Partager la publication "Railcoop, la coopérative qui relance les lignes de train abandonnées par la SNCF"
[Mise à jour] Depuis la publication de cet article en août 2020, Railcoop a réuni le capital social nécessaire pour l’obtention de la licence ferroviaire voyageurs, c’est-à-dire 1,5 million d’euros. La coopérative compte à ce jour plus de 6 200 sociétaires. Sa première ligne commerciale doit être ouverte en juin 2022, entre Bordeaux et Lyon. En 2023, la société espère ouvrir deux autres lignes : Toulouse-Rennes et Lyon-Thionville. Et, dès cet automne, un projet de navette-fret entre Toulouse/Saint-Jory et Viviez, dans l’Aveyron, sera lancé.
Chaque ligne de chemin de fer est une aventure technique, politique, humaine… L’histoire de celle qui relie Bordeaux à Lyon, achevée à la fin des années 1860, n’échappe pas à la règle. Elle a connu la solide locomotive à vapeur 141 TA, surnommée “cul de bateau”, en raison de son derrière faisant penser à la poupe d’une péniche. Elle a connu la première guerre mondiale, les vivres américains débarqués dans les ports de l’Atlantique traversant la France sur rails pour alimenter le front.
Cet article a initialement été publié dans la revue WE DEMAIN n°31, paru en août 2020, toujours disponible sur notre boutique en ligne.
Puis, dans la première moitié du XXe siècle, la Bordeaux-Lyon a transporté les voyageurs amateurs de cures thermales, en chemin pour Vichy, La Bourboule, Le Mont-Dore… L’arrivée en 1954 des trains RGP (rame à grand parcours), fonctionnant au diesel et réversibles, a marqué un progrès. Il ne fallait plus que trois minutes au conducteur pour changer de cabine et pouvoir repartir en sens inverse.
Le dernier demi-tour s’est fait en 2012. Il faut dire que, lentement, cette ligne était passée de mode. Elle était devenue l’une de ces transversales concurrencées par l’autoroute, délaissées par la SNCF au profit des TGV plus rentables, tous convergents vers Paris. C’en était fini de la liaison ferroviaire complète, à travers le Massif central, entre les deux métropoles.
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Mais depuis 2019, l’histoire du Bordeaux-Lyon commence à se réécrire au futur. Car en décembre prochain, le marché ferroviaire des voyageurs sera ouvert à la concurrence : fini le monopole de la SNCF, qui remontait à 1937 ! Prévue depuis vingt ans dans le cadre de l’Union européenne, cette privatisation a donné des idées à une bande d’une dizaine de personnes réunie en février 2019 dans la salle des fêtes de Blars, dans le Lot.
Parmi eux, Nicolas Debaisieux, ingénieur spécialiste de la transition énergétique, sa sœur Alexandra, passée par le conseil en financements européens, Dominique Guerrée, qui a fondé plusieurs sociétés coopératives, ou encore Romain Bailly, ancien conducteur de train. Leur envie ? Pallier les missions de service public abandonnées par l’État, qui, plus que jamais, représentent l’avenir : les petites lignes locales, les trains de nuit, le fret…
“Tous les secteurs sont engagés dans la transition écologique, sauf celui du transport, estime Nicolas Debaisieux. C’est d’autant plus aberrant qu’on a un formidable outil, le train, qui est largement sous-exploité. L’État ne fait pas son job dans ce domaine. On a décidé d’y aller. On ne peut plus se permettre d’attendre.” En avril 2019, pour préparer le terrain, la petite bande de Blars commence par créer une association. Leur entreprise réunira des citoyens, sous forme de coopérative. Elle s’appellera Railcoop.
Le but ? Rétablir la ligne Lyon-Bordeaux, avec des arrêts en gares de Roanne, Saint-Germain-des-Fossés, Gannat, Montluçon, Guéret, Saint-Sulpice-Laurière, Limoges, Périgueux et Libourne. Avec un temps de parcours prévu de 6 h 47 d’un bout à l’autre de la ligne, le service sera forcément un peu plus lent qu’un voyage par deux TGV avec changement à Saint-Pierre-des-Corps (5 h 30).
Le projet a-t-il un avenir économique ? Une étude de marché montre que oui. “Il y a un flux de trafic non négligeable, en forte croissance, souligne Nicolas Debaisieux. La ligne d’avion Lyon-Bordeaux est la première en France, avec 590 000 voyageurs par an, un nombre qui augmente de 5 à 6 % chaque année. C’est aussi un axe autoroutier, via l’A89, sur lequel le trafic augmente. On pense récupérer 80 % de nos voyageurs chez les conducteurs de voitures. Notre train reliera les deux villes en un peu moins de 7 heures, quand il en faut 6 h 30, en comptant les pauses, par la route. Mais le train offre beaucoup d’avantages : le confort, la sécurité… Et le prix d’un aller simple sera du même ordre que celui du covoiturage.” Compter autour de 38 euros.
En novembre 2019, la première coopérative dédiée au ferroviaire voit le jour – avec Nicolas pour directeur – et commence à recruter des sociétaires. Ils étaient 900 fin juin 2020, réunissant un capital de 270 000 euros. Les fondateurs de Railcoop visent 1,5 million d’euros pour la fin 2020, avec 3 000 sociétaires. Ces derniers vont être recrutés parmi des particuliers, des entreprises, des collectivités locales. Chacun aura une voix, quel que soit son apport.
Mais il reste des obstacles à franchir. Par exemple celui-ci : les loueurs de train exigent un garant. Railcoop va essayer de se tourner vers l’État pour qu’il remplisse ce rôle. Et si tout va bien, dans le courant de l’année 2022, les premiers trains Railcoop rouleront, de jour comme de nuit. Avec un coin pour les vélos (y compris cargos), du wifi, des repas en partenariat avec des restaurateurs locaux, une aire de jeu pour les enfants… Une aventure ferroviaire qui, en cas de succès, pourrait en inspirer d’autres.
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