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L’homme et le loup : comment améliorer leur coexistence en France ?

Fougerolles, 3600 habitants, Haute-Saône. Le 28 aout 2020, Nicolas Fleurot découvre le cadavre en partie dévoré d’une de ses génisses dans une pâture jouxtant la ferme. Le lendemain, une autre génisse dans le même état… mais cette fois le prédateur est entré dans l’étable. Deux jours avant, un collègue avait ramassé les dépouilles de deux agnelles. À chaque fois, l’animal a été tué au cou, éviscéré et partiellement mangé. La signature du loup, à 700 km de la zone où il est réapparu en France en 1992.

Longtemps concentrées dans l’arc alpin, les attaques de troupeaux par des loups (3 742 attaques ouvrant droit à indemnisation en 2019) s’étendent avec la dispersion géographique de l’espèce. Prédation dans les Vosges, traces de loups dans le Massif central, le Limousin, le Berry, la Normandie, l’Ile-de-France, les Ardennes… 

Cet article a initialement été publié dans la revue WE DEMAIN n°32, parue en novembre 2020 et disponible sur notre boutique en ligne

En 2019, l’Office français de la biodiversité (OFB) recensait 97 “zones de présence permanente du loup” pour 80 meutes en métropole. Venus des Alpes italiennes dans les années 1990, les loups progressent vers le Nord et l’Ouest, se signalant dans 42 départements. La peur du loup descend des alpages et s’installe petit à petit dans la plaine. 

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Le loup, un grand opportuniste

Canis lupus est bougrement intelligent, social, avec une grande capacité d’adaptation aux milieux. Il s’accommode des lisières de la ville et des friches industrielles, y déployant comme en montagne ses talents d’invisibilité et de furtivité. Grand opportuniste, il fait pitance de ce qu’il trouve, des baies aux charognes en passant par les herbivores, avec une préférence pour les proies qui lui demandent le moins d’efforts à fournir pour les inscrire à son menu. Pour les agriculteurs, c’est là que le bât blesse.

En France, la disparition des loups, dans les années 1930, avait effacé le souvenir millénaire d’une coexistence mouvementée avec des milliers de loups dans tout le pays. À partir de 1992, les loups venant d’Italie découvrent un pays où ils ne sont pas chassés. Un territoire où abondent chamois, bouquetins, marmottes… et brebis.

Entre l’incertitude que représente une traque de chamois et la facilité de se servir dans un troupeau domestique, les loups font vite le choix. Face à la prédation des animaux d’élevage, l’État réagit en finançant la protection des troupeaux (enclos nocturnes, chiens, dispositifs d’effarouchement, aides-bergers) et l’indemnisation des éleveurs pour les animaux tués. Une politique dont le succès est relatif, en témoigne le bilan de la prédation 2019 : 12 451 animaux (ovins, caprins, bovins, canidés, équins) attaqués l’an dernier par des loups et 3 000 moutons disparus. 

Une étude du réseau scientifique Coadapht fait le bilan de vingt-sept années de cet effort continu de protection des troupeaux : “En dépit du ‘triptyque de protection’ (chiens, enclos de nuit, présence humaine renforcée), il y a eu durant onze ans (2008-2018) augmentation constante du nombre de victimes : + 1 000 par an. (…) Les attaques réussies de loup(s) s’opèrent à présent autant de jour que de nuit, et aussi plus à proximité des routes, fermes, villages ou lotissements.”

Argumentaire environnementaliste

À l’OFB, on préfère mettre en avant la concentration des attaques sur un petit nombre de fermes, preuve que les mesures de protection sont efficaces dans 80 % des cas. Et souligner que les prédations répétées ont lieu dans des configurations particulières, qu’elles soient géographiques (terrains accidentés), environnementales (lisères de forêts, buissons, haies) ou liées à la conduite du troupeau (peu de bergers ou de chiens, grande altitude).

Les deux analyses se rejoignent quant au caractère extrêmement opportuniste des loups, capables de trouver la faille dans tout système de protection, guettant le chien de garde fatigué, l’absence inhabituelle du berger, le défaut dans la clôture, l’animal qui s’attarde à l’écart du troupeau.

Chez les éleveurs aussi, les réactions divergent : il y a ceux qui, sans remettre en cause la présence des loups, veulent pouvoir répondre à leurs incursions dans le monde domestique, ceux qui veulent éradiquer l’espèce, qu’ils jugent nuisible… Et celles et ceux qui, blessés ­intimement, changent de métier.

Face à la dureté de l’épreuve qu’est la dévoration des animaux que l’on a élevés, l’argumentaire environ­nementaliste passe mal dans les herbages, notamment la suspicion de mal faire son boulot et d’encaisser des primes au bénéfice du doute. Ou encore la façon dont la coalition d’associations “CAP loup” compare l’incomparable : les prédations du loup (“0,15 % du cheptel français”) et une mortalité hors loup “dix fois supérieure” (“maladies, problèmes d’agnelage, accidents en estive…”). 

Les écologues, les scientifiques étudiant les écosystèmes et l’impact des activités humaines sur la biodiversité, soulignent que la prédation lupine améliore la sélection génétique et la santé des espèces sauvages pourchassées. Ils pointent aussi que l’agrandissement des troupeaux et le rapatriement quotidien en enclos accroissent le piétinement néfaste pour la flore alpine et la faune qui en dépend.

Braconnage

Il y a officiellement 530 loups en France. 2 500 dans les Pyrénées espagnoles, près de 1 000 en Italie. Une louve met bas 1 à 7 louveteaux. Ils ne sont que 20 % de la portée à atteindre l’âge adulte en France. La mortalité infantile au sein de cette espèce (50 %) ne suffit pas à masquer le braconnage par les bergers et les chasseurs. 

Contrairement aux loups italiens qui ne se soucient pas de la frontière, les loups espagnols semblent ignorer les passages transfrontaliers qu’empruntent pourtant leurs proies sauvages. Une anomalie que m’explique à demi-mot un berger basque : “Ici, on n’en veut pas, on fait ce qu’il faut.” Le braconnage donc, non reconnu en volume ni assumé ­politiquement. 

Des aires d’exclusion

Le débat est mal engagé depuis le début. La France a en effet ratifié les textes de protection des loups sans prendre le temps de débattre des conséquences avec les paysans, a contrario de ce qui s’est passé en Espagne et en Italie, où il y a plus de loups et moins de prédation. D’une part parce que les loups n’y ont jamais disparu, entretenant chez nos voisins une “culture du loup” qui conditionne les modes d’élevage.

D’autre part, l’Espagne a ratifié la convention de Berne (relative à la conservation de la vie sauvage) en se ménageant une souplesse règlementaire lui permettant de moduler la régulation des loups au niveau des régions – alors qu’en France, c’est le ministre de l’Environnement qui décide. Par exemple, dans les Asturies, il y a des aires d’exclusion du loup, où ils se font chasser par le personnel communal. 

L’État français est donc arrivé chez les éleveurs avec sa réponse habituelle, l’argent. Une solution du vieux monde réduisant la protection du loup à un problème socio-environnemental alors qu’il s’agit fondamentalement d’une question philosophique : quelle place accorder au sauvage dans une société industrialisée, urbanisée à l’excès, où 80 % de la population vit en ville ? Le sauvage est par nature imprévisible et impensable par l’être humain.

Poser la “question du loup” est une abstraction permettant le biais des projections anthropomorphiques. Celles de citadins fantasmant leur rapport à une nature qu’ils ne connaissent, ni ne pratiquent, mais prétendent ordonner ; celles de techniciens voyant là l’occasion de créer des nouveautés ; celle de technocrates élaborant les procédures d’application desdites nouveautés ; celles de politiciens pouvant se jeter du loup à la gueule. 

Rappel du danger

La dynamique de la vie sauvage repose, pour partie, sur les relations proies-­prédateurs. Le chassé craint le chasseur qui a son tour craint d’être chassé. Le loup est presque au sommet de la chaine alimentaire : il craint seulement l’ours, le lynx, les grands rapaces et l’homme… à condition que ce dernier lui rappelle sa place de proie possible. 

C’est le ­raisonnement de Michel Meuret, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) : “Il s’agirait de réussir à rétablir en France des “relations de réciprocité” avec les loups, qui peuvent aussi s’envisager comme l’instauration d’une forme de respect mutuel fondé sur des signaux clairs et des règles strictes, à rappeler de temps à autre, si besoin. Ceci implique l’utilisation possible de moyens létaux (tir et/ou piégeage) avant, pendant ou juste après une attaque pour éliminer les individus ou groupes trop insistants et associer la présence d’humains travaillant avec les troupeaux à un réel danger.” Ce faisant, l’efficacité des clôtures et des chiens devrait s’en trouver améliorée, en tant que signaux de rappel du danger, et non plus en tant que barrières supposées infranchissables. 

La progression démographique et géographique des loups plaide pour cette thèse. L’application des mesures actuelles de protection à l’ensemble des paysans de ce pays réussirait en effet ce que l’industrie agroalimentaire n’est pas parvenue à faire : éradiquer l’élevage de plein air au bénéfice de la production industrielle de viande dans des fermes-forteresses étanches aux loups… et aux consommateurs. Est-ce le sens de la “transition agricole et alimentaire” voulue par l’immense majorité de nos concitoyens ? 

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