Partager la publication "Rapport du GIEC : des ONG réclament une mise en garde contre la géo-ingénierie"
Tensions autour du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC) qui doit publier, lundi 20 mars, la synthèse des travaux qu’il a effectués depuis 2015*, date de l’Accord de Paris et de l’objectif de contenir le réchauffement vers +1,5 °C afin d’éviter de multiplier les dangers pour l’humanité. Au programme : un condensé d’une cinquantaine de pages rédigé à partir des milliers de pages regroupant les connaissances actuelles sur le réchauffement, ses impacts et les moyens d’y faire face.
Et également un “résumé à l’intention des décideurs” d’une dizaine de pages, et qui doit être approuvé ligne à ligne par les délégués du GIEC issus de 195 pays. Ce sera la base scientifique de l’action des années à venir, jugées “capitales” par la communauté internationale. De fortes attentes se portent sur cette nouvelle publication, notamment au sujet de la géo-ingénierie.
Alors que la ligne rouge de +1,5 °C est désormais proche (nous sommes à +1,2 °C), plus de 200 organisations appellent le GIEC “à se concentrer sur l’élimination rapide des combustibles fossiles et non sur des solutions spéculatives”. Une référence à la géo-ingénierie : captage technologique du CO2 d’un côté, manipulation du rayonnement solaire de l’autre. Parmi les signataires de cette lettre ouverte initiée par des membres de l’alliance civile HOME (Hands Off Mother Earth) : Les Amis de la Terre, Oxfam, Biofuelwatch ou encore ETC Group.
Dans le scénario le plus optimiste du GIEC, limitant le réchauffement à +1,4 °C à horizon 2100, le potentiel des technologies de captage du CO2 reste “limité”, estime Franck Lecocq, directeur du CIRED (Centre international de recherche sur l’environnement et le développement) et coauteur du dernier rapport du GIEC. Le but principal étant bien de “réduire dès maintenant les émissions dans tous les secteurs”.
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Néanmoins, l’objectif +1,5 °C paraissant bien hors de portée pour de nombreux scientifiques, les initiatives envisageant une montée en puissance de la géo-ingénierie se multiplient. Les recherches sont souvent financées par des fonds liés à des milliardaires, à la finance, à la technologie, aux énergies fossiles, mais aussi par des Etats : Etats-Unis, Union européenne, Royaume-Uni, Canada…
Les gaziers et pétroliers s’affichent quant à eux comme “une partie de la solution”, avec le captage-stockage de CO2. Exemple : Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies lors de la dernière COP climat. C’est également le cas du Sultan Ahmed Al Jaber, PDG de la compagnie pétrolière ADNOC (Abu Dhabi National Oil Company) et président de la prochaine COP de Dubaï, favorable à “des investissements beaucoup plus importants dans les technologies de captage du carbone”.
Autre signe : une commission internationale du dépassement (Climate Overshoot Commission) a été créée l’an passé, notamment pour étudier la possibilité et la gouvernance d’injections de particules dans la stratosphère (le soufre est le plus souvent cité) afin de refroidir la température au sol. Objectif : publier cette année un rapport devant servir de “référence pour orienter les futures discussions mondiales”, via les COP. Le Programme des Nations-Unies pour l’environnement (PNUE) s’intéresse lui aussi à cette question.
Le GIEC lui-même a analysé dans ses derniers rapports toutes les technologies associées au captage de CO2 et à la manipulation du rayonnement solaire : captage/stockage du CO2 fossile, biotechnologies, biocharbon, machines à absorption, traitement des océans, des nuages, des roches, injections de particules en altitude… Et l’an passé, plusieurs centaines de scientifiques, dont les chercheurs français Jean Jouzel et Hervé Le Treut, ont signé un appel pour “un accord international de non-prolifération de la géo-ingénierie solaire”, celle qui vise donc à manipuler les rayons du soleil.
Dans un tel contexte, les organisations civiles signataires de la lettre ouverte de HOME demandent au GIEC de veiller à ce que les documents de synthèse publiés le 20 mars “fournissent un compte rendu clair, suffisant et honnête des véritables moteurs de la crise climatique”, avec “le rôle central des combustibles fossiles”. Et sans que les conclusions scientifiques rassemblées par le GIEC soient “compromises par des pressions politiques”.
Selon elles, il est notamment nécessaire que le résumé pour les décideurs mette en avant “la nécessité d’une élimination progressive rapide et équitable de tous les combustibles fossiles”. Que ce texte précise également les “risques, implications et dangers liés à l’utilisation à grande échelle des technologies d’élimination du dioxyde de carbone (CDR, carbon dioxide removal) et de capture et de stockage du carbone (CSC)” par la géo-ingénierie. Tout comme les dangers “de la modification du rayonnement solaire (SRM, solar radiation modification)”.
Pour les signataires, les documents qui seront publiés doivent “privilégier les pistes axées sur l’action climatique à court terme, les solutions réelles et le changement de système :
Et de montrer du doigt le groupe III du GIEC – celui des économistes – chargé d’étudier les moyens d’atténuation du réchauffement. “Un grand nombre des cadres de modélisation sur lesquels s’appuie (son) rapport supposent une augmentation des inégalités mondiales et intègrent les moteurs des crises : une croissance économique sans fin, une production continue de combustibles fossiles et l’extractivisme, tout en excusant la responsabilité des émetteurs historiques et en écartant la possibilité d’un changement social, politique et économique”, souligne la lettre ouverte.
Et d’ajouter : “Les hypothèses de ces modèles vont à l’encontre des propres conclusions du GIEC, qui reconnaît la croissance économique comme un moteur du changement climatique, ainsi que l’inégalité et la vulnérabilité causées par les modèles historiques et actuels. Le fait que les décideurs politiques s’appuient sur ces modèles pour prendre des décisions sur des choix politiques concrets risque de cimenter le statu quo et d’accroître les inégalités”. Comme un hic ?
* La synthèse publiée le 20 mars dressera la conclusion et fera le résumé de l’actuel cycle d’évaluation du GIEC, le sixième du nom depuis la création de ce groupe d’experts. Ce cycle comprend les trois derniers rapports d’évaluation publiés en 2021 et 2022 : réalité du réchauffement, conséquences du réchauffement et adaptation, moyens d’atténuation. Il concerne également les trois rapports spéciaux qui les ont précédés depuis 2015 : rapport sur un monde à +1,5°C en 2018, rapport sur les terres émergées et rapport sur les océans et la cryosphère en 2019.
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