Saint-Brieuc, en Bretagne, je pousse pour la première fois la porte d’une consultante en funérailles écolos. Sandra Rolland m’accueille dans une robe à fleurs. Elle va me guider dans la préparation de mon enterrement, comme elle le fait avec des personnes prévoyantes ou en fin de vie. Ok, j’ai 35 ans, je suis en bonne santé et je n’ai pas l’intention de rendre l’âme sous peu. Mais je ne tiens pas à ce que ma dépouille aggrave le réchauffement climatique.
L’entretien commence. Je suis un peu fébrile. J’évoque mon goût des cerisiers, mon féminisme viscéral et mon amour de l’Espagne. Au terme de cette heure de révélations, je dois esquisser un choix pour la destinée de mon corps post mortem. Craignant que funérailles écolos riment avec crémation, je fais part à Sandra Rolland de mon aversion pour le feu. « Quelles sont les funérailles les plus écologiques ? C’est l’inhumation en pleine terre, c’est-à-dire sans caveau ni pierre tombale », me répond la jeune femme de 37 ans. Ouf ! Je repars, vraiment soulagée.
Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n° 35. Un numéro toujours disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne.
Second entretien, deux semaines plus tard. Je suis prévenue, cette fois-ci, on va rentrer dans le dur : soins du corps, cercueil, cimetière et autres réjouissances funéraires… Avant tout, il faut décider du devenir de mon cadavre avant l’enterrement. Il existe une solution expéditive : le don du corps. La faculté de médecine prend en charge le transport et tous les frais des pompes funèbres. Malgré la dimension altruiste de cette option, non, personnellement, je préfère m’imaginer au fond d’une boîte plutôt que dans un amphi de carabins intrigués.
Et en attendant la cérémonie, organisée dans les six jours suivant le décès (sans compter dimanches et jours fériés), je préfère me reposer chez moi. Ça doit être fatigant de mourir. C’est surtout plus pratique, plus écolo et plus économique que d’être transportée et conservée dans la chambre mortuaire d’un l’hôpital ou d’un funérarium.
« Que voulez-vous pour votre corps ? » Je préfère rester intacte. « Pour cela, il faut faire des soins.» Comment ça, on ne va pas prendre soin de mon corps si je ne le réclame pas ? Non. Dans le jargon funéraire, les soins, c’est ce traitement réalisé par les thanatopracteurs consistant à injecter du formol pour retarder le processus de décomposition. Ils ne sont pas obligatoires, sauf en cas de rapatriement à l’étranger. Un rapport de l’Anses (Agence nationale sécurité sanitaire alimentaire nationale) stipule que le formol (alias formaldéhyde) est classé cancérogène par l’Union européenne (1). Vous me direz, je serai morte. Il n’empêche que c’est un produit nocif, à la fois pour les professionnels et pour les sols.
L’Anses recommande d’ailleurs aux opérateurs funéraires « d’éviter de recourir, lorsque les familles n’en font pas la demande, aux soins de conservation au profit des toilettes et des techniques du froid (cellule réfrigérée) ». Aux thanatopracteurs « d’utiliser les alternatives au formaldéhyde ». Et aux pouvoirs publics « de réglementer la gestion des déchets suite aux soins de conservation, de façon à limiter les risques liés à des opérations de transport, stockage, traitement et élimination ».
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Pas de soins, donc. J’opte pour une toilette mortuaire simple. Au naturel quoi. « D’accord, poursuit Sandra Rolland. La toilette consiste à obstruer les orifices pour absorber les écoulements, à mettre des protections hygiéniques et à suturer la bouche pour qu’elle reste bien fermée. »
Parfait, ça me paraît très bien ! Je préfère des vêtements en fibre naturelle, et pas de bijoux, trop polluants. Juste ma petite touche personnelle, des paillettes. « Le détail qui tue », plaisante ma consultante funéraire. Pour l’ultime présentation à mes proches, me précise-t-elle, je peux opter pour le biosac : un sachet composé de charbon actif et d’argile naturelle, posé sur le ventre afin d’éviter les écoulements et les mauvaises odeurs provenant de l’abdomen, la partie du corps la plus nécrophage. Ensuite, dans le cercueil, pas de mystère : la pourriture sera mon lot.
N’y a-t-il pas d’autre méthode pour endiguer cette putréfaction ? Il y a bien l’humusation, mais c’est autorisé nulle part en France, m’informe Sandra Rolland. Ce processus de compostage consiste à envelopper le corps de broyat. En trois mois, les micro-organismes se nourrissent de ses chairs et, en un an environ, les os se décomposent, nourrissant le sol de phosphore.
Manon Moncoq, anthropologue du funéraire et de l’environnement, qui rédige une thèse sur les funérailles écologiques, a recensé bien d’autres techniques.
« Parmi les autres modes de sépulture écolos, légaux dans certains États américains et canadiens, on trouve le procédé Recompose. On utilise un sas hermétique, des champignons et de la pression extérieure pour réduire le corps en compost ; mais aussi l’aquamation, une crémation par l’eau : une solution alcaline fait disparaître les chairs. La promession, inventée en Suède, consiste à plonger le corps dans de l’azote liquide pour le congeler à l’extrême, avant de le rompre en petits morceaux sur une table vibrante. »
Maintenant que le sort de ma carcasse est scellé, il faut s’atteler aux à-côtés : cercueil, pierre tombale, et tout le tintouin. En France, le cercueil est obligatoire. Impossible de défraîchir en linceul, qui m’aurait pourtant semblé le plus écolo. Mais j’avais anticipé cela en me faisant expédier par la poste un sobre mais élégant cercueil en carton.
Ma guide brise mon engouement : « Pour une inhumation, c’est impossible, le carton n’est autorisé qu’au crématorium. » Il aurait donc fallu que je veuille être incinérée pour profiter d’une dernière demeure en carton kraft. Mais cela aurait-il été vraiment écolo ? Le sujet fait débat dans la profession. L’objet, à base de papier recyclé et de colle végétale, est fabriqué en France, et on peut en acheminer mille dans un semi-remorque. Cependant, il nécessite légèrement plus d’énergie pour brûler le corps : le carton n’offre pas l’apport calorifique généré par le bois, permettant d’accélérer la combustion. Selon les études, la différence est minime, mais en faveur du bois.
Je parcours les pages du catalogue de cercueils boisés écoresponsables… « Voulez-vous un cercueil avec des moulures ? », me demande Sandra Rolland. Non, un premier prix fera l’affaire. Je choisis une boîte en pin, passé par une forêt écogérée et une scierie françaises, recouvert d’hydrocire (eau et cire naturelle).
Combien coûtent ces six morceaux de bois assemblés ? « Autour de 1 000 euros, me répond ma conseillère. Tout dépend ce qui se fait dans votre ville. » J’ai une chance inouïe : c’est à Nantes, près de chez moi, que la première coopérative funéraire française a vu le jour, en 2017. L’agence guide les familles sans but lucratif. Pour la cérémonie, fleurs locales et de saison, précisé-je en espérant mourir au printemps.
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« Vous avez le cercueil de vos rêves, passons à la tombe, sourit Sandra Rolland. Il faut savoir que la pierre explose les compteurs en termes d’écologie : coût de fabrication, transport, pose, etc. »
Parfait, je n’avais pas l’intention de m’infliger un bloc de granit au-dessus de la tête comme 95 % des cadavres français. Il y a une trentaine d’années, des carrières non exploitées ont été découvertes en Chine et en Inde avec des granits veinés, orange, vert, rouge. Ces nouvelles pépites chatoyantes et bon marché ont conduit un tiers des granitiers français (surtout bretons et tarnais) à déposer le bilan.
Aujourd’hui, 50 % du granit arrive d’Asie dans des porte-conteneurs par dizaines de millions de tonnes chaque année. Les Français ne sont pas très regardants sur cet aspect. En 2019, seuls 23 % d’entre eux plaçaient la fabrication française de la pierre tombale comme le premier critère d’achat .
Dernière étape de l’accompagnement : le cimetière. Je suis confiante, j’ai repéré des cimetières écologiques verdoyants à côté de Niort (Deux-Sèvres), Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), ou carrément dans la forêt d’Arbas (Haute-Garonne). Sandra Rolland douche mes espoirs. Cette forêt est réservée aux urnes cinéraires (donc en cas de crémation) et de toute façon, je ne peux être enterrée que sur mon lieu de résidence, mon lieu de décès ou dans une concession déjà payée ou abritant l’un de mes parents décédés. L’espace d’un instant, je m’imagine déménager à Niort pour bénéficier d’une éternité bucolique.
Avant de me rendre à l’évidence : je serai enterrée à Nantes, là où il y aura de la place. « Si seulement il y avait une petite rivière au bout du cimetière pour que les clapotis me bercent », songé-je. « Impossible, me rétorque ma guide. Le corps qui se décompose, surtout quand il a reçu une chimiothérapie ou ingurgité des pesticides de son vivant, produit du gaz et pollue les nappes phréatiques. »
S’il est aussi compliqué d’être écolo dans la mort, je vais tâcher de l’être dans la vie.
(1) Alternatives potentielles au formaldéhyde en thanatopraxie.
(2) Avis de l’Anses, Rapport d’expertise collective, mars 2020.
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