Partager la publication "Paul Watson contre l’industrie baleinière : une bataille au-delà des océans"
Paul Watson, iconique militant écologiste et fondateur de Sea Shepherd, est loin d’être un novice en matière de confrontation avec des entreprises ou des gouvernements. Connu pour ses actions audacieuses (et souvent contestées), il consacre sa vie à la protection de la faune marine, en ciblant en particulier l’industrie baleinière japonaise.
Désormais, Paul Watson mène un nouveau combat juridique : emprisonné au Danemark, il risque d’être extradé vers le Japon. Ce pays l’accuse de « conspiration d’abordage » sur son baleinier Shoran Maru 2 lors de deux incidents survenus dans les eaux de l’océan Antarctique en février 2010. Il y avait notamment fait usage d’une boule puante à l’acide butyrique, un acte purement symbolique visant à perturber les opérations, mais sans danger direct pour l’équipage puisque le seul effet est de dégager une odeur pestilentielle.
Certains médias européens indiquent que les actions de Paul Watson sont vues au Japon comme une atteinte insupportable, voire sévèrement condamnable, à une tradition ancestrale. Ce faisant, ils tendent à sous-estimer une autre réalité, d’ordre plus économique. Les opérations baleinières japonaises sont au moins autant une question de tradition que d’intérêts associés à une puissante machinerie industrielle soutenue par le gouvernement.
La bataille actuelle de Paul Watson ne se limite donc pas à combattre une vision « culturelle » jugée barbare par certains observateurs, elle est menée aussi et surtout contre un système redoutable, logistiquement huilé et politiquement défendu depuis des décennies. Si l’on veut comprendre les enjeux autour du sort qui sera réservé à Paul Watson dans les prochaines semaines ou mois, il n’est pas possible de faire l’impasse sur la machinerie évoquée.
La chasse à la baleine au Japon plonge ses racines dans une tradition pluriséculaire, ancrée dans une époque où les communautés côtières en dépendaient pour subvenir à leurs besoins alimentaires et matériels. Toutefois, ces chasses s’effectuaient à petite échelle, loin du système industriel mécanisé que Paul Watson critique aujourd’hui, avec un bilan de près de 300 baleines exterminées en 2023 (avec un objectif de 200 baleines pour 2024 affiché par les autorités japonaises).
La défense de la tradition prend un tournant symbolique après la Seconde Guerre mondiale, période durant laquelle le gouvernement japonais promeut la consommation de viande de baleine pour répondre aux pénuries alimentaires. Elle devient dès lors un composant incontournable des repas scolaires, ce qui l’enracine durablement dans l’identité japonaise pour des générations d’enfants et symbolise une résilience face aux privations passées.
Au fil des décennies, les habitudes alimentaires japonaises vont évoluer, et désormais, la viande de baleine n’est plus un aliment de base, en particulier pour les jeunes générations. En 2023, sa consommation au Japon atteignait seulement 2 000 tonnes contre 200 000 tonnes par an dans les années 1960. Quant aux autres usages de la graisse de baleine, ils sont aujourd’hui anecdotiques car si elle a longtemps servi pour la fabrication de bougies, de savons ou de produits cosmétiques, le pétrole en constitue depuis longtemps un substitut efficace.
Le gouvernement japonais considère pourtant que la chasse à la baleine doit être préservée, arguant qu’elle est synonyme d’un droit souverain inaliénable. C’est par conséquent sur le terrain du « culturalisme », opposé à l’universalisme, que le débat se pose : alors que de nombreux pays ont banni la chasse à la baleine, la jugeant incompatible avec les valeurs sociétales contemporaines, le Japon revendique le respect de son identité culturelle malgré le moratoire international de 1986.
Tandis que la chasse à la baleine est justifiée au nom d’une « authenticité culturelle », et certainement pas au nom d’un marché intérieur aujourd’hui en effondrement, ses motivations semblent pourtant clairement dictées par de puissants intérêts industriels et financiers, ce qui affaiblit l’argument identitaire. De plus, l’industrialisation croissante des pratiques, qui se poursuit sans relâche, rend toute comparaison avec les méthodes traditionnelles obsolète car ces dernières étaient limitées tant en échelle qu’en impact sur les populations de baleines.
Un tel décalage alimente ainsi le débat entre défenseurs de l’environnement et partisans de la chasse à la baleine, perçue tantôt comme une surexploitation des ressources, tantôt comme un « droit naturel ». Or, ne faudrait-il pas admettre que le cœur du débat se situe autour d’enjeux rendus visibles par l’impressionnante logistique mise au service de cette industrie ?
La flotte baleinière japonaise est équipée de navires hautement spécialisés, dont certains fonctionnent comme de véritables « usines flottantes », capables de capturer, découper et conditionner les baleines directement en mer. Ceci permet au Japon de défier discrètement les réglementations internationales puisque les baleines sont intégrées dans la chaîne logistique avant même d’atteindre la terre ferme. Une fois à terre, la viande de baleine est commercialisée via un réseau de distribution qui s’étend aux marchés et aux restaurants de l’ensemble du territoire, y compris des établissements de prestige, renforçant ainsi l’acceptation sociale de la pratique. Le soutien financier massif du gouvernement japonais à l’industrie baleinière souligne en outre l’existence d’un interventionnisme politique marqué, visant à perpétuer la tradition contre vents et marées.
Certes, les « usines flottantes » ne sont pas une invention récente puisqu’elles existaient au XIXe siècle sous la forme de navires équipés pour transformer la graisse de baleine en huile. Ces structures permettent alors aux baleiniers de traiter immédiatement leur prise en mer, évitant ainsi des aller-retour longs et coûteux. Munies de chaudières et de mécanismes sophistiqués de découpe, les « usines flottantes » de l’époque conduisent à l’exploitation des baleines capturées de manière plus efficace et plus rapide. Rien de tel que la lecture de Moby Dick, d’Herman Melville, pour prendre conscience de cette réalité. Force est d’admettre que le Japon d’aujourd’hui s’inscrit de fait dans une longue tradition historique, mais avec un changement d’échelle et une optimisation avancée des processus industriels et logistiques, dus à une industrialisation à marche forcée.
Pour Paul Watson, s’attaquer à la chasse à la baleine constitue sur le plan pratique un immense défi. Sea Shepherd fonctionne comme une organisation à but non lucratif et, bien qu’elle attire des bénévoles convaincus, elle ne dispose pas des colossales ressources aux mains des propriétaires de la flotte baleinière japonaise. Paul Watson a donc choisi l’action médiatique en mer, où les navires de Sea Shepherd affrontent les « usines flottantes » japonaises.
Des stratégies agressives sont employées, notamment en bloquant les harpons, en se positionnant entre les baleiniers et leur proie, et même en éperonnant ponctuellement les navires. Les opérations menées cherchent à perturber à la source le fonctionnement de la chaîne logistique pour retarder, voire interrompre, le processus industriel (mais sans infliger de dommages humains). Quoi de mieux pour sensibiliser le public aux enjeux critiques de la conservation marine ?
La lutte de Paul Watson contre la chasse à la baleine japonaise est plus qu’une croisade personnelle. Elle incarne une opposition « existentielle » entre la protection de la nature et des pratiques traditionnelles souvent considérées comme anti-environnementales, ainsi qu’entre la légitimité de l’activisme et les intérêts d’industries soutenues par des gouvernements.
Bien qu’il soit impossible de prédire l’efficacité des actions conduites par Sea Shepherd afin de perturber la logistique de la chasse à la baleine, celles-ci suscitent indéniablement un débat sociétal sur les limites de l’argument culturel avancé par le Japon et la responsabilité des nations en matière de protection de la biodiversité. Il serait toutefois maladroit d’oublier que derrière la « culture », des questions économiques et politiques restent très présentes, mais avec une atteinte à la propriété privée demeurant problématique, il faut en convenir.
Personne ne niera le fait que perturber la logistique de la chasse à la baleine est une démarche complexe dans la mesure où elle repose sur des appuis financiers et une « logistique » bien rodée de la part des activistes. Chaque intervention en mer de Sea Shepherd doit prendre en compte le risque d’escalade sur le plan juridique et diplomatique, comme le montre l’emprisonnement actuel de Paul Watson au Danemark (et sa possible extradition vers le Japon).
De plus, l’industrie baleinière japonaise bénéficie d’un fort soutien gouvernemental, renforçant sa résilience face aux tentatives de « sabotage » logistique. Une telle dynamique met en lumière les défis auxquels l’activisme est confronté dans ses modes opératoires. Il ne s’agit pas seulement de s’en prendre, de temps à autre, à une chaîne logistique, mais de remettre fondamentalement en question un système enraciné, soutenu par de puissants intérêts et lobbys. Nul doute que nous sommes encore loin du compte.
À propos de l’auteur : Gilles Paché. Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Aix-Marseille Université (AMU).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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