Partager la publication "Pesticides : quand les huîtres paient, sur plusieurs générations, le prix de la contamination"
Les pesticides sont partout. Des sols agricoles aux littoraux, tous les écosystèmes sont contaminés. Avec des impacts multiples, comme le rappelait fin 2023 une commission d’enquête parlementaire ainsi qu’une expertise scientifique collective INRAE-Ifremer en 2022 : dégradation de la qualité des eaux, déclin de la biodiversité et notamment d’espèces telles que les invertébrés terrestres et aquatiques, les oiseaux, chauve-souris ou encore les amphibiens. Cela vient renforcer le sentiment d’impuissance face à l’utilisation et aux effets de ces pesticides. Théoriquement, le plan Ecophyto doit pourtant permettre de réduire de 50 % l’utilisation des produits phytosanitaires d’ici 2030. Mais dans la pratique, le nouvel indicateur décidé en mai 2024 a nourri la controverse. Selon certains scientifiques, il pourrait provoquer une baisse purement artificielle dans le suivi des pesticides utilisés.
Parmi les espèces touchées par ces pollutions, on retrouve également les mollusques, et en particulier les populations d’huîtres creuses (Crassostrea gigas), qui constituent l’une des principales ressources aquacoles dans le monde. Et cela alors que les bassins de production d’huîtres sont particulièrement concernés par la pollution chimique du fait de leur proximité avec les bassins versants. En France, des pesticides sont régulièrement détectés dans les zones de production conchylicole où le renouvellement de la production repose en partie sur le recrutement naturel des larves, comme dans les bassins de Marennes Oléron ou d’Arcachon. Pour mieux comprendre les effets de la contamination côtière par les pesticides sur les organismes invertébrés tels que l’huître creuse, nous avons participé à un projet de recherche au long cours. Et les résultats sont sans appel : l’exposition aux pesticides affecte la reproduction des huîtres et certains des effets délétères sont retardés chez les générations suivantes.
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Pour comprendre l’originalité de cette recherche, il faut d’abord comprendre que l’écotoxicologie, discipline scientifique qui étudie le comportement et les effets des polluants sur les écosystèmes, se heurte aujourd’hui à plusieurs défis majeurs.
En particulier, les stades de vie embryonnaires et précoces constituent des périodes critiques pour le vivant, au cours desquelles ils sont plus vulnérables aux facteurs environnementaux. L’épigénétique, qui étudie les mécanismes modifiant de manière réversible, transmissible et adaptative l’expression des gènes sans changer la séquence d’ADN, semble être à la base de ces mécanismes. Or, la plupart des données disponibles à ce jour en épigénétique environnementale proviennent de modèles basés sur les mammifères. Plus récemment, des vertébrés aquatiques ont été étudiés, mais peu de données sont encore disponibles pour les organismes invertébrés. Nous avons donc voulu y remédier.
Les zones conchylicoles, on l’a vu, sont particulièrement exposées à la pollution. De plus, l’huître, repartie sur une large aire géographique, est aussi un organisme filtreur et sessile (qui vit fixée à un substrat et subit donc les aléas environnementaux). De ce fait, elle peut être considérée comme un bioindicateur de la qualité de l’eau. Tout ces éléments en font une espèce modèle de choix pour les études d’écotoxicologie marine.
Dans le cadre du projet ANR PESTO, qui s’est déroulé entre 2020 et 2024, nous avons donc proposé un dispositif expérimental représentant au mieux la réalité environnementale de la contamination des huîtres creuses. Celles-ci ont été exposées de façon précoce, pendant les 48 premières heures de leur développement embryo-larvaire, à un mélange de 18 pesticides à faible concentration (2,85 µg/L au total) représentatif des concentrations mesurées sur le littoral.
Grâce aux installations zootechniques de la plateforme mollusques marins de l’Ifremer située à Bouin (85), les animaux ont ensuite pu être maintenus en conditions contrôlées sur l’ensemble de leur cycle de vie, permettant d’étudier une multitude de paramètres physiologiques et moléculaires pour décrire les implications à long terme de cette exposition précoce.
En répétant cela sur trois générations, il a été possible de révéler l’influence multigénérationnelle de cette exposition dont les effets directs étaient pourtant limités.
Lors de la première génération d’huitres, aucune altération n’a été mise en évidence à l’aide des tests classiques de toxicité : ni le taux d’anomalies développementales des larves (embryotoxicité) ni le taux d’altération de la molécule d’ADN (génotoxicité) n’ont présenté de hausse significative sous l’effet de l’exposition.
De même, les technologies moléculaires de haute résolution utilisées pour mesurer les niveaux d’expression des gènes et la méthylation de l’ADN après six heures d’exposition n’ont permis de révéler que de légères altérations. Tels que, une tendance à la perte de méthylation et le dérèglement de l’expression de peu de gènes, bien qu’une partie d’entre eux soient des facteurs de transcription impliqués dans la régulation de processus développementaux importants.
Néanmoins, des effets retardés notables ont ensuite été mesurés tout au long du cycle de vie des huîtres creuses suivies. Les performances de nage, mesurées six jours après la fin de l’exposition, étaient diminuées chez les larves ayant été exposées par rapport aux individus témoins (vitesse et mobilité réduites).
Deux semaines plus tard, les larves exposées présentaient aussi une moins bonne capacité de métamorphose par rapport aux individus témoins, en lien avec une déméthylation toujours marquée de l’ADN. Ces résultats laissent penser que moins d’individus étaient capables de passer du stade larvaire au stade naissain (huîtres juvéniles).
Chez les individus adultes, une sensibilité réduite aux phénomènes de mortalité estivale dans le milieu a pu être observée, suggérant une meilleure tolérance aux pathogènes. Chez les huîtres âgées d’un an la reproduction était affectée et le métabolisme du glycogène, impliqué dans la production des gamètes, était modifié chez les individus précocement exposés, augmentant leur succès reproducteur.
Restait à déterminer si une exposition précoce des huîtres creuses aux pesticides pouvait entraîner des conséquences pour les générations suivantes. Le projet de recherche suggère que c’est bien le cas.
Des modifications dans l’expression des gènes ainsi qu’une hyper-méthylation marquée de l’ADN débutaient dès la deuxième génération d’huîtres. Ceci pourrait avoir d’importantes implications en termes d’adaptation.
Tout comme leurs parents ayant subi une exposition précoce aux pesticides, les larves descendantes présentaient une moindre capacité à se métamorphoser. Des éléments suggèrent que leur reproduction aussi pourrait être affectée : la cinétique de la gamétogénèse est accélérée chez ces populations, où on observe aussi une tendance à la féminisation des populations.
Toutefois, la répétition de l’exposition aux pesticides sur plusieurs générations ne semblait pas amplifier les effets observés.
Ces résultats sont intéressants à bien des égards :
Autrement dit, ils montrent que les études de toxicité qui ne s’intéressent qu’aux effets observables à court terme peuvent être remises en question.
Il en va de même des méthodes d’analyse classiquement utilisées : ici, les marqueurs traditionnellement utilisés (embryotoxicité, génotoxicité) n’ont pas fourni de résultats significatifs, alors que des conséquences de long terme ont pu être mises en évidence sur l’ensemble du cycle de vie.
Il est donc urgent d’approfondir les études d’écotoxicité en y ajoutant une dimension temporelle et en mettant à profit des méthodes d’analyse fines. Ces évaluations doivent également reposer sur une meilleure compréhension des mécanismes d’hérédité transgénérationnelle des réponses aux stress environnementaux. C’est nécessaire si l’on souhaite évaluer correctement le risque que représente la contamination chimique dans le milieu marin.
À propos des auteurs :
– Rossana Sussarellu. Docteur en biologie marine, Ifremer.
– Thomas Sol Dourdin. docteur en biologie marine, Ifremer.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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