Partager la publication "Gina Moseley : “Pour comprendre le réchauffement climatique, il faut fouiller notre passé”"
Et si c’était dans les grottes inexplorées du Groenland que l’on comprendra les mécanismes du changement climatique actuel ? La chercheuse britannique Gina Moseley, exploratrice et spéléologue polaire, en est persuadée. Pour l’été 2023, elle prépare une expédition en Arctique unique en son genre. Ce sera une première mondiale. Sa mission : partir à l’assaut de la péninsule du Wulff Land. Une région de l’extrême nord-ouest du Groenland qui abrite de nombreuses grottes à flanc de falaises. Des grottes dans lesquelles aucun être humain n’a encore jamais pénétrées.
Cette expédition scientifique, soutenue par Rolex qui a désigné Gina Moseley comme lauréate du Prix Rolex 2021, doit contribuer à mettre en évidence les risques du réchauffement des régions polaires pour notre planète et tous ceux qui la peuplent. Dans ces grottes, l’analyse des stalagmites et stalactites, véritables empreintes digitales géologiques, contribueront à retracer l’histoire climatique de la Terre. En Arctique, on y constate une hausse des températures deux fois plus rapide qu’ailleurs. Afin de mieux comprendre ce phénomène inquiétant, la climatologue compte fouiller notre passé. Une grotte après l’autre.
Gina Moseley : Je suis ce qu’on appelle paléo-climatologue à l’université d’Innsbruck en Autriche. J’observe les effets du climat sur la planète mais en remontant très loin dans le passé, par le biais des archives géologiques de la Terre. C’est-à-dire bien avant que l’être humain ne peuple la planète. Cette science étudie les variations qui ont pu se produire il y a des millions d’années. Des modifications qui vont ensuite nous aider à mieux comprendre notre système climatique et les mécanismes du réchauffement actuel. La question que l’on se pose est “où se trouvent les analogues passés du climat actuel et futur ?”.
Nous cherchons des similarités qui pourraient nous éclairer sur l’évolution présente. Mais aussi des périodes où la Terre a pu être encore plus chaude qu’elle ne l’est actuellement pour essayer de percer les mystères de ce qui pourrait se passer dans les siècles à venir. Nos recherches portent aussi sur les modifications climatiques rapides, comme celles que nous connaissons actuellement. Il y a tellement à apprendre du passé, le champ est très vaste.
Avec les autres climatologues, nous travaillons tous ensemble sur la même problématique mais sous des angles différents. Si on veut comprendre ce qu’il s’est passé par exemple durant la dernière ère glaciaire, il y a 20 000 ans, on ne peut pas prendre en compte qu’un lieu d’études particulier et qu’une seule méthode. Les résultats seraient totalement biaisés. Mais si on unit toutes les données collectées par des experts des océans, des glaces polaires, des roches montagneuses, des sédiments au fond des lacs, des minéraux issus des stalactites d’une grotte… alors on obtient une vision globale, et sans doute assez juste, du passé.
Concernant les grottes, on en trouve partout dans le monde, sous différents climats et altitudes. Il y en a en Asie dans les zones propices aux moussons, beaucoup en Europe aussi mais également en Afrique, en Amérique du Sud ou encore en Arctique. Si la plupart des études portent sur les zones tropicales en altitude moyenne, j’ai décidé de me concentrer sur le Grand Nord car cela reste encore inexploré. L’avantage de ces grottes est de pouvoir travailler sur des ressources totalement intactes. Je me concentre surtout sur les dépôts minéraux présents dans les stalactites de ces grottes. Cela permet de remonter à plusieurs centaines de milliers d’années. Voire plus d’un million d’années. A contrario que le carottage glaciaire du Groenland, par exemple, ne permet pas de remonter avant 128 000 années. Les glaces ont fondues et se sont mélangées. Les grottes de l’Arctique, elles, nous permettent d’avoir une vision d’un passé beaucoup plus lointain.
Elles ont ceci d’intéressant qu’elles nous permettent de remonter à des périodes où il faisait beaucoup plus chaud sur Terre qu’aujourd’hui. Nous avons déjà réalisé deux expéditions au nord-est du Groenland où nous avons pris des échantillons dans 20 à 30 grottes. Pour l’expédition Rolex prévue en 2023, nous allons notamment concentrer nos recherches sur une grotte en particulier. Elle a été photographiée en 1958 depuis un avion lors d’une expédition militaire américaine dans la région du Wulff Land, à l’extrême nord-oust du Groenland. La difficulté est qu’elle est située au sommet d’une falaise isolée, à 600 mètres de haut. C’est pour cette raison qu’aucune expédition s’y est encore rendu. C’est notre principal objectif l’été prochain. Mais il y a tellement de grottes au Groenland qu’il faudrait plus d’une vie pour toutes les explorer.
Sur les falaises les plus verticales, nous descendrons en rappel du sommet des montagnes pour accéder aux grottes. Si nécessaire, nous pourrons utiliser un hélicoptère. Et il y a toujours la possibilité d’utiliser un drone pour un premier repérage. Cela nous permettra de voir la profondeur de la grotte – ou si c’est juste une ombre sur la falaise. Et d’évaluer son intérêt éventuel pour nos recherches. Ensuite, à l’intérieur, nous prenons des informations de base : dimensions, latitude, longitude, altitude… Puis nous explorons la grotte pour voir si elle s’enfonce de 10 mètres, de 200 mètres ou plus. Ensuite, nous cartographions la grotte et nous la photographions sous toutes les coutures. Cela nous permet d’obtenir un modèle 3D de cette cave, que nous mettons ensuite en ligne.
Vient ensuite le travail scientifique proprement dit. Nous prélevons des échantillons de stalactites, qu’on appelle des flowstones [des pierres à écoulement composées de dépôts en forme de feuille de calcite, ndlr]. Nous recherchons toutes sortes de dépôts minéraux dans la grotte. Généralement, c’est assez facile car les stalactites ont fini par se casser et tomber au sol. Il est assez facile de les ramasser ou d’y avoir accès en creusant un tout petit peu. D’autres experts de l’équipe prélèveront des échantillons d’eau, feront des prélèvements microbiologiques, etc. Nous essayons de maximiser les recherches scientifiques de l’expédition. Enfin, tous ces prélèvements sont transportés par bateau. Il faut compter quelques mois pour les récupérer et pouvoir les analyser ensuite en laboratoire à Innsbruck. Cela prendra sans doute 2 ans pour en tirer des conclusions mais une chose est sûre : les grottes du Groenland sont des machines à remonter le temps.
“Les grottes du Groenland sont des machines à remonter le temps.”
Gina Moseley
Nous serons six environ. Outre moi-même, il y aura notre photographe, Robbie Shone. Nous serons aussi accompagnés par Chris Blakeley. C’est un spécialiste de l’escalade qui travaille pour l’équipementier Petzl. Il nous assurera dans les rappels le long des falaises. Nous aurons également un médecin et deux autres scientifiques complémentaires. Et nous comptons faire appel à des scientifiques groenlandais pour se joindre à nous en juillet prochain. Nous avons choisi cette période car c’est la meilleure période en termes de températures et de stabilité météorologique. Et on profitera du soleil polaire (visible jour et nuit ou presque) pour maximiser notre temps de travail.
Nous établirons un camp près des falaises que nous allons explorer pour ne pas perdre de temps. La difficulté, ce sont les ours polaires. Pour limiter les risques, nous alignerons nos tentes au lieu de les mettre en cercle. Si jamais un ours polaire vient nous voir de près, il ne faut pas qu’il se sente piégé au milieu du campement. Il doit pouvoir s’échapper facilement, d’où cette installation en ligne. L’espace cuisine et le garde-manger seront, eux, éloignés et nous mettrons une corde dotée de petites cloches tout autour du campement pour être alerté en cas d’intrusion. Mais généralement, nous faisons trop de bruit pour qu’ils s’approchent. En revanche, avec le réchauffement climatique, il y a de plus en plus de loups dans la région, il faudra surveiller ça. Mais j’espère bien en apercevoir quelques-uns !
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