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Costa Concordia : quel sera l’impact écologique du démantèlement?

L’image a fait le tour du monde. Un paquebot grand comme deux fois le Titanic couché sur le flanc après une manœuvre de parade de Francesco Schettino, le capitaine du navire, qui est actuellement jugé pour avoir navigué trop près des côtes. L’accident a causé la mort de 32 personnes en janvier 2012, puis d’un plongeur espagnol, coincé sous la carcasse, en janvier 2014. Il est resté presque deux ans et demi échoué sur les récifs de l’île du Giglio, en Toscane.

Un transfert à haut risque

L’épave représentait un grave danger écologique pour les fonds marins toscans. Malgré les barrages de protection mis en place autour d’elle, l’Agence de protection de l’environnement de Toscane avait relevé un début de pollution aux abords de l’île, réputée pour la clarté de son eau. La concentration en tensio-actifs (substance présente dans les détergents) était passée de 0 à 2-3 mg par litre, le niveau de concentration d’un grand port industriel. Si cette pollution a pu être contenue, le déplacement du paquebot vers le chantier naval en charge de son démantèlement a ensuite fait naître d’autres risques environnementaux. Les autorités italiennes ont en effet attribué le démantèlement du paquebot au port de Gênes, pourtant situé à 280 km du site du naufrage.

Ce choix a fait bondir les écologistes : Greenpeace avait notamment alerté les autorités sur le risque que « la coque endommagée du paquebot ne supporte pas le voyage et ne se brise, répandant dans la mer un mélange toxique de métaux lourds, d’huiles, de plastiques et d’autres produits chimiques ». Le voyage vers Gênes, d’une durée de presque 5 jours, a mobilisé plus de 500 personnes de 26 nationalités différentes, dont 120 plongeurs sous-marins qui ont effectué plus de 15 000 immersions. 14 bateaux ont accompagné le paquebot pour collecter les éventuels débris flottants, contrôler la qualité des eaux et écarter les cétacés sur le trajet. L’équipe d’experts pilotée par le Sud-Africain Nick Sloane a également installé des barrages anti-pétrole et des appareils à infra-rouge détectant les traces d’hydrocarbures à la surface de l’eau. Ségolène Royal, ministre de l’écologie, s’est inquiétée du passage du paquebot à 25 km de la Corse et a dépêché un navire anti-pollution de la Marine Nationale française, prêt à intervenir en cas de problème.

114 500 tonnes d’acier à recycler

Le Costa Concordia est finalement arrivé à bon port le 27 juillet. Le démantèlement a commencé dès son arrivée aux chantiers navals : le bateau doit être vidé de près de 18 000 tonnes d’objets et de mobilier, avant d’être ensuite remorqué jusqu’au quai d’un grand bassin de démolition. Les structures des ponts seront découpées en tranches horizontales pour ne pas compromettre la stabilité et la flottaison du bateau, qui sera ensuite transféré en cale sèche pour être entièrement démantelé.

Le chantier durera au minimum 22 mois pour un coût estimé à 100 millions de dollars. Sur les 114 500 tonnes d’acier, les démolisseurs espèrent en revendre 50 000 à l’industrie sidérurgique, aux secteurs du bâtiment et de la construction navale. La société évalue à 16 millions d’euros les gains potentiels liés au recyclage de l’acier. 1 000 km de câbles en cuivre vont également être revendus. Quelques pièces caractéristiques du paquebot seront exposées au musée de la mer de Gênes.

Le bateau comportait également 80 000 m² de moquettes, des luminaires, du mobilier vernis, des produits d’entretien (chlore des piscines, détergent), des équipements électroniques et des produits chimiques, notamment un nombre élevé de médicaments. En tout, près de 80 % du navire sera récupéré ou recyclé.

Mais en plus de ces matériaux, l’équipe devra gérer une quantité astronomique de produits polluants : l’épave contient 263 000 mètres cubes de liquide pollué, 163 tonnes d’hydrocarbures et de produits huileux et 12 tonnes de produits toxiques confinés dans des containers scellés, selon le ministère de l’Environnement italien. « Le Costa Concordia n’est plus un bateau, c’est une énorme poubelle qui flotte », estime Vittorio Cogliati Dezza, président de Legambiente, l’une des plus importantes ONG italiennes pour la protection de l’environnement. L’eau du port autour du navire sera donc analysée en permanence et une barrière flottante encerclera l’épave pour éviter toute fuite des graisses et des liquides qui pourraient s’écouler des cales du navire. 

Des retombées économiques

Le démantèlement du bateau fera travailler de 700 à 1000 personnes pendant presque deux ans, une aubaine pour la ville de Gênes, dévastée par le chômage, à cause notamment de la concurrence asiatique, moins chère et moins respectueuse des normes environnementales. Depuis l’annonce de la décision du gouvernement, des dizaines d’ouvriers sont venus déposer leur CV, comme le rapporte le Courrier International. Ces nouveaux emplois s’ajoutent à ceux créés sur l’île du Giglio : 500 ingénieurs, techniciens et plongeurs ont passé 30 mois sur l’île, fréquentant ainsi les hôtels et restaurants, peu actifs hors saison.

Le naufrage a également dynamisé le tourisme de l’île. Certains évoquent d’ailleurs un « distributeur de billets » plutôt qu’un paquebot échoué. Les autorités locales ont en effet instauré une taxe de débarquement de 1€ par touriste, ce qui lui a permis de faire entrer 80 000 € dans les caisses de la collectivité locale pour le seul mois de juillet 2012. L’île a également fait une demande de dommages et intérêts auprès des assureurs de l’armateur, pour un montant de 80 millions d’euros. 

Ce drame a toutefois permis à l’Italie de démontrer son savoir-faire industriel. Les compétences des ingénieurs qui ont mené le renflouement et le déplacement du bateau ont été unanimement reconnues. La solidité du Costa Concordia, qui a supporté le naufrage et la stagnation sans se briser a également mis en lumière la qualité du travail des chantiers navals italiens. Enfin, le soin apporté à la protection du site, les mesures prises pour limiter les pertes de produits polluants et le projet de recyclage lors du démantèlement ont été soulignés par la communauté internationale. Un quasi sans-faute. Pour l’instant.

Elisabeth Denys  
Journaliste / We Demain  
@ElissaDen

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