Partager la publication "Christophe André : Comment rester zen dans un monde de fous"
Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN N°24, paru en novembre 2018, disponible sur notre boutique en ligne.
Il est la star française de la méditation, mais pas que. Jeune retraité du service de psychiatrie de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, Christophe André a passé sa carrière aux avant-postes de nos angoisses face à un monde toujours plus dur. Péril climatique, chômage, cadences infernales… Il a pris le temps de nous livrer quelques solutions simples pour rester serein face à tout ça.
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- WE DEMAIN : Vous venez de prendre votre retraite après quarante ans passés comme psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne. Pendant cette période, le monde a énormément changé. Comment cela s’est-il traduit dans votre profession ?
Christophe André : Les phobies sociales ont explosé de même que les troubles anxieux, la dépression ou les dépendances. Les guerres, le terrorisme et les violences en tout genre, les préoccupations écologiques, avec les informations qui tournent en boucle sur ces sujets, aggravent évidemment l’anxiété chez les personnes anxieuses. Les anxieux se disent : “ Est-ce que je vais arriver à tenir ma place ? Est-ce que j’aurai toujours du boulot, de l’argent, un toit” ? Les dépressifs : “ Ce n’est même pas la peine, je n’ai pas ma place dans le système...“.
- Assiste-t-on à l’apparition de nouveaux symptômes ?
Ces pathologies psychiatriques ou psychiques ont évidemment toujours existé. Mais les études montrent combien elles sont sensibles aux changements d’environnement. De nouvelles formes d’addictions apparaissent. Elles sont notamment liées à l’irruption d’internet et des écrans dans le quotidien de chacun. De plus en plus de gens sont accro aux jeux de hasard, d’argent, de rôle ou aux vidéos pornos. Les comportements d’achats compulsifs se multiplient. Des gens cherchent désespérément à obtenir des “like” et à être reconnus à travers les réseaux sociaux. Toutes ces modifications ont fait apparaître des pathologies non pas radicalement nouvelles, mais en nombre croissant et avec des contenus différents. Mais si de plus en plus de monde consulte à l’hôpital ou en ville, c’est aussi pour de bonnes raisons. Notre société n’a plus honte de parler de problèmes psychologiques et supporte heureusement moins la souffrance qu’auparavant.
- Quelle différence faites-vous entre vos patients et les milliers de personnes qui achètent vos livres et participent aux séances de méditations que vous organisez ?
Je considère mes patients comme des sentinelles. Ils sont juste plus sensibles que les autres, mais quand ils commencent à s’affoler et à craquer cela veut dire que, si la pression continue, tout le monde va y passer. Dans une entreprise, quand il y a un management violent, du harcèlement moral sur les salariés, ceux qui craquent en premier sont les plus fragiles, les gens isolés, ceux qui ont des antécédents d’anxiété ou de dépression. C’est le principe du canari dans les mines. Très sensible au grisou, il servait à prévenir les mineurs. Dès que le canari tournait de l’œil, il fallait remonter !
- Mais vos patients reçoivent des soins…
Il est vrai que pour mes patients, les soins sont nécessaires. Leur prescrire des médicaments est parfois indispensable, même si je préfère à long terme privilégier des approches psychothérapiques et notamment la méditation. Pour quelqu’un de fragile, qui a tendance à avoir des accès de panique et a des antécédents dépressifs ou des addictions, c’est indispensable. En revanche, pour quelqu’un de plus robuste, méditer sera juste bon pour votre santé. À l’hôpital Sainte-Anne, nous avons été le premier service universitaire de psychiatrie à utiliser la méditation comme une démarche de soin, comme un moyen pour aider nos patients à mieux se protéger de la dépression et de l’anxiété.
- Méditer pour rester zen dans un monde de fous, en quelque sorte ?
Si vous voulez. Bien sûr qu’il ne faut pas devenir fou, agir de façon incohérente ou courber l’échine. Il faut rester sensibles et attentifs. Les gens qui pratiquent régulièrement la méditation en pleine conscience ne deviennent pas impassibles et insensibles à l’inquiétude, aux souffrances ou à la tristesse. Mais les études montrent que leur cortex préfrontal garde le contrôle de l’amygdale cérébrale qui est le siège des activations émotionnelles. Il n’y a pas d’embrasement, pas d’affolement, pas d’emballement. Ils répondent à l’inquiétude avec plus de calme et de discernement. L’idée est d’affronter plus lucidement les problèmes sans oublier aussi ce qui va bien !
- En plus de la méditation, que nous conseillez-vous de faire ?
Par rapport à cet affolement du monde, je conseille de prendre soin de soi. Des petites choses en apparence : manger plus de fruits et légumes, faire de l’exercice, pratiquer la psychologie positive, méditer, limiter son stress… Un contact régulier avec la nature est très important. D’autres études montrent une amélioration de l’immunité après deux heures de marche en forêt ou en bord de mer. Un exemple : quand nous faisons nos groupes de méditation au printemps, nous emmenons régulièrement les patients méditer dans les jardins de Sainte-Anne ou au parc Montsouris tout proche. On se met sur la pelouse, pieds nus dans l’herbe, on se rend présent à la température de l’air, on regarde passer les nuages, on est attentif à la sensorialité de cet environnement.
Prendre soin de soi n’est pas narcissique, même s’il y a un peu de ça. Nous avons la chance de pouvoir nous occuper de nous plus que ne le faisaient nos ancêtres, alors faisons-le ! Plus on est heureux et à l’équilibre, plus on a de l’énergie pour comprendre le monde et s’y impliquer. C’est une notion développée par un psychologue belge, Thomas d’Ansembourg, qui parle d’“intériorité citoyenne”.
- Vous parlez d’un affolement du monde mais, désormais, il commence à être question de son effondrement…
Il ne faut pas sombrer dans le catastrophisme. Des psychologues comme Stephen Pinker ou Jacques Lecomte montrent, en étayant méthodiquement leurs diagnostics sur d’innombrables données disponibles, qu’un “processus de civilisation” s’est développé depuis les premiers temps de l’humanité jusqu’à aujourd’hui. Au fil des siècles, les violences entre les humains, qu’il s’agisse des guerres, de la criminalité, des relations personnelles, n’ont cessé de régresser. Les violences envers les animaux ne sont plus tolérées. La scolarisation, l’alphabétisation, l’accès à la santé progressent. Dans l’armée américaine, il y a aujourd’hui moins de morts au combat que par suicides, suite à des chocs psychologiques liés au combat. Bien sûr, il y a des rechutes, des accès d’agressivité, des retours en arrière provisoires. On ne peut pas dire à un Syrien ou à un Yéménite que le monde va mieux, mais de façon globale c’est pourtant le cas.
- Vous oubliez l’urgence écologique !
Il faut effectivement mettre l’écologie à part. Je trouve que, pour le coup, on ne se fait pas assez de souci. Mais là encore, la peur ne pousse pas nécessairement à l’action. Cela peut au contraire conduire à la démission ou à la rumination. “De toute façon il est trop tard, foutus pour foutus, on ne peut plus rien y changer.”
- C’est la stratégie de l’autruche…
Si l’on insiste trop sur la gravité du danger, il y a un seuil au-delà duquel les gens ont l’impression qu’ils sont impuissants à modifier quoi que ce soit, que le mal est fait. Nous sommes dans ce cocktail, très mauvais psychologiquement. Des informations très négatives sur l’état du monde et un sentiment d’impuissance, c’est typiquement ce qui affecte les anxieux. Il est alors important de se retourner vers les petites fables du type de celle du colibri de Pierre Rabhi. Mais “faire sa part pour que tout puisse changer” n’est malheureusement pas un mouvement naturel. Le mouvement naturel est celui d’un repli sur soi. “Je vais m’occuper de sauver ma peau, de sauver ma famille. L’avenir du monde, c’est trop compliqué, je n’ai pas de pouvoir là dessus.” Il y a aussi des explications sociologiques.
- Lesquelles ?
Des travaux en sociologie du changement et de l’implication pour le bien public montrent que dans toute population, il y a trois familles de citoyens. 20 % sont des altruistes inconditionnels qui, quoiqu’ils arrivent, essayeront d’agir pour le bien commun. Il y a un autre 20 % d’égoïstes inconditionnels qui s’en foutent, pratiquent l’évasion fiscale, roulent en 4×4 diesel et balancent leurs ordures n’importe où en se disant qu’il y a les éboueurs pour cela. Et il y a 60 % de la population qui suit le mouvement. Il suffit que cette majorité silencieuse voie des comportements d’irrespect, de tricherie, d’égoïsme, pour être démotivée d’agir. C’est pour cela que le comportement de certains hommes politiques ou personnalités est si préoccupant.
- On entend parfois qu’il faut toucher le fond pour “rebondir”. Pensez-vous qu’il en aille de même pour la société face à la dégradation de l’environnement ?
Qu’il faille toucher son fond pour rebondir est malheureusement vrai pour un certain nombre de personnes mais pas pour toutes ! On retient les cas spectaculaires, la personne qui a perdu son boulot, son conjoint, a plongé dans l’alcool et qui, à un moment donné, a ouvert les yeux, fait des efforts et est sorti de la crise. Heureusement, il y a des gens qui sentent venir les problèmes, qui sont attentifs à leurs déséquilibres, qui perçoivent qu’elles vont mal et qui viennent consulter avant que cela ne soit la “cata”.
- Et pour nos sociétés ?
Je ne suis pas un expert du fonctionnement de nos sociétés. Parfois je me dis qu’il faut qu’on ait de gros retours de bâton, des preuves tangibles du changement climatique, des gens coincés dans leur voiture sous une tempête de neige en disant “on avait jamais vu ça”, de gros scandales comme les farines animales… Il y a sans doute un point de non-retour dans notre problème collectif notamment d’un point de vue écologiste. Les catastrophistes, les collapsologues disent que c’est trop tard, que cela ne sera pas dans 50 ans mais dans 10 et que d’ailleurs tant mieux, il faut que la société s’effondre pour que les humains reconstruisent sur les décombres une société nouvelle. Mais faut-il vraiment des événements extrêmement violents ou des crises très importantes pour que les sociétés changent ? Je n’en suis pas sûr.
- Quelles raisons avez-vous d’être optimiste ?
Je suis optimiste car je vois des choses changer favorablement. L’émergence de la conscience écologique s’est faite rapidement, en quelques décennies, tout en luttant contre des forces marchandes considérables. Je vois ces changements à l’œuvre en médecine aussi où de plus en plus de personnes contestent le tout médicament, et souhaitent sinon des médecines alternatives radicales, du moins des médecines complémentaires auxquelles on donne les mêmes moyens en matière de recherche que les médecines officielles.
Donc, j’ai beaucoup de raisons d’être optimiste tout en ayant aussi beaucoup de raisons d’être inquiet. Comme la plupart des gens, je réalise qu’une course contre la montre est engagée et qu’il faut qu’on se bouge. C’est vrai notamment pour nous qui sommes un petit peu écoutés, les auteurs, les conférenciers, les figures publiques. Ça, c’est le premier point, le changement de conscience à un niveau individuel.
- Quel est l’autre ?
Je crois aussi à l’action collective, dans la conjonction d’une approche militante, associative et politique. Mais cette action collective, je crois que cela ne peut marcher que sur des consciences individuelles préparées et, surtout, que le changement provoqué de l’extérieur ne peut durer que sur des consciences préparées. Mon modèle, c’est que le changement individuel et la prise de conscience individuelle se situent en amont et en aval des démarches militantes, associatives ou politiques. Si l’on veut que les gens modifient leur comportement durablement, il faut préparer les esprits.
- C’est là qu’on en revient à la méditation ?
Oui, c’est un outil efficace pour changer son comportement durablement : se remettre en question, se rendre réceptif aux idées nouvelles. Des patients en sont la preuve tous les jours.
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