Partager la publication "En Île-de-France, le vélo champion contre la pollution et les embouteillages"
Marginal et en déclin partout en France au début des années 1990, le vélo a fait un retour remarqué à Paris. Entre 2018 et 2022, la fréquentation des aménagements cyclables y a été multipliée par 2,7 et a encore doublé entre octobre 2022 et octobre 2023. Aux heures de pointe y circulent maintenant plus de vélos que de voitures. Pour autant, Paris n’est pas la France, et pas même l’Île-de-France où la part du vélo reste bien inférieure à celle des transports en commun ou de la voiture. En 2018, dernière année pour laquelle on dispose de données, seuls 1,9 % des déplacements ont été effectués à vélo dans la région francilienne. Bien que ce chiffre ait certainement augmenté depuis, on part de très loin.
Certes, les transports en commun y ont une place nettement plus importante que dans les autres régions. Reste qu’environ la moitié des déplacements y sont faits en voiture individuelle, avec les nuisances bien connues qu’elle entraîne : changement climatique, pollution de l’air, bruit, congestion, accidents, consommation d’espace… De nombreuses pistes sont défendues pour réduire ces nuisances : développement des transports en commun, du vélo, télétravail, électrification des véhicules… Pourtant, il existe peu de quantification de leur potentiel, qui varie bien sûr entre les régions. Dans un article récent, nous avons donc tenté de le faire – en nous concentrant sur le cas de l’Île-de-France.
Pour cela, nous avons utilisé la dernière enquête représentative sur les transports, l’enquête globale des transports 2010, qui couvre 45 000 déplacements en voiture géolocalisés effectués dans la région. Grâce aux informations fournies par l’enquête sur les véhicules, nous avons estimé les émissions de CO2 (le principal gaz à effet de serre anthropique), NOX et PM2.5 (deux polluants atmosphériques importants) de chaque déplacement.
Bien que la voiture ne soit utilisée que pour la moitié des déplacements au sein de la région, elle entraîne 79 % des émissions de PM2.5, 86 % des émissions de CO2 et 93 % des émissions de NOX dus aux transports.
Pour tous ces déplacements en voiture, nous avons ensuite étudié s’ils pourraient être effectués à vélo – y compris vélo à assistance électrique – ou en transports en commun, en fonction du temps que prendrait alors chaque déplacement, d’après un simulateur d’itinéraires et en fonction des informations dont nous disposons sur ces déplacements.
Nous distinguons ainsi trois scénarios, qui présentent des contraintes de plus en plus strictes sur le type de déplacement en voiture « substituables ».
Nous avons ainsi calculé le pourcentage d’automobilistes qui pourraient passer au vélo ou aux transports en commun (axe vertical) dans le cas d’une hausse du temps de trajet quotidien inférieure à X minutes (axe horizontal).
La conclusion est la suivante : pour les scénarios 1 et 2, environ 25 % des automobilistes gagneraient du temps en utilisant l’un de ces types de mobilités – beaucoup moins dans le scénario 3.
Qu’en est-il des baisses d’émissions polluantes ? Dans les scénarios 1 et 2, elles diminuent d’environ 8 % si le temps de trajet quotidien est contraint de ne pas progresser – chiffre quasiment identique pour chacun des trois polluants étudiés. Ce pourcentage est inférieur aux 25 % mentionnés précédemment, car les déplacements substituables sont de courte distance. La baisse d’émissions atteint 15 % pour une augmentation du temps de trajet quotidien inférieure à 10 minutes, et 20 % pour une hausse inférieure à 20 minutes.
Nous pouvons attribuer une valeur monétaire aux nuisances générées par ces émissions en utilisant les recommandations officielles en France (85 euros par tonne de CO2) et en Europe (28 euros par kg de NOX et 419 euros par kg de PM2.5). Pour une hausse du temps de trajet quotidien inférieure à 10 minutes, les bénéfices sanitaires et climatiques du report modal atteignent entre 70 et 142 millions d’euros par an, selon les scénarios.
Il est intéressant de noter que c’est le vélo qui permet l’essentiel du transfert modal et des réductions d’émissions, alors que les transports publics existants ont peu de potentiel. Toutefois, notre méthode ne permet pas de tester l’effet de nouvelles lignes de transports publics, ni de l’augmentation de la fréquence sur les lignes en place.
Selon nos calculs, 59 % des individus ne peuvent pas abandonner leur voiture dans le scénario 2 si l’on fixe un seuil limite de 10 minutes de temps supplémentaire passé à se déplacer par jour.
Par rapport au reste de la population d’Île-de-France, statistiquement, ces personnes ont de plus longs déplacements quotidiens (35 km en moyenne contre 9 pour les non-dépendants). Elles vivent davantage en grande couronne, loin d’un arrêt de transport en commun ferré, ont un revenu élevé, et sont plus souvent des hommes.
Concernant ceux de ces individus qui ont un emploi, travailler en horaires atypiques accroît la probabilité d’être « dépendant de la voiture », comme l’est le fait d’aller de banlieue à banlieue pour les trajets domicile-travail. Beaucoup de ces caractéristiques sont corrélées avec le fait de parcourir des distances plus importantes et d’être parmi les 20 % des individus contribuant le plus aux émissions.
Nous avons ensuite étudié dans quelle mesure les individus « dépendants de la voiture » pourraient réduire leurs émissions en télétravaillant. En considérant que c’est impossible pour les artisans, patrons, agriculteurs, vendeurs et travailleurs manuels, un passage au télétravail deux jours de plus par semaine pour les autres professions amènerait une baisse d’environ 5 % d’émissions, en plus de ce que permet le report modal.
Pour réduire davantage les émissions, il est nécessaire de rendre moins polluants les véhicules, en particulier par le passage aux véhicules électriques. Nos données n’apportent qu’un éclairage partiel sur le potentiel de cette option, mais elles indiquent tout de même que l’accès à la recharge et l’autonomie ne semblent pas être des contraintes importantes : 76 % des ménages dépendants de la voiture ont une place de parking privée, où une borne de recharge pourrait donc être installée, et parmi les autres, 23 % avaient accès à une borne de recharge à moins de 500 mètres de leur domicile en 2020.
Ce chiffre va augmenter rapidement car la région Île-de-France a annoncé le triplement du nombre de bornes entre 2020 et fin 2023. L’autonomie ne constitue pas non plus un obstacle pour les déplacements internes à la région puisque moins de 0,5 % des personnes y roulent plus de 200 km par jour.
Soulignons que la généralisation des véhicules électriques prendra du temps puisque des véhicules thermiques neufs continueront à être vendus jusqu’en 2035, et donc à être utilisés jusqu’au milieu du siècle. Ces véhicules ne résolvent par ailleurs qu’une partie des problèmes générés par la voiture : des émissions de particules importantes subsistent, dues à l’usure des freins, des pneus et des routes. Ni la congestion routière, ni le manque d’activité physique lié à la voiture ne sont atténués.
Lever les obstacles à l’adoption du vélo partout dans la région devrait donc être une priorité. Le premier facteur cité par les Franciliens parmi les solutions pour accroître les déplacements quotidiens en vélo serait un meilleur aménagement de la voie publique, comprenant la mise en place de plus de pistes sécurisées et d’espaces de stationnement.
À propos des auteurs :
Philippe Quirion. Directeur de recherche, économie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Marion Leroutier. Postdoc Fellow, Institute for Fiscal Studies.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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