Partager la publication "GIEC : oui, on peut réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030"
Clôturant la trilogie ouverte en août 2021 – avec son rapport sur la “science du changement climatique” suivi en mars 2022 par celui sur les “impacts et adaptation” –, le GIEC (Groupement intergouvernemental sur l’étude du climat) rend public ce lundi 4 avril 2022 son nouveau rapport sur l’”atténuation”. Initiée en 2018, cette somme signée par 278 scientifiques du monde entier dresse l’état des connaissances scientifiques sur les options de réduction des émissions (“l’atténuation” du titre) de gaz à effet de serre.
L’ouvrage s’ouvre sur le bilan des émissions passées et présentes et les perspectives d’émissions futures. Il balaie ensuite les options de réduction des émissions par grands secteurs ou systèmes. Avec une attention particulière portée à la demande et à la capture du carbone. Il se conclut par une discussion des politiques de lutte contre le changement climatique, leur financement et les innovations qu’elles requièrent ; le tout au prisme du développement durable. Nous présentons ici les principaux messages du rapport. En incitant les lecteurs curieux à partir à la découverte de cette documentation très riche.
Des émissions à la hausse malgré une mobilisation mondiale
Le point de départ est que des politiques de lutte contre le changement climatique sont maintenant en vigueur dans de très nombreux pays, et dans de très nombreux secteurs. Très variées, ces politiques “couvrent” déjà plus de la moitié des émissions mondiales.
Cette mobilisation se traduit aussi par des plans de décarbonation de plus en plus ambitieux. Un nombre croissant de pays s’engage maintenant vers la neutralité carbone à l’horizon 2050. Les efforts ne sont pas l’apanage des gouvernements nationaux. Ils existent aussi, de plus en plus nombreux, aux échelles régionales et locales. Ainsi que dans le secteur privé, à travers par exemple des réseaux de villes qui s’engagent vers la neutralité carbone.
Il n’en reste pas moins que malgré cette mobilisation, les émissions de gaz à effet de serre mondiales continuent d’augmenter.
Diviser par deux les les émissions de gaz à effet de serre entre aujourd’hui et 2030
Même si le rythme de leur croissance s’est ralenti, elles n’ont jamais été aussi élevées en valeur absolue. La chute brutale observée en 2020 du fait du Covid est déjà largement résorbée. Et les plans nationaux, pour ambitieux qu’ils soient, nous laisseraient en 2030 largement au-dessus des niveaux d’émissions compatibles avec les objectifs que la communauté internationale s’est fixés à Paris en 2015.
En fait, pour éviter que les températures moyennes à la surface du globe ne dépassent 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle – objectif “aspirationnel” de l’accord de Paris – il faudrait une division par deux des émissions de gaz à effet de serre entre aujourd’hui et 2030. Et l’atteinte de zéro émissions nettes de CO2à l’échelle mondiale à l’horizon 2050.
Réduire les émissions de 20 % à l’horizon 2030 et atteindre la neutralité CO2 vers 2070 s’avère nécessaire. C’est la seule chance raisonnable de tenir l’objectif de limiter la hausse des températures en deçà de 2 °C.
Des réductions à un coût raisonnable
De telles réductions d’émissions nécessitent des transformations majeures dans tous les secteurs. De ce point de vue, le rapport est prudemment optimiste.
En effet, de nombreuses options de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont vu leur coût diminuer drastiquement en quelques années. La production d’électricité à partir de panneaux solaires photovoltaïques, par exemple. En dix ans, elle est devenue compétitive avec la production d’électricité à partir des combustibles fossiles.
Les options de réduction des émissions disponibles permettent d’envisager, à coût raisonnable, de diviser les émissions par deux d’ici à 2030. Les coûts varient évidemment d’une région à l’autre. Et ils doivent être pris avec précaution du fait des importants effets de système. Construire de nouvelles lignes de courant pour acheminer la production d’électricité éolienne, construire les infrastructures de recharge pour les véhicules électriques…
Mais ce constat est valide pour bien des domaines. Les systèmes énergiques, l’agriculture et la forêt, le bâtiment, les transports, l’industrie ou encore dans les systèmes urbains.
Des solutions multiples contre les émissions de gaz à effet de serre
Point important, les options d’atténuation disponibles sont de natures multiples. Elles consistent en l’adoption de technologies “propres”. Mais aussi en des transformations des modes de production et de consommation, des infrastructures ou des organisations sociales.
Dans les transports, par exemple, on peut réduire la demande via l’optimisation des chaînes d’approvisionnement, le télétravail, ou la dématérialisation ; construire des infrastructures qui permettent aux ménages d’utiliser des modes de transport peu ou pas émetteurs, comme les transports en commun ou les mobilités dites “actives” (vélo, marche, etc.), en plus d’améliorer les véhicules individuels en les rendant plus légers, moins consommateurs d’énergie, et en les électrifiant.
Des obstacles à la mise en oeuvre de ces solutions
Toute la difficulté est de surmonter les nombreuses barrières à la mise en œuvre de ces solutions.
Les premières sont financières. Le rapport explore en détail les différentes solutions par lesquelles l’épargne. Celle-ci, l’épargne privée en particulier, pourrait être mieux dirigée vers les actions de réduction des émissions.
Les secondes sont technologiques. Et le rapport offre de nombreuses pistes pour mieux catalyser les efforts de recherche et développement publics et privés. Le but ? Développer des solutions de décarbonation dans les secteurs où les émissions sont les plus difficiles à réduire. Comme la production de ciment ou l’aviation.
Les troisièmes sont institutionnelles. Par nature dépendantes des configurations politiques propres à chaque pays ou à chaque région, elles s’avèrent néanmoins omniprésentes et requièrent tout autant d’attention.
Les quatrièmes sont d’ordre physique. Les bâtiments, les routes, les usines, en résumé toutes les installations à durée de vie ayant une influence déterminante sur nos émissions et sur notre capacité à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le rapport souligne à quel point nos choix en la matière, aujourd’hui, sont déterminants. Continuer à investir dans des infrastructures émettrices bloquerait ainsi nos économies sur un sentier à hautes émissions ou créerait des “actifs échoués” par la suite.
Des bénéfices “non climatiques” à la réduction des émissions de gaz à effet de serre
Plus largement, accélérer la réduction des émissions n’ira pas sans friction avec les autres grands objectifs que se donnent les sociétés.
Le rapport montre en effet qu’à court terme, les transformations induites par la réduction des émissions ont un coût économique et social, inégalement distribué selon les pays, les régions ou encore les secteurs économiques, mais bien réel.
En réponse, le rapport explore les options de transition “juste”. Celles qui permettent à tous de trouver leur place dans un futur monde bas carbone. Il souligne aussi que de nombreuses options de réduction des émissions ont des bénéfices additionnels “non climatiques”. Par exemple, limiter la combustion d’énergies fossiles. En plus de réduire les émissions de gaz à effet de serre, cela diminue les polluants locaux néfastes pour la santé.
Il montre que lever les obstacles à la réduction des émissions revient souvent aussi à lever les obstacles à la réalisation d’autres objectifs sociétaux. Dans le domaine de l’accès au logement par exemple.
Il rappelle enfin que les efforts associés à la réduction des émissions sont à mettre en regard des risques associés à une moindre action. Comme le souligne le rapport “impacts et adaptation” de mars 2022 :
“Le changement climatique menace de plus en plus la santé et les moyens de subsistance des populations du monde entier. Et entraîne des impacts sévères potentiellement irréversibles sur la nature.”
En évitant les impacts du changement climatique les plus sévères, l’atténuation est donc incontournable pour réduire la pauvreté et la faim, améliorer la santé et le bien-être ou encore fournir de l’eau.
Plongez-vous dans le “résumé pour décideurs”
En termes d’action, le rapport dessine des ensembles de politiques publiques à tous les échelons, pour inciter à la réduction des émissions, lever les obstacles et modifier les trajectoires de développement.
Il insiste aussi sur la nécessaire implication de l’ensemble des acteurs sociaux – entreprises, secteur financier, société civile, citoyens… – pour prendre des mesures immédiates et ambitieuses afin de réduire rapidement les émissions de GES et de nous éviter – et d’éviter à nos enfants – d’avoir à affronter, plus tard, des défis autrement insurmontables.
Le rapport “atténuation” est disponible en intégralité en ligne, tout comme son résumé technique et son résumé pour décideurs. Ce dernier document, d’une quarantaine de pages, constitue le meilleur point d’entrée pour partir à la découverte de ce nouveau document du GIEC.
A propos des auteurs :
Céline Guivarch : Économiste au Cired, directrice de recherche, École des Ponts ParisTech (ENPC)
Franck Lecocq : Chercheur senior en économie, directeur du Cired, AgroParisTech – Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.