Avec 4,6 millions de tonnes par an, la France est aujourd’hui le plus gros importateur de soja en Europe. Cette céréale est essentielle pour fournir des protéines au bétail, notamment depuis l’interdiction de l’usage des farines animales. La France, qui ne produit que 3 % de sa consommation de soja, doit donc recourir au soja brésilien, majoritairement issu des OGM et dont la culture menace la forêt amazonienne.
En quête d’une alternative plus écologique, l’Agence nationale de la recherche (ANR) s’est tournée vers les… insectes. Ces petits invertébrés sont en effet bourrés de protéines et de lipides de qualité. Sobres et efficients, ils ne consomment qu’une protéine végétale pour produire une protéine animale, là où le soja nécessite d’importantes surfaces de terre et quantités d’eau.
S’ils sont déjà consommés directement par près de deux milliards d’êtres humains et malgré leurs vertus nutritives, ces insectes suscitent peu l’appétit des Français. Ils pourraient cependant rentrer dans nos assiettes de façon indirecte en nourrissant nos élevages. Candidats idéals : les poissons et les volailles, qui sont des prédateurs naturels des insectes.
Le seul problème provient de l’absence d’une filière industrielle en France, comme il en existe déjà pour le ver à soie. C’est pour pallier ce manque que l’ANR a investi près d’un million d’euros dans le bien-nommé projet «
Désirable », en partenariat avec deux PME et cinq centres de recherche (AgroParisTech, l’INRA, le CEA, le CNRS, et l’IRSTEA).
Leur but ? Construire une usine à insectes expérimentale (une “entoraffinerie”) pour concevoir des procédés industriels et des normes de qualité. Deux candidats ont été retenus : le ver de farine Tenebrio Molitor et la mouche soldat Hermetia illucens. Le premier est capable de transformer des céréales en protéines animales, tandis que la seconde peut recycler des déchets carnés et du lisier. Des options, certes, peu ragoûtantes, mais particulièrement efficientes sur le plan écologique.
Mais de nombreuses questions restent encore en suspens, auxquelles entend répondre l’approche pluridisciplinaire et la coopération des scientifiques. Il faut d’abord définir précisément les modes d’alimentation des insectes, calculer leur apport nutritif, l’appétence des animaux pour ces farines, ou encore les réactions futures des consommateurs… Sabrina Teyssier, économiste à l’Inra, s’interroge : « Nous anticipons l’arrivée sur le marché de ces poissons et poulets nourris aux farines d’insectes : combien les consommateurs occidentaux seront-ils prêts à payer et quels sont les mécanismes d’incitation pour changer les comportements ? ».
Et c’est peut-être là le plus grand défi, même si des produits dérivés d’insectes sont utilisés depuis bien longtemps dans notre alimentation, à l’instar du rouge de cochenille qui colore nos bonbons. Selon la FAO, le développement de la production de protéines par des insectes est une priorité pour nourrir les 9 milliards d’être humains attendus en 2050.
Jean-Jacques Valette
Journaliste We Demain