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“Il faut repenser l’économie pour une décroissance progressive, positive et inclusive”

La Française Chloé Mikolajczak, 29 ans, travaille à l’organisation de campagnes de lobbying en faveur du climat à l’échelle européenne. Elle s’est concentrée sur différents sujets comme le droit à la réparation des appareils électroniques et l’industrie de la mode (avec le mouvement Fashion Revolution). Plus récemment, c’est sur la lutte contre les énergies fossiles (“Fossil Free Politics”) qu’elle s’est focalisée. Elle utilise par ailleurs son compte Instagram @thegreenmonki et le podcast qu’elle a créé “The burning case” pour vulgariser les enjeux environnementaux au sein de l’Union européenne.

Changearth Project est une série de portraits de jeunes engagés pour la transition écologique, partout en Europe. Co-créé par deux étudiantes, Astrid et Carla, ce projet vise à mettre en lumière ces jeunes qui se mobilisent en faveur du climat et de la biodiversité, et à inspirer les autres à faire de même. Tout au long de l’été, WE DEMAIN va publier une fois par semaine l’un de ces portraits engagés.

C’est durant sa première année de licence en droit à l’Université Panthéon-Assas que Chloé a pris conscience de l’impact des activités humaines sur l’environnement. Elle a poursuivi ses études à Bruxelles avec un Master en sciences et gestion de l’environnement, puis en lobbying et communication politique. Elle est d’abord entrée dans le monde du travail en rejoignant un cabinet de conseil en RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise). Cependant, elle a vite eu le sentiment qu’elle ne parviendrait pas à faire changer les grandes entreprises de l’intérieur. “À mon avis, tant qu’il n’y aura pas de régulation hyper ambitieuse pour obliger les entreprises à changer, on n’y arrivera pas.” La jeune femme a alors décidé de se tourner vers la politique publique et le lobbying environnemental. 

Faire campagne pour le droit à la réparation…

Pendant 2 ans, Chloé a travaillé pour l’ONG anglaise The restart project. Celle-ci fait partie de la coalition Right to repair et exerce une activité de plaidoyer au sein de l’UE et des États membres. Cette dernière représente 80 organisations dans 17 pays d’Europe, avec pour objectif de “travailler à rendre la réparation universelle”. En effet, compte tenu de l’utilisation de métaux rares dans nos appareils et de l’impact environnemental des déchets électroniques, il est crucial de les réparer.

Pourtant, “les fabricants font en sorte que la réparation soit compliquée, chère, et qu’elle puisse être faite uniquement par certains réparateurs autorisés. Par exemple, dans un iPhone, on ne peut pas changer la batterie soi-même, ce qui permet à la marque de vendre toujours plus de smartphones neufs.” Il y a aussi le problème de l’obsolescence programmée des appareils conçus pour ne durer que 3 ans. Même si, comme l’explique Chloé, il est plus facile de démontrer leur “obsolescence prématurée” devant la loi. 

Selon elle, la solution serait d’obliger les entreprises à penser en amont un design différent pour les objets électroniques. Objectif : les rendre facilement réparables. C’est précisément ce que la coalition tente d’obtenir au niveau européen. Des lois ont déjà permis des avancées, notamment la directive Ecodesign, mais elles restent jusqu’ici insuffisantes pour permettre une réparation facile et à un prix abordable. Une proposition de la Commission européenne sur le droit à la réparation sera également soumise au vote à la fin de l’année.

…une forme de lobbying en faveur du climat

Ce lobbying environnemental peut prendre différentes formes. Par exemple, “au moment des votes clés du Parlement, on demande à tous nos soutiens d’envoyer des mails ou des tweets pré-écrits à des personnes qui jouent un rôle clé dans le vote, en particulier les parlementaires”. Une autre action à laquelle Chloé a participé, organisée par plusieurs ONG, consistait à empiler des imprimantes cassées devant la Commission européenne. Le but était de la pousser à respecter son engagement, à savoir légiférer sur la réparation des imprimantes. 

Bruxelles est la deuxième ville où le lobbying est le plus important au niveau mondial. On y compte plus de 25 000 lobbyistes. Ce terme est connoté négativement, mais, comme le souligne Chloé, il désigne des organisations très différentes. “Ce sont aussi bien des ONG environnementales que des défenseurs d’intérêts privés ou des think tanks, utilisés par les grandes entreprises pour influencer les votes en leur faveur.” Toutefois les lobbys industriels ont des budgets bien plus élevés et restent peu encadrés. “Notre arme, en tant que petits lobbyistes, c’est de faire savoir au public ce qu’il se passe. Je travaille d’ailleurs sur un projet pour mieux faire connaître le pouvoir des lobbys via les réseaux sociaux.”

La vulgarisation au grand public, son autre vocation

La jeune femme cherche à rendre tous ces sujets clés accessibles, en variant les supports. Dans son podcast The burning case, elle effectue un véritable travail de vulgarisation des enjeux climatiques et des processus politiques européens. Elle varie les invités et formats, avec des épisodes longs qui détaillent une thématique en particulier ; et des épisodes de 15 minutes. Ces derniers sont souvent des appels à l’action, par exemple pour relayer une pétition ou un vote ouvert aux citoyens. 

Un des épisodes qui a le mieux marché dénonçait le manque de diversité et d’inclusion des minorités dans les instances européennes et dans le secteur de l’environnement. On en a fait une pétition et une campagne avec le #GreenBrusselsSoWhite, et beaucoup d’institutions se sont engagées à faire mieux.” Enfin, le podcast donne des pistes sur comment agir à son échelle : rejoindre des collectifs, voyager en train, réduire sa consommation de viande, bien choisir ses fournisseurs d’énergie ou encore changer de banque.

Chloé alimente aussi régulièrement son compte Instagram @thegreenmonki. Elle l’utilise pour communiquer sur les débats environnementaux clés en Europe, partager ses actions, et sensibiliser ses 10 000 abonnés. Elle prend son rôle à cœur, mais souligne également l’importance de laisser la parole aux minorités, trop peu invitées à s’exprimer dans les médias.

Repenser notre économie, en commençant par les politiques européennes

Pour la jeune activiste, le plus grand défi auquel nous faisons face aujourd’hui est la nécessité de repenser notre économie. “La crise climatique nous amènera quoi qu’il arrive à décroître, mais il serait préférable de planifier cette décroissance pour qu’elle soit progressive, positive et inclusive.” Chloé est particulièrement attristée par le manque d’ambition des politiques des États européens sur ces sujets. Parmi les mesures les plus urgentes à mettre en place, il y a par exemple l’arrêt des subventions aux énergies fossiles. Mais aussi l’accélération de la rénovation énergétique des bâtiments ; la taxation des transports polluants comme l’avion. Ou encore des lois pour s’assurer que les échanges internationaux se fassent dans le respect de l’environnement et des droits de l’Homme.

Selon elle, l’Union Européenne a un grand potentiel pour légiférer sur des enjeux comme les droits humains, la démocratie et le réchauffement climatique. Néanmoins, il faudrait la reconstruire pour la rendre plus démocratique, avec par exemple des consultations et assemblées citoyennes.” Les institutions européennes, pensées dans le cadre d’une union commerciale, sont inadaptées à l’union politique que l’UE est devenue.

Avec ce fonctionnement en trilogue de la politique européenne, même si on a des propositions ambitieuses de la part de la Commission, elles peuvent être affaiblies par le Parlement et surtout le Conseil européen. C’est difficile de faire bouger les choses, même de l’intérieur. Chloé cite l’exemple de la Hongrie et de la Pologne. Les deux pays dépendent du charbon et ne sont donc pas favorables à des objectifs suffisamment ambitieux pour en sortir. Un soutien financier serait nécessaire pour les aider à se tourner vers des énergies plus propres. Et c’est pourquoi l’UE a un rôle important à jouer. 

Agir collectivement pour avoir un impact

Finalement, pour la jeune femme, c’est en rejoignant un collectif qu’on arrive à exercer une vraie pression sur la sphère politique. “En travaillant toutes et tous ensemble, on pourrait littéralement changer le monde.” Au niveau individuel, on peut commencer par suivre les ONG spécialisées sur les réseaux (sur les océans, l’agriculture, etc.), pour être au courant des votes importants au Parlement, des campagnes en cours et des pétitions. “C’est important de signer ces pétitions, d’aller manifester, ou encore de contacter directement nos représentants au Parlement pour influencer leur vote, par exemple en les taggant sur les réseaux sociaux.” 

La jeune activiste a également lancé le programme “Green Seeds” qui crée du lien entre des écoles isolées géographiquement en les faisant travailler ensemble sur les enjeux environnementaux. L’objectif est de simplifier ces sujets, et la méthode consiste à informer, par exemple en montrant un documentaire, puis à organiser des débats approfondis. Pour finir, les élèves ont l’opportunité de créer leurs propres projets par petits groupes. Certains ont par exemple cherché à obtenir des produits biologiques et sains à la cantine, ou organisé une vente de vêtements de seconde main. “Depuis le début de Green Seeds en 2018, on a parlé à plus de 500 jeunes. On essaie de leur expliquer clairement les enjeux, de leur montrer les solutions pour agir à leur échelle, et le pouvoir du collectif, car personne n’est trop petit pour agir.” 

Aujourd’hui, Chloé travaille sur une nouvelle campagne de lobbying européen pour la sortie des énergies fossiles, “Fossil Free Politics“. Elle continue de communiquer et sensibiliser au travers de son podcast et de son compte Instagram, et reste déterminée à faire bouger les choses grâce aux instances européennes.

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