de les tuer en évitant toute cruauté inutile.
 

Possédez-vous des animaux ?

J’ai eu pendant très longtemps des chats. Depuis mon enfance, je n’ai jamais vécu sans aquarium. Je possède un Plecostomus de 25 ans et un petit banc de loches-clowns ou botias d’une quinzaine d’années.

La Dernière Étreinte. Le Monde fabuleux des émotions animales… Et ce qu’il révèle de nous, par Frans de Waal, Les Liens qui libèrent, 384 pages, 22 euros.

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