En baie de Lannion, l’extraction de sable pourrait reprendre : une menace pour la biodiversité

“Sauvez notre sable” : ce message est celui d’environ 2 000 manifestants qui se sont réunis le 13 août, selon le quotidien Ouest France, sur le port de Trébeurden (Côtes d’Armor), afin de protester contre l’extraction de sable coquillier marin en baie de Lannion

En 2016, les préfets du Finistère et des Côtes d’Armor avaient décidé de la suspension de cette activité sous-marine menée par la Compagnie armoricaine de navigation (CAN), qui commercialise du sable pour désacidifier les terres agricoles. Seulement voilà, cette suspension arrive à son terme : le 1er septembre, l’extraction de sable marin pourrait être ré-autorisée en baie de Lannion.
 
Si les protestataires ont choisi le cœur de l’été pour se réunir, c’est pour rappeler au gouvernement “que la mobilisation, même en plein moins d’août, reste ferme et constante.”  Une façon de maintenir la pression, après les manifestations qui s’étaient tenues en septembre 2016, alors qu’une réunion de conciliation doit avoir lieu le 30 août au cabinet du ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire.

Le dossier sera alors discuté en compagnie de Joël Le Jeune, président de la communauté d’agglomération Lannion-Trégor communauté, le député Éric Bothorel (REM), Alain Coudray, président du comité départemental des pêches et le collectif du peuple des Dunes en Trégor.
 

“Les Bretons commencent à se lasser : après les marées noires, les marées vertes qui perdurent, les extractions se passent sous la mer, moins visibles mais tout aussi destructrices et inacceptables. Le gel de l’arrêté [autorisant l’extraction du sable, ndlr] n’est pas le retrait du décret, auquel il faut désormais mettre un terme définitif”, expliquent dans un communiqué les organisateurs de l’événement du 13 août.

Une zone d’extraction située entre deux zones classées Natura 2 000

En septembre 2015, c’est Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, qui avait accordé par décret une concession de 15 ans à la Compagnie Armoricaine de Navigation (CAN), filiale du groupe international Roullier. Une décision que désapprouvait la ministre de l’Écologie de l’époque, Ségolène Royal.

Ce décret prévoyait la possibilité d’extraire 250 000 m3 de sable coquillier par an sur une zone de 4 km2. Le tout, à 35 mètres sous le niveau de la mer, dans une dune sous-marine de 3,75 millions de mètres cubes riche en calcaire coquillier. Et à moins d’un kilomètre de deux zones classées Natura 2 000, dont celle de la réserve ornithologique des Sept-Îles.

Le sable coquillier, utilisé dans l’agriculture

Le sable coquillier marin est utilisé pour amender les terres agricoles pour en diminuer l’acidité. Si les sols de Bretagne sont déjà réputés acides, “les apports d’engrais et autres fertilisants ammoniacaux, tels le purin ou encore le lisier accroissent le phénomène”, explique à We Demain Patrice Desclaud, membre de l’association Eau et Rivières de Bretagne.
 
Avant 2013, pour amender les sols trop acides, les agriculteurs utilisaient du maërl, un écosystème marin constitué d’une accumulation d’algues calcaires rouges. Mais ce dernier a été classé “habitat naturel” et son prélèvement a été interdit au 1er janvier 2013. Le sable coquillier était alors tout trouvé pour le remplacer.
 
Or, selon plusieurs associations, dont le Peuple des dunes en Trégor ou encore La ligue de protection des oiseaux, mais aussi le Comité départemental des pêches maritimes, l’extraction de ce sable n’est pas sans conséquences sur l’environnement.
 

Des modifications temporaires ou permanentes du milieu marin

Le sable coquillier — constitué de restes de coquillages, de squelettes d’invertébrés et de micro-organismes calcaires —, abrite de nombreuses espèces dont les lançons, de petits poissons qui forment le début de la chaîne alimentaire.

Les oiseaux, comme les macareux, les cormorans ou les fous de Bassan s’en nourrissent notamment.

La ligue de protection des oiseaux s’oppose ainsi à son extraction qui, selon l’association, “menace les équilibres naturels de l’environnement marin et de la réserve des naturelle des Sept Îles”, d’autant que les populations de fous de Bassan et de macareux moines en Bretagne décroissent de manière inquiétante, selon les scientifiques.

Le pêcheurs professionnels craignent pour leur activité. Car le lançon est aussi la base de la chaîne alimentaire de bien d’autres poissons : le bar, le lieu jaune…La dune est également une zone où l’on trouve des poissons plats, telle la raie.

Un nuage de sable néfaste à la faune et la flore

Autre problème, celui des “nuages de turbide” qu’entraîne l’extraction du sable des dunes sous-marines. Ces nuages sont constitués de sable qui s’échappe lors de son aspiration par des navires à élinde – une sorte de gros tuyau.

Déplacées à la surface, de petites particules légères appelées “fines” redescendent alors lentement vers le fond, “telle une poudre qui peut recouvrir tant la flore, empêchant la photosynthèse de se faire, que la faune, qui quitte alors les lieux” explique Patrice Desclaud. Selon le collectif Le Peuple des dunes en Trégor, ce nuage turbide risque de se déplacer vers les zones Natura 2000 proches, et vers celles où se nourrissent les oiseaux de la réserve des Sept Îles.

Interrogée par Bastamag, l’Union nationale des producteurs de granulats (UNPG) se veut rassurante : “Au bout de trois à cinq ans environ, assure l’UNPG, la situation est à peu près revenue à l’état initial. Dans certains lieux, on a constaté un enrichissement de la biodiversité après dragage, l’évolution du milieu naturel ayant été propice à de nouvelles espèces”.
 
Avis que ne partage pas L’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (IFREMER) qui rappelle que “l’exploitation du fond de la mer, quels que soit son objectif et les précautions prises, entraîne des modifications temporaires ou permanentes du milieu marin”.

La CAN, quant à elle, n’a pas voulu répondre à nos questions et préfère attendre le 30 août, date de la réunion de conciliation, pour s’exprimer sur le sujet.

Des solutions de remplacements au sable coquillier

Mais du côté des agriculteurs, certains disent ne pas avoir trouvé mieux que ce sable pour désacidifier leurs terres, même s’ils ne l’utilisent plus qu’à des doses d’entretien, comme le souligne Ouest-France .
 

Pour mes légumes, ça ne me dérangerait pas d’utiliser autre chose que du coquillier, mais pour l’instant, je n’ai pas trouvé mieux pour ce prix-là. Sans sable, le PH de mes terres serait dans les 5. Avec, il est remonté à 7“, confie Jean-Yves Briand, cultivateur à Plouguiel.

Les opposants à l’extraction du sable marin coquiller de la baie de Lannion estiment, quant à eux, que cette ressource pourrait être remplacée par du calcaire extrait de carrières terrestres, des coquilles d’huîtres broyées, voire des crépidules – des coquillages très prolifiques… Une ressource elle aussi disponible en Bretagne.

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