Partager la publication "L’avenir du cacao : il y a urgence à préserver un trésor millénaire"
Riche et complexe, l’histoire du cacaoyer remonte à environ 3500 av. J.-C. Les Olmèques, l’une des premières civilisations mésoaméricaines, sont souvent considérés comme les premiers à l’avoir cultivé. Ils utilisaient les fèves pour préparer une boisson amère, qui était fréquemment agrémentée d’épices et de piments. Des recherches encore plus récentes indiquent que le recours aux fèves de cacao existait déjà dans la haute Amazonie (actuellement l’Équateur et le Pérou) aux alentours de 5000 av. J.-C.. Les premières plantations organisées, néanmoins, semblent avoir été réalisées dans la région de Soconusco par les Aztèques et les Mayas, parfois avec des systèmes de drainage et d’irrigation.
Le cacao tenait chez les Mayas une place centrale : ils y voyaient un don des dieux et s’en servaient dans des cérémonies religieuses, souvent mélangé avec de l’eau, du miel et des épices pour créer une boisson festive, appelée “xocolatl”. Les fèves de cacao étaient également utilisées comme monnaie, ce qui témoigne de leur valeur économique. Les Aztèques, qui ont succédé aux Mayas, bien que les deux civilisations aient coexisté pendant plusieurs siècles, ont continué cette tradition.Lorsque les Espagnols ont découvert l’Amérique centrale et le Mexique (1504-1525), le cacao y était donc déjà produit, commercialisé et consommé depuis plusieurs centaines d’années.
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L’essor du chocolat en Europe
Mais leur arrivée marque un tournant pour le cacao. Hernán Cortés, après avoir conquis l’Empire aztèque, rapporte les fèves en Espagne. Au début, la boisson est peu appréciée des Européens en raison de son goût amer. L’ajout de sucre, de vanille et d’autres épices rend rapidement le chocolat populaire au sein de l’aristocratie européenne.
Au fur et à mesure que la demande pour le précieux mets augmente en Europe, les Espagnols commencent à établir des plantations de cacao dans leurs colonies, en particulier dans les Caraïbes et en Amérique du Sud. Cela conduit à une exploitation accrue des populations indigènes et, plus tard, à celle d’esclaves africains pour travailler dans les plantations.
Après le développement des plantations en Amérique du Sud, notamment en Colombie, en Équateur et au Venezuela vers la fin du XVIe et du XVIIe siècle, d’autres sont également établies en Asie du Sud-Est.
À partir du XIXe siècle, dans un contexte de colonisation et d’essor du commerce transatlantique, le cacaoyer est massivement exporté vers d’autres continents : l’Asie et l’Afrique principalement, où le climat tropical était favorable.

Le cacao, qui revêtait une signification culturelle et religieuse profonde pour les civilisations précolombiennes, devient ainsi un produit de luxe en Europe, marquant le début de sa transformation en chocolat tel que nous le connaissons avec la démocratisation de sa consommation.
Le cacao est aujourd’hui cultivé dans la plupart des pays tropicaux humides. Depuis la moitié du XXe siècle, la première zone de production est l’Afrique de l’Ouest. La Côte d’Ivoire et le Ghana sont respectivement les premier et deuxième pays producteurs en volume.
De l’Amérique tropicale à l’Afrique et l’Asie
L’Amérique a ainsi été détrônée de sa place de premier continent producteur de cacao, tandis qu’en miroir, l’Afrique a perdu son ascendant sur la production de café, au profit de l’Amérique latine – et principalement du Brésil, aujourd’hui premier pays producteur. Un autre exemple est l’hévéa : cultivé pour la production de caoutchouc naturel, il l’est essentiellement en Asie, alors que cet arbre est originaire de la forêt amazonienne comme le cacaoyer.
Ces grandes cultures se sont donc croisées sous l’impulsion des colonisateurs, et ont prospéré dans ces nouveaux territoires en raison de conditions environnementales parfois plus favorables que les conditions environnementales des zones d’origine.
Maladies et expansion : un équilibre fragile pour la culture du cacao
Si des raisons historiques de colonisation des zones tropicales permettent en partie de comprendre ces changements géographiques, les maladies peuvent aussi expliquer ces modifications, et surtout l’extension des cultures dans les zones allogènes. La culture de l’hévéa est très difficile sur le continent américain en raison de la présence d’un champignon ascomycète : Pseudocercospora ulei, agent pathogène d’une maladie provoquant la mort des arbres ; les hévéas cultivés en dehors du continent américain en sont indemnes.
En ce qui concerne le cacaoyer, deux maladies graves sont présentes sur le continent américain : la moniliose (due à Moniliophthora roreri) et le balai de sorcière (dû à Moniliophthora perniciosa). L’introduction de la culture du cacaoyer sur de nouveaux continents n’a heureusement pas été accompagnée des pathologies associées dans les zones d’origine.
Cependant, les conditions de culture en plein soleil qui se sont développées dans de nombreux pays semblent avoir favorisé l’émergence de nouvelles pathologies, comme le Swollen Shoot en Afrique de l’Ouest, qui provient d’autres espèces végétales à la suite d’un saut d’hôtes du virus responsable.
Vers des modèles de culture intensifs
Après des modèles extensifs pratiqués par les populations amérindiennes, la culture du cacaoyer s’est progressivement intensifiée avec des densités plus importantes et des cultures en plein soleil, facilitant d’ailleurs de plus fortes épidémies de moniliose ou de balai de sorcière dans les zones d’origine.
Ces cultures intensives ont requis l’utilisation de nombreux intrants, notamment fertilisants et pesticides, qui présentent beaucoup d’inconvénients : ces systèmes de culture ne sont pas durables, avec une sénescence (vieillisement, ndlr) rapide des arbres. Les intrants chimiques constituent des menaces pour l’environnement, les agricultures et les consommateurs, avec en particulier des résidus de pesticides dans les fèves de cacao et dans les sols.
Aujourd’hui, des agro-éco-systèmes commencent à se développer, avec des plantations de cacaoyers conduites sous ombrage, exigeant moins d’intrants, voire pas d’intrants chimiques du tout. Ces systèmes agroforestiers sont plus ou moins performants en fonction des espèces végétales associées, des maladies et ravageurs présents et des conditions édapho-climatiques (interactions du sol et des conditions climatiques dans un environnement donné, ndlr). Leur adaptation à chaque contexte est donc nécessaire, en anticipant également les évolutions climatiques prévues.
Face aux enjeux climatiques, l’urgence de s’adapter
La géographie de la production du cacao a donc été façonnée par les colonisations, les migrations et les conditions environnementales, notamment sanitaires.
Que sera la géographie de la production de demain ? Et quels seront les systèmes de culture majoritaires ?
Le réchauffement climatique entraînera très certainement de profondes modifications des aires de culture. Les transformations des régimes de pluies liées à ce changement climatique provoqueront un déplacement des zones de culture vers de nouvelles zones. Des systèmes plus résilients, capables d’amortir les variations du climat, devront être mis au point.
Les agriculteurs doivent déjà s’adapter à des calendriers agricoles qui ne se répètent plus d’une année à la suivante. Ces changements climatiques, accompagnés de mouvements des biens et des personnes de plus en plus importants, peuvent aussi engendrer une accélération des émergences de maladies et de ravageurs qu’il faudra donc contrôler.
Des systèmes à réinventer
L’histoire de la cacaoculture doit nous inciter à anticiper les risques liés au changement climatique et à la dispersion des bioagresseurs. Par exemple par la sélection préventive de matériel végétal résistant à des maladies encore absentes de certaines régions et moins sensible aux variations climatiques, ou par le développement de systèmes de culture plus résilients.
Il s’agit d’éviter l’ancien modèle des “fronts pionniers”, dans lequel les nouvelles plantations cacaoyères étaient établies dans des zones forestières défrichées. Il est impératif de préserver les zones de forêt tropicale qui ont échappé à la déforestation : l’Europe, consciente des répercussions désastreuses de cette dernière, a d’ailleurs mis en place une réglementation contre la déforestation importée qui concerne, entre autres, le cacao.
Préparer l’avenir de la cacaoculture implique également de proposer d’autres systèmes agroforestiers innovants, dotés de matériel végétal adapté à chaque zone de culture.
À propos de l’auteur : Christian Cilas. Chercheur en biostatistique, correspondant de la filière cacao au Cirad, Cirad.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.