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Sciences attaquées : nouvelle mobilisation Stand Up For Science

Jeudi 3 avril, des milliers de personnes – agents publics, étudiant·es, chercheur·ses et leurs soutiens – se sont mobilisé·es partout en France, en solidarité avec les scientifiques et en protestation contre l’austérité budgétaire au sein de l’université, l’Éducation nationale, la Culture et la fonction publique. Cette convergence souligne des menaces communes qui vont à l’encontre de l’intérêt général. Reportage sur cette journée aux côtés de Stand Up For Science et retour sur la situation aux Etats-Unis, berceau du mouvement.

Le 05/04/2025 par Marie Vabre
FRANCE - STAND FOR SCIENCE
Manifestation lors du premier Stand Up fo Science le 7 mars 2025 à Paris. Crédit : Mary Lou Mauricio / Hans Lucas.
Manifestation lors du premier Stand Up fo Science le 7 mars 2025 à Paris. Crédit : Mary Lou Mauricio / Hans Lucas.

Digne d’un roman de George Orwell, Donald Trump mène chaque jour une guerre dystopique contre la science – mais pas seulement  : détentions ou expulsions de scientifiques et d’étudiant·es, licenciements en masse, intimidations, censures, gels de financements, entraves à la collaboration scientifique internationale, etc. Aucune discipline n’est épargnée : études de la diversité et sciences sociales, du climat et de l’environnement, recherche médicale en santé publique… Les enquêtes menées actuellement sur plus de 50 universités sont délétères.

L’administration Trump s’en prend à tous les postes et les organes perçus comme des opposants, considérant que leur travail va à l’encontre de son idéologie, son agenda conservateur et ses intérêts financiers. “La nouveauté, c’est la vitesse et l’intensité. En trois mois à peine, on assiste à une mise sous pression qui dépasse largement le précédent mandat“, observe Virginie Adane, maîtresse de conférences en histoire moderne à Nantes Université.

Stand Up for Science
Le 3 avril 2025, s’est tenue la seconde mobilisation “Stand Up for Science” dans toute la France. Crédit : Marie Vabre.

Le SOS des scientifiques états-uniens

De nombreux organismes de recherche et de régulation ont subi les attaques violentes du DOGE, le département de l’efficacité gouvernementale d’Elon Musk. Derrière, se cache aussi la logique de remplacement des services publics par des services privés. Sur le front du climat, les décisions surréalistes s’enchaînent. La National Oceanic & Atmospheric Administration (NOAA), en charge de l’observation océanique et atmosphérique, a été perquisitionnée. Cet organisme qui a pour mandat de relever les données météorologiques, hydrologiques et climatiques, joue un rôle primordial dans la recherche scientifique mondiale. Historiquement, il monitore la hausse du CO2 et ses conséquences sur le dérèglement climatique. Katherine Calvin, climatologue et scientifique en chef à la Nasa, a été licenciée avec une vingtaine d’autres salarié·es.

Co-responsable du groupe de travail du GIEC sur l’atténuation du changement climatique, elle a été interdite de conférence, remettant en cause la sortie mondiale des prochains rapports. “L’obscurantisme atteint aujourd’hui une nouvelle dimension au plus haut niveau politique aux États-Unis”, s’indigne la climatologue Valérie-Masson Delmotte sur son compte Bluesky. Pour dénoncer toutes les attaques anti-science aux Etats-Unis, plus de 1 900 scientifiques, membres des Académies nationales des sciences, de l’ingénierie et de la médecine, ont publié une lettre ouverte au peuple. “L’entreprise scientifique de la nation est en train d’être décimée“, prévient la communauté académique.

Debout pour défendre la science, un bien commun

En réaction, Stand Up for Science vise à rassembler celles et ceux qui défendent les sciences comme “bien commun“. Le mouvement est né en écho aux Marches pour la science, initiées pendant le premier mandat du Président Trump. Dans Le Monde début mars, un collectif de personnalités françaises a appelé les citoyen·nes et scientifiques à les rejoindre, rappelant que la science est “essentielle à une société démocratique, inclusive et éclairée“. Le 7 mars, les rassemblements étaient organisés pour défendre “l’intégrité scientifique“. Plusieurs milliers de personnes ont manifesté à travers une centaine de villes aux Etats-Unis et en Europe.

Cette nouvelle journée du 3 avril a relancé la mobilisation, appelant “toutes celles et ceux qui participent à faire vivre les savoirs” aux quatre coins de la France : marches de rue, performances artistiques, conférences, temps d’échanges en amphi, espaces de sensibilisation, pique-niques engagés… À Paris, près de 1 000 personnes ont rejoint le cortège de Stand Up For Science au cours d’une mobilisation croisée. “Nous sommes là en soutien aux scientifiques américains“, témoigne Bruno Andreotti, physicien, professeur à l’Université Paris-Cité. Et d’ajouter : “Mais pas seulement. Ce qu’on observe aux États-Unis est en train de s’importer lentement et sûrement, dans le paysage français : les attaques contre la liberté académique, les restrictions implicites sur les sujets qu’on peut aborder, et le désengagement de l’État du financement de la recherche publique. On doit s’en saisir collectivement, pour défendre notre droit à produire du savoir librement, au service de la société.”

science université
Des cercueils pour symboliser la mort des universités face à la précarisation grandissante des établissements. Crédit : Marie Vabre.

Stand Up For Science : les savoirs menacés en France aussi

La communauté universitaire et scientifique est unanime pour dénoncer la précarisation qui s’installe. La communauté universitaire et scientifique pointe unanimement la précarisation qui s’installe depuis des années. Dans le cortège, un grand nombre d’étudiant·es est venu avant tout pour dénoncer les conditions de travail déplorables dans les établissements supérieurs. En 2025, l’enseignement et la recherche, déjà fragilisés, ont vu leur budget baisser de 1,5 milliard d’euros. “La France, qui pourrait apparaître comme un refuge, est en réalité frappée par des coupes budgétaires qui s’accumulent depuis plus de vingt ans, menaçant la viabilité de son propre système“, décrivait la tribune de plus de 2 000 scientifiques, publiée dans Libération début mars.

L’alerte a été lancée par les universités sur les cessations de paiement qui s’annoncent. “Cela fait vingt ans que l’enseignement public est déserté par les autorités, que le nombre d’étudiants augmente et que les crédits ne suivent absolument pas“, dénonce Anne Hugon, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Parmi les jeunes présent·es dans la rue, les inquiétudes portent sur leur avenir en général ; et pour certain·es, en particulier sur la remise en question de la parole scientifique.

Anne Hugon
À droite avec la pancarte, Anne Hugon, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le 3 avril 2025. Crédit : Marie Vabre.

Les organisations scientifiques et environnementales sous le feu des critiques

Je suis ici aujourd’hui parce que je ressens un besoin urgent de visibiliser la pression grandissante sur la liberté académique. Ce qu’on voit aux États-Unis est en train d’arriver en France aussi, à bas bruit“, décrypte Camille, doctorante en sociologie à l’EHESS. En effet, les atteintes se multiplient, touchant plusieurs organisations scientifiques et en charge de questions environnementales : appels à démanteler le CNRS, l’Office français de la Biodiversité (OFB), l’Agence de la transition écologique (Ademe), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et dégradations matérielles d’instituts de recherche, comme l’INRAE (Institut national de la recherche agronomique).

On nous pousse à être neutres, mais quand notre sujet de recherche touche à l’environnement ou aux discriminations, on est automatiquement catégorisés. Le rôle de la recherche est de questionner, pas de confirmer l’ordre établi. Je ne peux plus rester silencieuse“, conclut l’étudiante.

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Lors de la mobilisation du 3 avril, une pancarte se fait l’écho de la couverture du numéro 47 de WE DEMAIN. Crédit : Marie Vabre.

Un printemps (pas) silencieux pour les sciences

Passer sous silence, c’est bien le projet du Président Trump. Aux Etats-Unis, la censure idéologique s’est étendue au point de dresser une liste de plus de 200 mots surveillés ou proscrits, véritable autodafé moderne d’une ampleur sans précédent : femmes, justice sociale, crise climatique, sciences du climat, inclusion, genre, égalité aux soins, LGBT, non-binaire, bisexuel, personne enceinte, équité, minorités, intersectionnel, oppression, privilèges, stéréotypes, traumatisme, multiculturel… Cette liste non exhaustive qui fait froid dans le dos, est supposée servir à censurer des initiatives “wokes”, des bourses ou des projets de recherche. Des bases de données fédérales, des index sociaux et environnementaux, des archives scientifiques, des sites internet et des pages entières sont traquées par l’Intelligence Artificielle. Certaines données sont purement et simplement effacées. Il faudra des décennies pour réparer les dommages causés, une menace grave pour le patrimoine mondial de la connaissance partagée. Une pratique qui remémore de sombres souvenirs de l’Histoire.

Comme un cri d’alerte contre cette censure insupportable, “Stand Up For Democracy” a résonné à travers différentes villes de France en ce 3 avril. Cette performance artistique et participative proposait aux citoyen·nes volontaires de lire simultanément la liste des plus de 200 mots, “en réponse aux mesures assourdissantes de l’administration Trump“. Chaque participant·e portait une feuille blanche dans le dos, symbole de l’effacement. Cette idée de Caroline Bravo, artiste transdisciplinaire, performeuse et commissaire d’exposition, “est une façon d’entrer en résistance collectivement“, revendique-t-elle. “Il s’agit d’affirmer la Science et la Démocratie comme biens communs essentiels, et de lutter collectivement contre les dérives autoritaires.”

Stand Up For Science
Mobilisation Stand Up For Science devant L’Académie du Climat à Paris le 3 avril 2025. Crédit : Marie Vabre.

Stand Up For Science : se réapproprier du pouvoir citoyen

Sciences attaquées : quelles solidarités ? C’est la question que posait la conférence publique à l’Académie du Climat, pour conclure cette journée. Des chercheur·ses de disciplines variées étaient invité·es à prendre la parole. À l’échelle citoyenne, “c’est en participant à la circulation d’informations sourcées, fiables et positives, ou plutôt tangibles“, recommande Virginie Adane, historienne. En effet, notre pouvoir d’agir en tant que citoyen réside également dans notre expérience d’information. Pour combattre les contre-vérités, par exemple sur l’immigration ou tout autre sujet, il s’agit de “se référer à une information de qualité que nous avons la chance d’avoir en France, via les instituts de statistiques“, fait-valoir Ioana Manolescu, Directrice de recherche en informatique à l’Inria et l’École polytechnique.

D’où le rôle pivot de la médiation scientifique et de l’éducation populaire, que cela passe par des médias, des lieux ouverts au public, ou des associations. “Reposant sur le savoir scientifique, nous sommes une plateforme pédagogique qui vise à transmettre à des publics de tous âges et toutes origines. C’est ainsi que nous encourageons le passage à l’action“, rappelle Sarah Alby, la directrice de ce lieu inclusif en plein centre de la capitale. Ce modèle qui suscite l’engouement, inspire des espaces de sensibilisation et de démocratisation des enjeux écologiques sur tous les territoires. « Il faut aussi soutenir les associations qui contribuent à créer ce lien entre les sciences et la société pour renouer la confiance », est convaincue Pauline Aubert, Docteure en chimie et médiatrice de l’association Science Ouverte.

académie du climat stand up for science
Prises de parole lors de la conférence publique à l’Académie du Climat le 3 avril 2025. Crédit : Marie Vabre.

Les sciences, piliers de la démocratie

D’où également l’importance de susciter des conversations apaisées dans l’espace public, en se mettant au niveau des valeurs pour les comprendre et ouvrir le dialogue, insiste Christophe Cassou, climatologue et directeur de recherche au CNRS. “Il y a une volonté de fracturer le lien entre savoirs établis et décisions collectives. Cette rupture est dangereuse pour le climat, mais aussi pour la démocratie. On voit une montée de la défiance systématique, alimentée par la désinformation, par le complotisme et par un certain relativisme politique.”

Selon Emmanuelle Perez-Tisserant, maîtresse de conférences en histoire à l’Université Toulouse – Jean Jaurès, la vigilance reste de mise quant aux prochaines élections : “La situation n’est certes pas encore similaire en France, mais comment ne pas penser à une future arrivée au pouvoir de personnalités ayant ces mêmes idées, vu le contexte dans lequel nous nous trouvons ?“, soulève-t-elle dans un article publié dans The Conversation France. Rappelons-nous, les sciences font partie des piliers essentiels de notre démocratie. Pour repousser les obscurantismes et “rouvrir des horizons florissants“, levons-nous ensemble…

Pour signer la tribune : https://standupforscience.fr/tribune/

Des ressources pour mieux s’informer

*Tous·tes les chercheur·ses cité·es dans cet article s’expriment en leur nom propre.

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