Corse : une équipe scientifique part à la chasse aux éclairs

En Corse s’ouvre la saison de la chasse. Certains partiront en quête de sangliers, lièvres et perdreaux. D’autres traqueront… des orages. Plusieurs laboratoires de recherche et industriels français inaugurent ce 13 septembre 2018 une série de mesures sur le terrain qui durera un mois. Un avion spécialement équipé effectuera des vols au sein même des orages, pour mieux comprendre ce qui se produit dans ce phénomène atmosphérique extrême. Une première en Europe.

Plus de coups de foudre à la fin du siècle ?

Cette campagne n’est pas une lubie de scientifiques en manque de sensations fortes : les chercheurs suspectent une hausse prochaine du nombre d’impacts de foudre. Une étude américaine a par exemple estimé qu’il y aura 50 % d’éclairs en plus aux États-Unis d’ici la fin du siècle à cause de l’augmentation des températures. “Les orages sont accompagnés de vents violents, de crues, de foudre qui peuvent être un problème pour les activités humaines”, rappelle Olivier Caumont, chercheur spécialisé dans l’étude des orages au Centre national de recherches météorologiques (CNRM). Il rejoindra la Corse dans trois semaines pour prendre la relève des chercheurs déjà présents sur place.

Le Centre national de recherche scientifique pilote cette opération du projet Exaèdre, à laquelle de nombreux laboratoires et industriels participent (la liste complète est accessible en ligne). Depuis la base de Solenzara, l’avion Falcon 20 effectuera huit sessions de vol de trois heures chacune, soit 24 heures en tout, dans un rayon de 200 kilomètres autour de l’île. Il pénètrera dans la partie haute des nuages d’orage, à 10 kilomètres d’altitude, pour redescendre progressivement vers le centre de l’orage.

Est-ce dangereux ? « Potentiellement », répond tranquillement Olivier Caumont. Celui-ci précise que l’avion n’ira pas dans le cœur de l’orage et restera en périphérie. Si le Falcon 20 est pris d’un coup de foudre, la carlingue métallique évacuera la décharge à la façon d’une cage de Faraday, comme le ferait tout appareil aérien.
 

“C’est formidable, on peut voir un éclair avec une finesse incroyable.”
Olivier Caumont, chercheur spécialisé dans l’étude des nuages au Centre national de recherches météorologiques

À bord de l’avion s’envoleront un technicien, trois ingénieurs et un scientifique. Ils suivront en direct les mesures des instruments qu’équipent l’avion : microphysique des nuages avec un radar de nuage, cristaux de glace présents via des sondes, champ électrique autour de l’appareil… “On essaie d’avoir une vue d’ensemble, pour mieux relier toutes les caractéristiques du nuage entre elles”, explique Olivier Caumont.

Un réseau de 12 stations de détection d’éclairs complète au sol la panoplie des appareils et peut cartographier les éclairs en trois dimensions. “C’est formidable, s’enthousiasme le chercheur. On peut voir un éclair avec une finesse incroyable. Ce n’est pas un instrument courant, on l’a utilisé une seule fois en France, en 2012.”

Des étudiants sur le terrain

Il n’est cependant pas simple de traquer un orage : “Il est difficile de savoir où ils vont se déclencher, où ils iront au delà d’une heure et s’ils s’intensifieront”, détaille Olivier Caumont. Les prévisionnistes de Météo-France et Météorage fourniront des instructions journalières, mais pas seulement. “Nous effectuerons des prévisions immédiates, avec les dernières modélisations, afin de guider les pilotes au plus près des orages”, précise François Gourand, prévisionniste à Météo-France.

Sur place, il fera partie des encadrants qui aideront cinq étudiants de l’École nationale de météorologie à effectuer des prévisions. Jean, fraîchement diplômé en ingénierie des travaux de la météorologie, sera aussi présent. Il faut dire qu’il a effectué un stage de six mois pour aider à la préparation de l’opération corse. “Aujourd’hui est l’aboutissement de tout ce travail, déclare le jeune homme. C’est une occasion unique d’être dans un environnement de recherche approfondi”. Ce passionné va même débuter une thèse en microphysique des nuages orageux.

Ces derniers recèlent en effet encore bien des mystères. De ces 24 heures de vol planifiées d’ici le 12 octobre 2018, les scientifiques récolteront des données qui nécessiteront plusieurs années pour les traiter.

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