Partager la publication "Quelle alimentation en 2050 ? “Manger n’est jamais acquis”"
Avant de bien se nourrir, encore faut-il pouvoir se nourrir. Notre expérience durant le Covid, quand certains rayons des supermarchés étaient vides, nous a fait prendre conscience du fait que l’alimentation ne va pas de soi, même sous nos latitudes. Les conflits, comme la guerre en Ukraine, ou les épidémies peuvent soudainement mettre à mal les approvisionnements. D’où l’importance de restaurer une véritable souveraineté alimentaire. Question de sécurité. Mais qu’en sera-t-il en 2050 ?
Pour tenter de le savoir, nous avons convié Pierre Raffard, géographe et codirecteur du Food 2.0 LAB Paris, pour parler de géopolitique de l’alimentation et de ce qu’il y aura – sans doute – dans notre assiette et dans notre verre dans un quart de siècle. Il a animé une des conférences organisées dans le cadre de l’événement we are_ DEMAIN. L’occasion de rappeler une vérité un peu oubliée : manger n’est pas aussi acquis qu’on pouvait le penser.
“On parle souvent de permaculture, de bio, de consommation locavore… depuis une vingtaine d’années mais les modèles dominants restent, de très loin, ceux de l’industrie agro-alimentaire, souligne Pierre Raffard. Ce que je vois se profiler c’est un communautarisme de l’alimentation. Pas dans le sens religieux mais dans le sens d’une atomisation des consommations alimentaires. On aura de plus en plus de groupes comme les viandards, les végétariens, ceux qui ne mangent pas de gluten… cela va se polariser. Manger devient de plus en plus une manière d’affirmer qui on est. Ou qui on voudrait être.”
D’ici 2050, quatre thématiques vont plus particulièrement émerger en matière d’alimentation selon Pierre Raffard :
Pierre Raffard : Il y a en effet la montée en puissance de la food tech. Elle veut trouver des solutions techniques et technologiques à des problématiques actuelles. D’une certaine manière, c’est une façon de prolonger l’alimentation industrielle. À l’heure actuelle, ça ne porte pas vraiment ses fruits. Si on regarde l’exemple absolument fascinant qu’est Beyon Meat, on peut se poser des questions. Cette entreprise de production d’alternatives à la viande avait tout pour que ça marche. De grosses levées de fonds, une entrée en bourse réussie, des centaines de chercheurs en R&D, une communication incroyablement bien pensée, un excellent packaging…
Mais Beyond Meat est en train de s’effondrer. Pourquoi ? Selon moi, c’est parce que ça ne répondait à aucun besoin. Je m’explique : si vraiment vous voulez diminuer votre consommation de viande, vous devenez végétarien et vous développez des stratégies culinaire qui vont vous permettre de manger des plats qui vous plaisent sans carence. Ça passe par davantage de légumineuses, etc. Et si vous êtes flexitarien, vous n’allez pas non plus acheter ce substitut de viande car la texture est bof, le goût est bof, c’est très transformé et c’est assez cher. Mais, à la limite, le prix n’est pas un critère car c’est plutôt une élite qui consomme ce genre de produits…
Non, c’est peu probable. D’autant plus qu’il y a une frange de la population qui se réclame d’un modèle hyper industriel. Ça devient presque une valeur en tant que telle. Prenons l’exemple du succès de la chaîne O’Tacos. C’est une offre qui ne respecte absolument rien de ce qu’on devrait faire. C’est gras, ça déborde de viande, ça déborde de fromage… Sur un plan nutritionnel, c’est déplorable. Sur un plan gustatif, ce n’est pas terrible et pourtant O’Tacos a créé une véritable communauté autour de sa cause.
Ce que je vois, c’est qu’on va avoir un modèle industriel toujours dominant à l’échelle global et, à côté, de plus en plus de modèles alternatifs qui vont se multiplier, se superposer et qui vont interagir les uns avec les autres à l’échelle plutôt locale.
Absolument, ce sera une vague importante dans les décennies à venir. C’est ce que j’appelle la rétro-innovation, c’est-à-dire qu’on n’invente “rien” mais qu’on remet au goût du jour des aliments, qu’on redécouvre les patrimoines alimentaires des anciens. On remet cela au goût du jour. Aujourd’hui, c’est souvent perçu comme quelque chose propre aux bobos. La popularisation des graines de chia et du quinoa, par exemple. Cette céréale, en particulier, a fini par rentrer dans les pratiques alimentaires de la population française.
On verra sans doute cela dans quelques années pour la même chose pour le fonio, une autre céréale, plutôt cultivée en Afrique de l’Ouest et qui est, elle aussi, sans gluten. En France, on observe aussi le grand retour en grâce de la chicorée. Finalement, tout cela peut aider à trouver une certaine forme de souveraineté alimentaire.
Concernant les insectes, je trouve que la question est mal posée dès le départ. Est-ce que les gens vont accepter de manger un steak de grillons ? Les données anthropologiques nous disent que des barrières psychologiques seront difficiles à dépasser. Mais pourquoi des protéines faites à partir d’insectes ne pourraient-elles pas entrer dans l’alimentation animale ? Ce serait déjà une bonne solution pour la planète…
Ce qui me fait peur dans cette question des ressources de la mer, c’est que nous ne devons pas faire les mêmes erreurs que sur terre. Et, finalement, si tous les intras qu’on met sur terre finissent par se retrouver dans les océans, on va avoir avec 50 ans d’écart exactement les mêmes problèmes pour la nourriture terrestre que marine. Si on part du principe qu’à partir du moment où on a épuisé toutes les ressources terrestres, on n’a qu’à passer aux ressources marines, ce sera simplement repousser l’échéance pour un résultat absolument similaire.
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