Partager la publication "Un avenir florissant pour la Grande muraille verte en Afrique ?"
En septembre 2020, un rapport commandé par la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification portait un jugement sévère bien qu’attendu sur la stratégie Grande muraille verte (GMV) et notamment sur son état d’avancement (UNCCD, 2020).
En janvier 2021, en réponse à ce constat d’échec, « l’accélérateur de la GMV » était lancé lors du One Planet Summit à Paris. Ce programme vise à relancer et à redynamiser un projet qui, après une première phase expérimentale, cherche un second souffle. Le temps du changement semble venu pour adopter un nouvel ajustement entre actions de terrain et ambitions politiques : ce temps de l’accélérateur doit être celui d’un nouveau rendez-vous entre la GMV et ses territoires.
Des réalisations locales à faible impact
Adoptée en 2007 sous l’égide de l’Union africaine, la GMV résulte du volontarisme des chefs d’États africains en matière de « lutte contre la désertification ». Initialement définie selon un tracé régional continu de 15 km de large et constituée de plantations arborées afin de restaurer 250 millions d’hectares de terres dégradées d’ici 2030, la stratégie d’intervention du projet connaît ensuite un fléchissement en faveur d’une approche intégrée, sur le modèle d’une mosaïque d’activités diversifiées avec l’objectif d’un mieux-être écologique et humain.
Cette redéfinition n’empêche pas les objectifs de la GMV de demeurer à la fois flous et fortement contraints par des objectifs fixés à l’échelle globale (le reboisement comme outil de lutte contre le changement climatique) alors même que ses réalisations peinent à tenir compte des réalités locales dans les territoires ciblés.
Dans ces conditions, la question de son devenir et de sa raison d’être demeure en suspens, l’engouement que suscite le projet à l’échelle continentale et internationale masquant une matérialité peu tangible à l’échelle locale dans les différents pays membres, comme c’est le cas au Sénégal, pays faisant office de laboratoire du projet régional.
Jusqu’à présent, les deux principaux piliers de l’action de la GMV au Sénégal sont le reboisement à travers la plantation d’arbres (officiellement 72 450 ha en 2019) et l’appui à la production maraîchère.
Le reboisement apparaît toutefois peu conciliable avec la vocation pastorale du Ferlo, la zone d’implantation du projet, tandis que le maraîchage se heurte à de nombreuses difficultés (accès à l’eau, faible maîtrise technique du maraîchage, ciblage incertain des bénéficiaires) et sa pérennité n’est pas assurée.
Les défis rencontrés par les gestionnaires du projet sont donc autant sociaux qu’écologiques, dans ce territoire où l’articulation entre projets exogènes et pastoralisme a souvent été difficile.
Grande muraille verte : une stratégie d’intervention rigide
Ce diagnostic d’un impact mitigé des activités de la GMV est étayé par les perceptions du projet par les différentes parties prenantes. En effet, les populations locales y voient avant tout un projet environnemental étatique « top down » déconnecté des réalités locales.
Les expériences d’opérations de reboisement aux résultats contrastés et les investissements controversés dans la sylviculture privée (filière gomme arabique) au Ferlo sont des précédents marquants. Les débats qu’ils suscitent fragilisent l’acceptation locale du projet, perçu comme une menace pour les activités des éleveurs sans réelle mesure compensatoire pour les populations (emplois durables, rémunération conséquente, disponibilités des pâturages). Après quasiment 15 ans d’existence, l’impatience et la frustration des populations locales se font sentir sur le terrain.
La tentation de la « reproduction à l’identique » des aménagements semble en outre dominante du point de vue des gestionnaires du projet, qui peinent à développer une vision véritablement territorialisée de la stratégie d’intervention, pourtant nécessaire à un meilleur alignement des bénéfices environnementaux avec les perspectives de gains pour les communautés locales.
Ancrer la Grande muraille verte dans les territoires
Une meilleure territorialisation de la GMV s’impose, afin de favoriser l’articulation des actions communes à l’échelle du territoire de la ZSP, à d’autres, plus diversifiées et ajustées aux aspirations locales en matière de développement.
Cela implique sans doute une rupture par rapport au modèle actuel de la gouvernance de la GMV consistant à s’appuyer davantage sur des démarches participatives. Des recherches ont par exemple identifié la gestion communautaire des ressources naturelles intégrant la régénération naturelle assistée (méthode moins coûteuse mais plus efficace écologiquement et mieux acceptée socialement que le reboisement), comme aspiration forte des populations locales.
Plutôt qu’une « vitrine » environnementale africaine projetée à l’échelle internationale, la GMV pourrait ainsi se muer en outil de gouvernance et de développement local adressé aux populations locales et avant tout aux éleveurs transhumants ou agropasteurs.
Atteindre cet objectif implique que la GMV s’appuie sur les instruments déjà existants en matière de gouvernance territoriale et de gestion partagée des ressources (unités pastorales, comités de gestion des forages, conseils communaux) et, au-delà, qu’elle parvienne à ouvrir le cercle des parties prenantes à l’ensemble des acteurs du territoire.
L’accélérateur, une occasion à saisir
L’accélérateur se présente comme l’occasion d’un nouveau rendez-vous pour la GMV avec ses territoires. Doté de plus de 14 milliards d’euros de nouveaux financements, son objectif est de soutenir les efforts des États pour « une approche plus globale du développement rural », pour « l’amélioration des systèmes de production » et pour « assurer la durabilité à long terme de l’ensemble de la région du Sahel ».
Cette occasion ne pourra être saisie que si des actions tangibles et construites localement avec les communautés sont associées à chacun des préceptes cités. Et elle ne se concrétisera qu’à la condition que « l’accélération » qu’incarne cette nouvelle structure n’accuse pas davantage le décalage entre les temporalités divergentes auxquelles se confronte la Grande muraille verte : temps court du politique, temps long de l’écologie végétale, rythmes des acteurs locaux, de leur quotidien et de leurs évolutions.
Se pose en creux la question de la nature de cette accélération et du moment où elle entend se produire. Dans la ZSP, les changements vécus et perçus par les éleveurs sont rapides et brutaux : dégradation qualitative et quantitative des pâturages ; transformations des territoires et de leur gouvernance (infrastructures, décentralisation) ; multiplication des acteurs en charge de la gestion des ressources naturelles.
Accélérer les processus de développement
Dans ce contexte, les populations expriment le besoin de soutien et d’accompagnement dans l’adaptation aux changements qu’elles subissent – il s’agit ainsi moins d’accélérer que d’atténuer des modifications déjà rapides de leur environnement. Elles expriment aussi des attentes fortes et anciennes en matière de processus de développement local jugés trop lents – accès à l’eau, à l’électricité, à la santé, à l’école.
Malgré les constats d’échec, le temps passé n’est pas perdu : la GMV peut s’appuyer sur sa longévité pour capitaliser sur des apprentissages techniques, des adaptations stratégiques et des mobilisations politiques et médiatiques qui lui seront salutaires.
Le projet est donc amené à se frayer un chemin entre des exigences – la restauration de l’environnement à moyen ou long terme et des besoins matériels immédiats – qui, pour l’heure, ne sont pas pensées ensemble. L’accélérateur doit parvenir à pousser la Grande muraille verte à changer de rythme, d’échelle, et de stratégie d’action afin d’en faire le modèle qu’elle ambitionne de devenir.
À propos des auteurs :
Ronan Mugelé. Docteur en géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Amadou Hamath Diallo. socio-anthropologue post-doctorant.
Deborah Goffner. Research Director.
Olivier Ninot. Ingénieur de recherche, CNRS. Dr en géographie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.