Partager la publication "Habitat : miser sur le pisé pour davantage de sobriété"
En France, cela fait bien longtemps que le béton a remplacé les murs en briques, en fagots de bois et en paille des célèbres trois petits cochons. Matériau de construction le plus répandu, il a pourtant une empreinte carbone très élevée. S’il était un pays, le béton-ciment serait le troisième émetteur planétaire de gaz à effet de serre derrière la Chine et les États-Unis, d’après l’Association mondiale du ciment et du béton (GCCA). En octobre 2021, celle-ci a révélé que 7 % des émissions globales étaient dues à la production du ciment.
Alternative plus sobre, le pisé se fraie un chemin pour revenir sur le devant de la scène. Très utilisée comme matériau de construction du XVIIIe au XXe siècle, essentiellement dans la région Rhône-Alpes, cette terre crue était tombée petit à petit dans l’oubli après la Seconde Guerre mondiale. Depuis quelques années, elle réapparaît chez des particuliers, sur les bâtiments publics de certaines collectivités et même dans les manuels scolaires des écoles d’architecture.
En 2022, WE DEMAIN a noué un partenariat avec le Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ). Onze jeunes journalistes en contrat de professionnalisation ont travaillé à la production d’une série d’articles autour du thème de la sobriété. Retrouvez ici l’ensemble des sujets publiés sur la question.
Le pisé, de la terre crue plutôt argileuse
Concrètement, pour faire un mur en pisé, “il faut de la terre en vrac, plutôt argileuse et légèrement humide, qu’on va piser. Cest-à-dire qu’on va la compacter et rendre son volume environ trois fois plus petit”, explique Franck Charreton. Basé à Nivolas-Vermelle (Isère), cet artisan-maçon rénove des bâtiments anciens, dont la grande majorité en pisé, en colmatant simplement les parties et enduits abîmés.
Dans le Nord-Isère, où le pisé représente 70 % du bâti ancien, Romain Fulchiron a acquis une maison de ce type il y a deux ans, à La Bâtie-Montgascon. “L’idée était de se rapprocher d’une maison bioclimatique en matériaux naturels, qui collait avec mon projet de reconversion professionnelle.” Ancien informaticien à Paris, devenu producteur de fruits il y a deux ans, il a fait appel à un artisan pour la rénovation de son habitation. Celui-ci l’a ensuite conseillé, afin qu’il rafraîchisse lui-même les enduits intérieurs en terre, qui “rendent la maison chaleureuse et confortable. Elle a un côté antique, une âme.”
“Un matériau à très faible empreinte carbone”
La terre utilisée sur les chantiers de construction peut provenir de carrières. Mais aussi être récupérée sur place ou à proximité. “C’est un matériau à très faible empreinte carbone qui nécessite peu d’énergie tout au long de son cycle de vie, explique Sophie Bioul, architecte au bureau d’études Amàco, spécialisé dans l’utilisation de matériaux naturels et basé à Villefontaine (Isère). Le pisé n’a pas besoin d’être transformé et il peut être recyclé à l’infini.”
D’autant plus que, contrairement aux idées reçues, le pisé résiste aux épreuves du temps. Les rares cas d’effondrement sont souvent liés à de mauvaises rénovations. Des erreurs qui ont conduit à des infiltrations d’eau dans les murs. “Si on ne fait pas n’importe quoi avec, comme rajouter des enduits en béton, il peut traverser les siècles sans problème, précise Franck Charreton, l’artisan maçon. C’est la construction en matériaux naturels la plus solide qui existe.”
“Sans vivre dans le noir comme nos voisins et en gardant nos volets ouverts, nous avons réussi à maintenir une fraîcheur relative durant l’été.”
Romain Fulchiron, habitant d’une maison en pisé.
Le bilan carbone “exemplaire” du pisé va même au-delà. “Il permet de réduire les consommations énergétiques dans l’habitat. Que ce soit en climatisation, en chauffage ou en ventilation, grâce à ses vertus de régulation thermique et hygrométrique”, précise Sophie Bioul. Un constat que vient d’expérimenter Romain Fulchiron lors la canicule de l’été dernier. “Sans vivre dans le noir comme nos voisins et en gardant nos volets ouverts, nous avons réussi à maintenir une fraîcheur relative durant les grosses chaleurs.”
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Un matériau prisé par les architectes
Chez Amaco, le bureau d’études où travaille Sophie Bioul, les demandes d’accompagnement affluent quotidiennement. Les projets de constructions neuves se multiplient partout en France. Un succès tel que Amaco souhaite désormais privilégier les sollicitations locales. Dernier en date pour l’entreprise : un chai en terre crue avec un mur d’enceinte en pisé, au nord de Bordeaux. “Le pisé est également prisé par les architectes pour son aspect esthétique. Vivre dans une habitation en terre a quelque chose de poétique et fait appel aux sens.”
La limite principale au développement de ce matériau sobre reste le coût élevé en termes de main-d’œuvre. Le mode de préfabrication en atelier ou sur chantier, ainsi que la mécanisation des outils sont autant d’innovations qui pourront réduire les coûts dans les prochaines années. “Avec l’augmentation des prix de l’énergie et des matières premières dans le bâtiment, le pisé – qui est très bon marché – pourrait donc devenir plus compétitif à l’avenir”, ajoute Sophie Bioul.
“Avec l’augmentation des prix de l’énergie et des matières premières dans le bâtiment, le pisé – qui est très bon marché – pourrait donc devenir plus compétitif à l’avenir.”
Sophie Bioul, architecte.
Des bâtiments publics modernes construits en pisé
Les collectivités tendent également à davantage valoriser le pisé. Il y a trois ans, à Nanterre (Hauts-de-Seine), le groupe scolaire Miriam-Makeba est devenu, en Ile-de-France, le premier bâtiment contemporain accueillant du public construit en terre crue. A Lyon, le pisé sera bientôt l’élément de base des futurs Ateliers de la danse, construits d’ici fin 2025. Le chantier fera partie d’un grand projet doté à hauteur de 60 millions d’euros, porté par la Ville de Lyon. Il sera situé sur l’îlot Kennedy (8e arrondissement).
“C’est un retour aux sources, car le pisé a une tradition locale”, rappelle Sylvain Godinot, deuxième adjoint à la mairie de Lyon, en charge de la transition écologique et du patrimoine. Si le pisé a été choisi parmi d’autres propositions, l’accent a surtout été mis sur “l’utilisation de matériaux bio-sourcés et géo-sourcés, avec un niveau de performance élevé et sobre en énergie et carbone (E3C2)”. Pour la municipalité écologiste de la capitale des Gaules, la valorisation de ce matériau est donc un des moyens “pour remplir [son] objectif d’aller vers la neutralité carbone”.
Dans les programmes des écoles d’architectures
Cet engouement grandissant pour les matériaux en terre se retrouve aussi dans les programmes des certaines écoles d’architecture. L’Ecole nationale supérieure d’architecture de Grenoble (Ensag) est pionnière dans le domaine. “En 1984, nous avons créé un post-master en deux ans sur l’architecture de terre pour répondre aux spécificités de notre patrimoine, expose fièrement Bakorina Rakotomamonjy, enseignante-chercheuse et ancienne coordinatrice pédagogique de la formation. Lors de la dernière session de sélection en 2020, nous avons reçu 175 candidatures pour 25 places.”
“Il y a une grosse prise de conscience des étudiants en architecture sur les enjeux climatiques.”
Julien Nordoul, doctorant à l’Ensag.
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Le laboratoire Craterre, lancé en 1979, a également été créé au sein de l’Ensag pour œuvrer à la recherche sur les architectures de terre. Si ces enseignements restaient marginaux il y a encore quelques années, l’enseignante chercheuse note “une vraie reconnaissance depuis cinq ans”. Julien Nourdin, doctorant de l’Ensag, s’est d’ailleurs emparé du sujet du développement des matériaux en terre dans la région pour sa thèse. “Il y a une grosse prise de conscience des étudiants en architecture sur les enjeux climatiques”, se réjouit-il.
Auteurs : Élise Neyret et Émile Vaizand.