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Audrey Pulvar : “Nous sommes à 10 % des capacités agricoles de Paris”

L’épidémie de la Covid-19 a agi comme un révélateur des inégalités en matière de santé et d’alimentation. La Seine-Saint-Denis, par exemple, qui a franchi à nouveau le seuil de 500 hospitalisations dues au virus, fin octobre, a des difficultés d’accès aux produits frais. Ses jeunes hospitalisés souffrent généralement d’obésité ou de diabète.

Comment réduire ces inégalités, et permettre à tous de mieux manger et mieux se porter ? Réponses d’Audrey Pulvar, ancienne journaliste et présidente de la Fondation pour la Nature et l’Homme, élue en 2020 adjointe à la maire de Paris, en charge de l’alimentation durable, de l’agriculture et des circuits courts de proximité.

  • WE DEMAIN : Quels sont vos missions durant ce mandat parisien ?

Audrey Pulvar : C’est d’assurer la restauration des EPHAD, des établissements scolaires, des crèches, des administrations, soit 30 millions de repas annuels émanant de la commande publique, tout garantissant un débouché régulier à ceux qui s’engagent dans l’agriculture durable dans la région. C’est faire en sorte que la santé et le revenu des agriculteurs soient meilleurs. Nos objectifs, lors du mandat précédent, étaient de 50 % de bio et durable et nous en sommes à 53 %. Nous voulons atteindre les 100 % à la fin de ce mandat.

Au-delà, il s’agit d’aider à structurer la filière, de mieux lutter contre le gaspillage et la production de déchets. Enfin, nous voulons que 50 % à 60 % des cultures durables soient produites à proximité : à 250 km maximum contre 600 km actuellement.

  • Dans quelle mesure l’agriculture urbaine peut-elle nourrir les Parisiens ?

Beaucoup ont oublié que Paris a longtemps été une ville agricole. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que basses-cours et jardins parisiens ont cessé d’alimenter les habitants.

Aujourd’hui, nous sommes à peine à 10 % des capacités agricoles de Paris ; elle ne compte que 30 hectares cultivés, des parcelles de 450 à 600 m2 en moyenne, dans différents points de la capitale. Ces 30 hectares assurent une production de 800 tonnes de fruits et légumes, bien peu évidemment quand on sait qu’il faut 2 millions et demi de tonnes pour nourrir la capitale, et que 150 % de la surface de Paris seraient nécessaires pour les produire.

Les pieds d’immeuble, toits, murs… offrent toutefois de multiples possibilités : cultiver des champignons et des endives dans les sous sols, faire pousser du houblon sur les murs, réaliser des murs à pêches, planter dans les squares, les jardins, sur les toits-terrasse… Quand la portance du toit ne permet pas d’installer une agriculture en pleine terre, on peut y expérimenter des fermes en aquaponie ou en hydroponie comme sur le toit du parc des expositions ou du réservoir de Montsouris.

À lire aussi : Dans le 93, la ferme “Zone sensible” cultive des légumes… et du lien social

  • Comment rendre cette agriculture locale accessible, pas seulement aux plus aisés ?

 Cette agriculture ne peut remplacer l’agriculture de plein champ. Ce n’est qu’un maillon de la chaine. Mais ce maillon est important pour aider à la résilience de certains quartiers. C’est un outil de lutte contre la précarité alimentaire. Les agriculteurs bio d’Ile-de-France n’ont pas besoin d’aller jusqu’à la capitale pour écouler leurs marchandises, ils le font sur les marchés de leur commune, ou grâce à la vente à la ferme, dans les coopératives, les AMAP. Si bien que très peu de Parisiens en bénéficient. Or, 76 % des Parisiens aimeraient pouvoir manger bio : ce n’est pas une lubie de bobos parisiens ! Donc ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter des produits de qualité d’origine locale vont se rabattre sur les supermarchés industriels, où l’on va proposer des biscuits bio de Californie et des poires d’Argentine !

À lire aussi : À Paris, ces collégiens financent leur ferme urbaine

Les familles en difficulté financière doivent pouvoir se nourrir en produits frais, en légumes cultivés dans des potagers urbains près de chez eux, une pratique qui s’est développée à Détroit ou à New York, avec les “community garden“.

  • Des exemples inspirants à Paris ?

Veni verdi fait par exemple un travail remarquable depuis plusieurs années en aidant les collégiens de Pierre Mendès France, dans le 19ème arrondissement, à cultiver 4 000 m2 de potager : ses légumes alimentent les tables de la cantine scolaire et d’un restaurant proche. Il y a deux ans, quatre sœurs ont créé Bienélevées, une maison d’agriculture urbaine, pour produire du safran sur les toits du Monoprix de Bièvre, dans le 13ème arrondissement. Ce sont des projets que l’on accompagne, financièrement et psychologiquement pour que les acteurs tiennent bon.

  • Le secteur peut-il créer des emplois ?

Nous espérons susciter des vocations. Beaucoup d’habitants, des femmes entre 35 et 45 ans surtout, ont exprimé le vœu après le confinement de se livrer à une activité agricole. Elles avaient cela en tête bien avant, mais elles ne se sentaient pas prêtes. Plus largement, l’agriculture urbaine vise à transformer le rapport que nous avons au sol, à favoriser la biodiversité. Enfin, c’est une façon de créer du lien social, de porter des projets avec des gens auxquels on n’aurait pas adressé la parole sans cela. C’est mieux que de passer son temps sur son portable, non ?

  • Allez-vous renoncer à ces objectifs si vous vous mettez au service de la région Île-de-France ?

Au contraire, cela me permettrait d’amplifier l’action que je mène actuellement pour Paris, d’avoir plus de marge de manœuvre. Il serait alors pleinement possible d’harmoniser les actions entre Paris et la région.

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