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Rhône : une biodiversité à respecter absolument

Triton crêté, échasse blanche, chamois de Chartreuse, apron du Rhône, loutre d’Europe, que leurs noms vous soient familiers ou non, ces animaux s’inscrivent sur la longue liste des espèces menacées de disparition en France et en particulier en Rhône-Alpes. Même les hérissons sont frappés. Près des deux tiers ont disparu dans le Rhône. Ici comme ailleurs, les scientifiques observent un effondrement rapide d’écosystèmes entiers qui menace nombre des espèces animales ou végétales. Ce que l’on appelle la sixième extinction.

La Terre en a déjà connu cinq, résultant de bouleversements climatiques, éruptions volcaniques, ou d’une météorite qui aurait provoqué la fin des dinosaures. Mais, cette fois, nous en sommes responsables. Et personne ne le conteste sérieusement. Or ce phénomène va impacter l’humanité au niveau de l’alimentation, de l’accès à l’eau, et de la qualité de vie.

L’être humain, responsable de la sixième extinction

Partout les mêmes origines : destruction des habitats, chasse, surpêche. La diminution des populations de certains oiseaux serait, en partie, due à la disparition massive d’insectes, en ville comme à la campagne. La LPO (Ligue de protection des oiseaux) Auvergne Rhône- Alpes déplore une baisse sensible de la faune aviaire dans la région, dont elle rappelle les raisons : “Il existe de nombreuses causes, notamment la création de paysages homogènes et artificialisés qui empêchent la nature de se développer, l’utilisation de produits phytosanitaires dans les jardins ou l’agriculture. La disparition des milieux naturels qui laissent la place à une forte urbanisation constitue aussi une explication.”

Le phénomène, entamé il y a plusieurs siècles, accélère depuis une cinquantaine d’années. Récemment, la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences publiait une étude inquiétante : “Au lieu de neuf extinctions attendues [entre 1900 et 2050, ndlr], ce sont 1 058 espèces qui seront éteintes en 2050, écrit l’équipe. Les espèces qui s’éteindront durant ces 150 ans auraient mis 11 700 ans à disparaître avec un taux naturel d’extinction.” Selon les Nations unies, un quart des espèces pourraient disparaître très vite. Dans les prochaines décennies pour certaines. Y compris des animaux aussi emblématiques que le guépard. “La vitesse de ces disparitions est 100 à 1000 fois plus importante que ce qu’elle devrait être”, déplore Valérie Cabanes, juriste internationaliste, présidente d’honneur de “Notre affaire à tous“.

“Les Français ne savent plus ce qu’est la nature. L’une des raisons, c’est que la nature est de plus en plus privatisée, difficile d’accès.”

Arnaud Leroy, président de l’Ademe.

À lire aussi : Podcast – Quel avenir pour les fleuves face au changement climatique ?

La diversité, un concept récent

L’humanité s’est inquiétée tardivement de la vie qui l’entourait. Significatif, le terme biodiversité ne date que de 1986, à l’occasion d’un congrès à Washington, The National Forum on BioDiversity. Lui-même vient d’une expression apparue en 1968, forgée par un scientifique américain, Raymond F. Dasmann, “diversité biologique” (biological diversity). “En France, légalement, la biodiversité existe depuis la loi de juillet 1976 relative à la protection de la nature”, précise Patricia Savin, juriste, spécialiste du droit environnemental et présidente d’Orée, qui regroupe entreprises et collectivités autour de l’économie circulaire, la biodiversité et la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises).

Alors que faire face à une telle situation qui frappe aussi bien la biodiversité ordinaire (les espèces “courantes”) qu’extraordinaire (grands prédateurs, plantes rares) ? En ordre dispersé, individus, institutions ou entreprises réalisent l’ampleur de la tâche. Pour Patricia Savin : “De plus en plus d’entreprises prennent conscience de leur impact sur la vie et comprennent qu’elles sont dépendantes de la biodiversité. Nous les accompagnons pour qu’elles fassent les bons choix, au niveau énergétique par exemple.”

“Quand les entreprises s’engagent pour la biodiversité, les employés apprécient et leur attachement à l’entreprise est renforcé.”

Claire Tutenuit, déléguée générale d’EpE (Entreprises pour l’environnement).

Et pourquoi pas une personnalité juridique pour le Rhône ?

Juristes, associations, organisations internationales considèrent que l’urgence est telle qu’elle justifie un cadre légal contraignant, nécessaire au sauvetage de la biodiversité. Des innovations apparaissent en Inde, en Colombie, qui donnent ainsi une personnalité juridique à un fleuve. Pour Valérie Cabanes, ce sont des moyens efficaces : “Il faut cesser de penser l’homme hors de la nature. Le droit est anthropocentré. Or l’humain n’est pas détaché de la nature ou des autres espèces, il en fait partie. Il est une des espèces. Et c’est pourquoi il est temps d’allouer une personnalité juridique à certains écosystèmes. Et pourquoi pas au Rhône ?”

Patricia Savin regrette que le choc Covid, qui aurait dû favoriser une prise de conscience, n’ait eu que peu d’effet. Alors que, dès le début de la pandémie, les scientifiques ont pointé son origine animale et le rôle joué par la destruction d’écosystèmes : “On n’a pas assez mis en avant ce lien entre l’apparition du Covid et l’épuisement de la biodiversité. Ce serait pourtant un levier pour toucher le plus grand nombre. La santé, la nourriture, ça me concerne, avec ma famille. Si la nature dont je fais partie s’effondre, cela aura des conséquences sur nos santés.” Au moins, une note optimiste : les scientifiques ont constaté que la nature, dans le monde, avait profité des “pauses-Covid” pour se reconstituer, au moins en partie…

Des solutions pour réconcilier l’homme et la nature

  • Bâtir des plans ambitieux, cohérents pour la restauration écologique de nos espaces naturels. Le Rhône bénéficie du plus grand programme de restauration écologique d’un fleuve à l’échelle mondiale. Il repose sur des partenariats associant Europe, État, collectivités, associations, industriels, etc. Avec des résultats probants: plus de
    120 km de cours et d’annexes fluviales restaurés, soit près du quart de sa longueur.
  • Changer notre rapport à la propriété pour considérer le sol comme un bien commun ? À l’image de certaines expérimentations, dans des métropoles françaises, inspirées du modèle suédois où l’on achète son logement tout en étant locataire du sol.

Texte de François Marot.

Cet article a été publié dans le numéro 34 de WE DEMAIN. Il fait partie d’un dossier réalisé en partenariat avec la CNR, Compagnie Nationale du Rhône. Le numéro est toujours disponible à la vente en version papier ou en version numérique.

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