Partager la publication "Marc-André Selosse : “Les sols, c’est notre santé et celle de la planète”"
Lors du World Living Soils Forum, qui s’est tenu les 8 et 9 octobre 2024 à LUMA Arles, le biologiste et professeur du Muséum national d’Histoire naturelle, Marc-André Selosse, a pris la parole sur les défis et les solutions autour de la régénération des sols, un enjeu majeur pour notre futur commun. Figure incontournable dans la compréhension des sols et de leur interaction avec les écosystèmes, il veut faire comprendre l’importance d’avoir des sols en bonne santé pour avoir des humains en bonne santé.
Mais l’état des lieux des sols en Europe n’est pas brillante. Sans se voiler la face, Marc-André Selosse a évoqué les pistes à suivre pour enrayer leur dégradation. WE DEMAIN a profité de l’événement pour s’entretenir avec le scientifique. Il livre un point de vue éclairé, sans détours, sur la santé des sols, la conscience citoyenne, et les mesures nécessaires pour préserver ces ressources précieuses.
WE DEMAIN : Deux ans après le premier World Living Soils Forum, avez-vous constaté une évolution positive des consciences autour de l’état des sols ?
Marc-André Selosse : Sincèrement, ce n’est pas encore la joie, mais il y a du progrès. On observe de plus en plus de personnes qui se mobilisent, même si un certain opportunisme subsiste. Les problèmes sanitaires et environnementaux causés par des pratiques agricoles destructrices, comme l’usage massif des pesticides, sont visibles. Par exemple, dans les Hauts-de-France, le labour excessif engendre des coulées de boue dès qu’il pleut. Cela montre bien l’impact de certaines pratiques. La prise de conscience progresse, mais il reste du chemin.
Quels sont les principaux problèmes que posent les sols dégradés en Europe ?
Aujourd’hui, plus de 70 % des sols européens sont en mauvaise santé. Ils s’érodent, se salinisent, ou sont saturés de pesticides. Cela impacte la biodiversité, mais aussi notre alimentation. Les résidus de pesticides ne se retrouvent pas seulement dans ce que nous mangeons, ils sont aussi présents dans l’eau et dans l’air. En Occitanie, par exemple, des PCB [polychlorobiphényles, ndlr] interdits depuis 1987 persistent dans les sols et se volatilisent lors des pluies car ils sont hydrophobes. C’est un problème de santé publique autant qu’un problème environnemental.
Quelles solutions peut-on envisager pour restaurer la santé des sols ?
Il faut cesser de perturber mécaniquement les sols. Les pratiques comme le labour déstabilisent la matière organique et diminuent la rétention en eau. Il est également essentiel d’apporter de la matière organique, riche en azote et en phosphate, qui remplace les engrais minéraux. Ensuite, il est crucial de maintenir une couverture végétale. Cela protège les sols de l’érosion et nourrit les microorganismes bénéfiques pour les plantes.
Qu’est-ce que l’initiative “4 pour 1000” et pourquoi est-elle importante ?
Cette initiative vise à augmenter la matière organique des sols de 4 pour 1000 chaque année, ce qui permettrait de compenser les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cela ne signifie pas que l’on peut continuer à polluer sans conséquence, mais cela offre une solution basée sur la nature pour piéger le carbone. Cependant, il est impossible de l’appliquer partout, notamment dans les sols très sableux où la matière organique ne se conserve pas.
Comment sensibiliser le grand public à l’importance des sols ?
L’état des sols est directement lié à notre santé, mais les gens n’ont pas encore pleinement intégré ce lien. Le bio est un des seuls mouvements qui a su capter le grand public, mais il est en recul en ce moment, notamment faute de soutien citoyen. Il faut développer des indicateurs simples et accessibles pour aider les consommateurs à choisir des produits issus de sols durables. Notre santé est directement liée à la santé des sols, ce n’est pas plus compliqué que ça.
Vous avez évoqué le besoin d’une régulation européenne. Où en est ce projet ?
Des normes sont en cours d’élaboration, mais cela prend du temps. La directive européenne n’est pas encore prête et nous devons définir les indicateurs les plus pertinents. Il existe des méthodes simples, comme la porosité des sols et la quantité de vers de terre, mais aussi des outils analytiques modernes comme les analyses ADN. L’idéal serait de combiner ces méthodes pour obtenir une image précise de la santé des sols.
Selon vous, quel rôle joue l’éducation dans ce combat pour les sols ?
Il est essentiel de former une nouvelle génération qui comprenne les liens entre environnement, santé et alimentation. Nous militons pour plus de temps dédié aux sciences de la vie et pour une approche pluridisciplinaire dans les écoles. Former les jeunes à ces enjeux est indispensable, mais nous ne pouvons pas attendre qu’ils arrivent aux responsabilités pour agir.
Avez-vous malgré tout de l’espoir pour l’avenir des sols en Europe ?
J’ai bon espoir, car les initiatives se multiplient, mais le temps presse. Nous sommes à la traîne face à la vitesse des changements climatiques et des catastrophes environnementales. Le courage politique est indispensable pour impulser une régulation rapide et efficace. Les sols sont des alliés précieux ; nous devons leur donner les moyens de nous aider dans cette lutte pour le climat.
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