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Biodiversité : Libérez les rivières !

Au siècle dernier, on a littéralement emprisonné les cours d’eau. Avec des digues, des barrages, on a tenté d’adapter leur débit, leur tracé à nos besoins. On les a étouffés peu à peu. C’était ignorer que les rivières libres sont des écosystèmes indispensables à la biodiversité et aux cycles de l’eau dont nous dépendons. Alors de plus en plus, on les réensauvage, avec des résultats spectaculaires. Voici l’histoire de quatre rivières françaises emprisonnées, puis libérées.

Cet article a initialement été publié dans la revue WE DEMAIN n°31, parue en août 2020 et toujours disponible sur notre boutique en ligne.

Le Drac retrouve ses tresses

Le Drac prend sa source dans la vallée du Champsaur, au cœur des Alpes, et se jette dans l’Isère près de Grenoble. Dans les années 1950, pour construire les routes de la vallée, on prélève les graviers du vaste lit de cette rivière de montagne. Personne ne songe alors qu’en ôtant les alluvions protectrices, on met à nu la couche d’argile située dessous. Personne ne prévoit que les flots vont creuser l’argile, le Drac s’enfoncer, son lit se rétrécir, provoquant la disparition d’écosystèmes aquatiques et de la forêt alluviale. On ignore alors que les affluents du Drac vont se déconnecter et que la nappe phréatique ne sera plus alimentée.

Deux crues, en 2006 et 2008, aggravent la situation. Les berges s’effondrent, menaçant à terme des maisons, une route nationale et la digue protégeant le plan d’eau du Champsaur. Des acteurs locaux décident de réagir. L’Agence de l’eau, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le département des Hautes-Alpes, l’Europe apportent les 35 millions d’euros du chantier. Il faut acheter des terrains adjacents sur 4 km en amont de Saint-Bonnet. Et entre 2013 et 2014, des dizaines de camions transportent des graviers des endroits où ils sont en excédent pour les déposer là où ils manquent. Le lit est rehaussé de 4 mètres. Il s’élargit, passant de 10 mètres à plusieurs dizaines, et atteint jusqu’à 250 mètres.

Le Drac retrouve sa morphologie « en tresses », faite de bras qui s’entrelacent et prennent leurs aises, créant des ilots. Et en quelques années à peine, on passe d’une cinquantaine d’espèces d’oiseaux à plus de deux cents. La densité de poissons est multipliée par 50. Les truites peuvent de nouveau rejoindre les affluents du Drac et s’y reproduire. La rivière alpine retrouve sa beauté et son équilibre.

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À Paris, La Bièvre s’apprête à renaitre

La maire de Paris, Anne Hidalgo, l’a promis avant le second tour des élections municipales, pour s’assurer le ralliement du candidat écolo David Belliard : la Bièvre, entièrement recouverte dans la capitale, retournera à l’air libre. Ce cours d’eau qui prend sa source à Guyancourt (Yvelines) se jetait autrefois dans la Seine au niveau de la Gare d’Austerlitz, en traversant les 13e et 5e arrondissements. Devenu au fil des siècles un cloaque, réceptacle des eaux usées et des rejets toxiques des tanneries, il est recouvert à partir de 1868 – une gigantesque opération d’aménagement, qui ne prend fin qu’à la veille de la première guerre mondiale.
Mais à l’heure de la crise climatique et de celle de la biodiversité, on considère les rivières citadines d’un œil nouveau. Elles deviennent des ilots de fraicheur et peuvent attirer une faune et une flore précieuses. En témoigne le succès de la restauration du Manzanares, à Madrid, entrepris en 2017. Cette rivière, jusque-là moribonde, est aujourd’hui entourée de roseaux et de saules, fréquentée par des hérons et des martins-pêcheurs… Avant qu’il en soit de même à Paris, il faudra redonner un tracé à la Bièvre et creuser les rues… Vaste chantier !

Réensauvagée

C’est le premier barrage important détruit en France, de 1998 à 1999, bien avant le mouvement actuel de destruction des ouvrages obsolescents entravant les cours d’eau, partout en Europe. La centrale hydroélectrique de Maisons-Rouges coupait la Vienne, 800 mètres avant qu’elle ne rejoigne la Creuse, en Indre-et-Loire. On avait beau construire des passes pour les poissons migrateurs depuis les années 1920, rien n’y faisait. Saumons et aloses ne pouvaient plus accomplir leur grand voyage depuis l’océan pour frayer en amont. « Le bassin de la Vienne est le plus grand sous-bassin de la Loire, avec une superficie de 21 000 km2, souligne le naturaliste Gilbert Cochet dans une étude de 2006 sur la destruction du barrage. La quasi-totalité de cet immense bassin était donc stérilisée par le barrage. » Alors, quand l’usine hydroélectrique devient vétuste, on décide de la raser plutôt que de la rénover. « Les effets bénéfiques de cette destruction se sont fait ressentir sur l’ensemble de la faune aquatique », se réjouit Gilbert Cochet. Aussitôt après la fin du chantier, dès juillet 1999, le saumon est de retour ! Mais pas seulement. « Les populations d’aloses sont passées de quelques dizaines de poissons à 12 000 et, plus spectaculaire encore, les lamproies marines ont passé le cap des 92 000 poissons de retour en 2007, contre quelques dizaines en 1998, un record !, s’enthousiasme le naturaliste. La Grande mulette, une moule d’eau douce, des libellules rares comme les Gomphus graslinii se sont réinstallés. »

A LIRE AUSSI : Enquête : le scandale des cours d’eau fantômes

Sur la Sélune, le barrage de la discorde

Sur le petit fleuve de la Sélune, qui coule dans la Manche sur 84 km, le barrage hydroélectrique de Vezins était une barrière en béton de 35 mètres de haut et 278 mètres de large. Sa démolition s’est achevée en mai. Ne manque plus, pour la libération complète du cours d’eau, que la démolition du barrage voisin de La Roche-qui-boit, à 4 km en aval : les travaux viennent de commencer et devraient s’achever en 2022.

C’est Chantal Jouanno, alors secrétaire d’État à l’Écologie, qui a décidé cette double destruction, en 2009. Elle lançait ce faisant le mouvement de restauration de la continuité écologique des cours d’eau en France… et dix ans de polémique parmi les riverains ! Aujourd’hui encore, les opposants à la destruction sont nombreux. Des agriculteurs dénoncent des inondations plus rapides, et l’équipe municipale de Ducey-Les Chéris affirme que La Roche-qui-Boit protège des crues et des sècheresses. Dans le camp d’en face, on compte en tout cas saumons, truites arc-en-ciel, brochets et gardons.

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