Partager la publication "La nappe de Beauce, un géant hydrique sous pression"
La nappe de Beauce, située au sud-ouest de Paris, constitue l’un des plus grands réservoirs d’eau souterraine en France : elle alimente la Beauce, l’une des principales régions productrices de céréales en Europe. Cette nappe s’écoule au sein d’un vaste système composé de plusieurs aquifères. On parle du complexe aquifère multicouche des calcaires de Beauce, qui s’étend sur plusieurs départements et deux régions, le Centre-Val de Loire et l’Île-de-France. Il est délimité au nord par la forêt de Rambouillet, à l’est par l’Essonne et la forêt de Fontainebleau, au sud par le Val de Loire, et à l’ouest par Chartes et Châteaudun.
En termes hydrologiques, cette nappe hors norme alimente à la fois le bassin Loire-Bretagne et celui de Seine-Normandie. Elle s’étend sur une surface d’environ 14 000 km2, pour une capacité de stockage estimée à 20 milliards de mètres cubes par an, soit dix-huit fois le volume du lac d’Annecy. Un véritable château d’eau pour le centre de la France ! Mais celui-ci fait aujourd’hui face à une double menace : des épisodes de sécheresse d’une part, et l’infiltration de pollutions d’origine anthropique d’autre part.
Commençons par revenir sur l’histoire géologique de cette nappe phréatique hors norme. Il y a environ 80 millions d’années, au Campanien (pendant le Crétacé supérieur), la craie a laissé place à une couche d’argile imperméable, à l’issue d’un processus de décalcification sous l’effet d’une eau riche en gaz carbonique.
Sur la carte géologique ci-dessous (cliquer ici pour accéder au code couleur complet de la carte), cela correspond aux terrains de couleur verte (Crétacé) pour la craie, et orange (Éocène) pour les argiles.
Depuis l’Éocène moyen, il y a 43 millions d’années, jusqu’au début du Miocène, il y a 25 millions d’années, un lac s’est formé sur cette couche argileuse. Des dépôts d’origine lacustres s’y sont déposés jusqu’à former le réservoir des calcaires de Beauce, dont l’épaisseur peut dépasser la centaine de mètres d’épaisseur dans sa partie centrale.
Cet épisode lacustre s’est terminé par une phase d’émersion, lorsque les roches ont émergé suite à un abaissement du niveau de l’eau. Des dépôts détritiques (c’est-à-dire, composés de particules issues de l’érosion), les sables et argiles de Sologne, transportés par la Loire depuis le Massif central, se sont déposés au droit de la Forêt d’Orléans et en Sologne au Mio-Pliocène.
Ces différents événements ont façonné la nappe phréatique des calcaires de Beauce, constituée de plusieurs couches de calcaires fissurés, fracturés, voire karstifiés (c’est-à-dire, où des poches de vide ont été creusées dans le calcaire par un processus de décalcification). Ce phénomène est d’autant plus développé que l’on s’approche de la Loire, l’eau de la Loire étant légèrement acide. Les couches de calcaire sont séparées par des bancs argileux plus ou moins imperméables.
La nappe est alimentée par les pluies qui s’infiltrent. Ses exutoires naturels sont les sources et les cours d’eau, tandis qu’elle est drainée par la Seine et par la Loire. Son niveau d’eau, proche de la surface dans les vallées, peut atteindre une trentaine de mètres de profondeur sous les plateaux.
L’immense réservoir d’eau souterraine que constitue la nappe de Beauce garantit les besoins en eau pour la production d’eau potable, l’irrigation, l’industrie et l’alimentation des cours d’eau. Cette ressource abondante est toutefois vulnérable.
Les périodes de sécheresse estivale dans les années 1990, ont entraîné des prélèvements agricoles importants qui ont accentué les phénomènes d’étiages sévères des cours d’eau du territoire. Ils ont donné naissance à de nombreux conflits d’usages au niveau local (pénuries d’eau pour l’alimentation en eau potable, mortalité des populations piscicoles, mécontentement des associations de riverains…).
Dans les années 2000, cela a entraîné une prise de conscience collective liée à la nécessité de protéger la ressource. Cela s’est concrétisé plus particulièrement à partir des années 2000 avec la mise en place du Schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) de la nappe de Beauce.La préservation de la qualité de la nappe de Beauce est donc un enjeu majeur pour ce territoire.
La nappe, dans sa partie libre (on appelle ainsi les nappes dont le niveau supérieur, à pression atmosphérique, peut varier, car il n’est pas en contact avec une limite imperméable) est très vulnérable aux pollutions anthropiques, notamment aux nitrates et produits phytosanitaires utilisés pour l’agriculture. La nappe est libre sur sa quasi-totalité, sauf sous la Forêt d’Orléans et en Sologne, on y reviendra. La masse d’eau libre des calcaires de Beauce est ainsi classée en « risque de non atteinte du bon état » au titre de la Directive Cadre Européenne sur l’eau.
Un projet de recherche auquel participe le BRGM doit justement permettre la création et l’exploitation de jumeaux numériques environnementaux permettant la gestion durable des ressources naturelles (eau, sol et air). Et, ainsi, contribuer à l’amélioration des connaissances sur le fonctionnement hydrogéologique et la présence, le transfert et le comportement de plusieurs contaminants anthropiques dans la partie libre de la nappe de Beauce.
En Sologne et sous la Forêt d’Orléans toutefois, la nappe est naturellement protégée des pollutions anthropiques par une épaisse couche imperméable (sables et argiles de Sologne) et un couvert végétal de type forestier.
Ici, l’eau est captive et l’âge de l’eau dans ces secteurs pourrait atteindre plusieurs dizaines de milliers d’années. Ce contexte particulier fait également l’objet de recherches, notamment à travers le projet DEESAC, du programme One Water Eau bien commun, auquel participe également le BRGM. Il vise à construire des outils pour gérer de façon raisonnée et durable ces aquifères captifs ou sous couverture. Il étudie notamment les calcaires de Beauce, au sud de la Loire, en Sologne.
Cet aspect qualitatif ne saurait éluder l’enjeu quantitatif. Le réseau de suivi de la nappe des calcaires de Beauce compte une cinquantaine de puits et de forages, appelés piézomètres, suivis depuis le début des années 1970 et gérés par le BRGM. Les puits sont équipés de capteurs enregistrant une mesure du niveau de la nappe toutes les heures. Ces données sont diffusées quotidiennement sur le portail national d’Accès aux données sur les eaux souterraines (ADES), et alimentent les bulletins régionaux de situation hydrologique réalisés par la DRIEAT Île-de-France et la DREAL Centre-Val de Loire ainsi que les bulletins de situation nationale réalisés par le BRGM.
L’historique des mesures du réseau de piézomètres (les premières mesures du plus ancien, situé près de la sucrerie de Toury, remontent à 1875) a permis de reconstituer une chronique complète de l’évolution du niveau d’eau de 1875 à 2024. Celle-ci permet de voir que les variations annuelles de la nappe de Beauce correspondent aux infiltrations des pluies d’octobre à avril, et que ses variations interannuelles correspondent aux cycles climatiques.
Lors de sécheresses hivernales successives, notamment durant les périodes 1896-1906 et 1988-1993, les pluies hivernales ont été insuffisantes pour recharger la nappe. Le niveau de la nappe de Beauce a connu des niveaux très bas qui ont entraîné l’assèchement de petits cours d’eau et de puits peu profonds et qui ont rendu les pompages en forage plus difficiles.
Le dernier bulletin d’information montre que le niveau de la nappe, au 1er juillet, était dans la moyenne. Il est probable que la situation de la nappe de Beauce se dégrade ensuite progressivement jusqu’à l’automne 2024. Pour suivre la situation, accéder aux observations passées et aux prévisions futures, le BRGM a mis en place un outil en ligne gratuit, MétéEAU Nappes.
À propos des auteurs :
– Marie Servière. Hydrogéologue, BRGM.
– Louis Tison. Hydrogéologue, BRGM.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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