Partager la publication "Glacier de la Marmolada : 98 terrains de football “évaporés” depuis 2019"
Le choc des photos, le poids des chiffres. En ce début d’automne 2024, à la fin de l’été, bon nombre de scientifiques font le point sur la fonte des glaciers en Europe. C’est le cas en Italie où la dernière Caravane des Glaciers 2024 (Carovana dei Ghiacciai, menée par l’association environnementale Legambiente) chargée de prendre des mesures a publié ses premiers résultats. Et les nouvelles ne sont pas bonnes pour le glacier de la Marmolada, plus grand glacier des Dolomites, situé au nord-est de l’Italie.
Ce nom vous dit surement quelque chose : le 3 juillet 2022, une chute impressionnante de sérac – un bloc de glace de grande taille – qui s’était subitement détaché en altitude (à 3 213 m) avait fait pas moins de onze morts et sept blessés. On estime que 64 000 tonnes de glace, d’eau et de débris se sont effondrés, s’écoulant sur environ 2,3 km vers la vallée.
Pour expliquer ce funeste événement, le réchauffement climatique avait très vite été pointé du doigt. Y compris par le Premier ministre, Mario Draghi, qui expliquait que la catastrophe était “sans aucun doute” en lien avec “la dégradation de l’environnement et de la situation climatique”. Selon une étude sur les causes de cet effondrement, une étude explique que la principale cause de la catastrophe de la Marmoloda était une faille le long d’une crevasse. Celle-ci s’est peu à peu remplie d’une grande quantité d’eau de fonte.
Cette retenue sous glaciaire a été rendue possible en raison de températures exceptionnellement élevées, indiquent les auteurs de l’étude, les professeurs Aldino Bondesan et Roberto G. Francese. Quand le volume de cette poche d’eau est devenu trop important, cela a créé une surpression qui a conduit à l’effondrement soudain du glacier. Jacopo Gabrieli, glaciologue à l’Institut des sciences polaires de Venise, souligne que la vitesse de fonte de la glace ne cesse de s’accélérer : “Ce glacier a perdu 30 % de son volume de glace en dix ans. Si rien ne change, nous pensons que d’ici 2042, il aura disparu.”
En parlant de chiffres qui font peur, rappelons que le front glaciaire a reculé de 1 200 mètres depuis 1888 (date des premières mesures) et se situe désormais au-dessus de 3 500 mètres d’altitude. Et, selon les dernières données relevées par les scientifiques, au cours des cinq dernières années, le glacier a perdu pas moins de 70 hectares de superficie. Cela équivaut à la surface de 98 terrains de football. D’environ 170 hectares en 2019, la Marmolada n’en affiche plus que 98 en 2023. À ce rythme, dans moins de deux décennies, ce glacier n’existera plus, il est entré dans un “coma irréversible”, estiment les scientifiques.
La Marmolada est “un glacier mourant, marqué par une accélération de la fonte, explique Vanda Bonardo, directrice nationale alpine de Legambiente et présidente de CIPRA Italia. C’est un processus dont les chiffres sont impressionnants et qui nécessite des réponses urgentes à partir d’une gouvernance territoriale durable.”
Valter Maggi et Marco Giardino, respectivement président et vice-président du
Comité Glaciologique Italien, confirment : “Les données glaciologiques de la Marmolada rendent ce glacier emblématique de la souffrance de tous les glaciers alpins. C’est un corps glaciaire mal nourri qui souffre du réchauffement climatique et des activités humaines.”
S’il y a 136 ans il s’étendait sur d’environ 500 hectares et avait la taille de 700 terrains de football, le glacier a enregistré depuis 1888 une perte superficielle de plus de 80 % et une perte volumétrique de plus de 94 %. En 2024, l’épaisseur maximale mesurée a été de 34 mètres. La fonte accélérée des glaces à haute altitude laisse place à un désert de roche blanche. Peu à peu de nouveaux écosystèmes, qui s’épanouissaient autrefois bien plus bas en altitude, prennent vie au-dessus de 2000 et même 3000 mètres.
Une condamnation à mort que la Marmolada partage aussi avec d’autres glaciers des Alpes italiennes, dont celui d’Adamello, situé entre Lombardie et Trentin, et du Forni, en Lombardie. Deux glaciers qui ont encore une surface de plus de 10 km2 mais qui connaissent eux aussi un fort retrait depuis quelques décennies.
Les fortes chaleurs de l’été 2023 ont provoqué, sur certaines journées, une perte d’épaisseur de 7 cm sur le glacier de la Marmolada. Sur celui de Forni, ce sont 10 cm de glace qui pouvaient disparaître en seulement 24 heures aux endroits des relevés. Enfin, concernant Adamello, les chercheurs expliquent qu’on marche aujourd’hui sur de la “glace issue des chutes de neige des années 1980.”
Les scientifiques de cette cinquième édition de la Caravane des Glaciers, qui a étudié, du 5 août au 9 septembre, pas moins de 12 glaciers, s’inquiètent aussi des conséquences des bâches plastiques posées sur le glacier de la Marmolada notamment. Depuis quelques années, ces couvertures blanches géantes sont posées pour tenter de garder les glaciers au frais, du moins partiellement. Sur la Marmolada, c’est aujourd’hui pas moins de 4 hectares qui sont ainsi recouverts, une surface qui a doublé le début de l’expérimentation.
Le hic est que ces immenses bâches plastiques se désagrègent peu à peu face aux éléments parfois rudes en haute montagne. Legambiente soupçonne une pollution aux microplastiques assez importante. Pour le confirmer, en juillet dernier, des membres de l’Université de Padoue ont réalisé un premier prélèvement d’eau de fonte du glacier.
Legambiente pointe aussi du doigt les déchets encore trop souvent laissés dans la nature par les alpinistes et les randonneurs, mais aussi ceux, anciens, qui apparaissent à la fonte des glaces. Les vieilles installations (remontées mécaniques, usines hydroélectriques, etc.) laissées à l’abandon et non démantelées pour des raisons de coûts sont aussi problématiques et créent de la pollution dans un écosystème déjà très fortement fragilisé.
Pour toutes ces raisons, l’association environnementale a lancé une pétition pour exiger du gouvernement italien et des institutions européennes une série de mesures afin de protéger les montagnes. Elle soutient en cela le Manifeste pour la reconnaissance de la valeur des glaciers et la sauvegarde de nos écosystèmes de Climbing for Climate.
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