Partager la publication "En Lozère, l’introduction des chevaux de Przewalski sauve à la fois l’espèce et l’environnement"
Des chevaux à la robe jaune sable broutent paisiblement sur un plateau de moyenne montagne dans le sud de la France. De prime abord, rien de très exceptionnel. Mais observés à la jumelle, ces équidés apparaissent différents de ceux que l’on peut voir habituellement. Pas très grands, la crinière en brosse, le nez blanc, une raie de mulet sur le dos et les jambes zébrées. Ce sont en fait des chevaux dits « de Przewalski », une sous-espèce cousine du cheval domestique et originaire des steppes d’Asie centrale (Equus ferus przewalskii).
Décrit par un explorateur russe, le colonel Przewalski, en 1879, cette sous-espèce a malheureusement pâti de la compétition avec les animaux domestiques comme de la chasse, ce qui a entraîné sa disparition dans son habitat naturel à la fin des années 1960. Seule une douzaine d’individus capturés au préalable en Mongolie par des jardins zoologiques, non sans participer à leur déclin, ont sauvé l’espèce de l’extinction totale. L’histoire pourrait s’arrêter là, et être somme toute assez triste, mais elle continue de s’écrire, en Lozère notamment, où l’introduction du cheval de Przewalski semble bénéfique pour l’espèce comme pour son environnement d’adoption.
Depuis 1993-1994, une petite population a ainsi été introduite en semi-liberté sur le Causse Méjean au sein du Parc National des Cévennes dans le sud du Massif central. Aujourd’hui, un troupeau de 30 à 40 individus de chevaux de Przewalski (takhi de leur nom mongol) évolue au sein d’un enclos de 400 hectares. Le mode de gestion est original puisque les interactions humains-chevaux sont très limitées se résumant principalement à des suivis scientifiques non invasifs, ou à des opérations de translocations.
Les objectifs de cette opération étaient de permettre à ces chevaux de retrouver leur autonomie pour s’alimenter, se reproduire ou s’adapter aux conditions climatiques locales. Car les dizaines d’années passées en parcs zoologiques ont considérablement réduit l’expression du panel de comportements dont est capable le cheval à l’état sauvage. La capacité des étalons à conduire leur groupe familial, assurant ainsi sa cohésion à long terme, en est un bon exemple.
Mais le Causse Méjean s’est révélé un écosystème de substitution bien adapté pour les chevaux de Przewalski permettant aux animaux d’exprimer leurs comportements naturels et de s’habituer à des conditions climatiques rudes : fort contraste entre les étés secs et chauds, et les hivers froids et humides qui rappellent les conditions des steppes asiatiques. Leur séjour a ainsi facilité la réussite de leur réintroduction à l’état sauvage en Mongolie en 2004-2005. Dans le site de réintroduction de Khomyn Tal où ont été envoyés certains chevaux du Causse Méjean, la population est passée de 22 individus à plus de 140.
Mais du côté du Causse Méjan que peut-on observer après presque trente ans de présence du cheval de Przewalski ? Cette question en pose en fait une autre : celle de l’efficacité du réensauvagement (rewilding en anglais), un processus qui a le vent en poupe depuis plusieurs années car il apparaît comme une solution prometteuse pour la restauration écologique des écosystèmes, notamment via la (ré) introduction de grands herbivores sauvages.
En Europe, l’idée d’utiliser ces animaux dans des zones où l’élevage traditionnel a été abandonné pour conserver ou restaurer les espaces naturels n’est pas nouvelle. Dès les années 1960, des troupeaux d’animaux domestiques ont déjà été utilisés avec succès pour restaurer la biodiversité des pelouses ou des prairies et lutter contre leur embroussaillement. Aujourd’hui face à la tentation de remplacer le domestique par le sauvage, quels sont réellement les effets de l’un par rapport à l’autre sur des écosystèmes ouverts d’intérêt communautaire, comme les pelouses sèches du Causse Méjean ?
Au printemps 2022, il a été possible à une équipe de scientifiques de faire des relevés de la végétation dans l’enclos des chevaux de Przewalski et de les comparer à d’autres, réalisés selon les mêmes modalités dans des espaces voisins pâturés traditionnellement par des brebis depuis des siècles, ou plus récemment depuis quelques années, par des chevaux domestiques élevés pour les courses d’endurance.
Les résultats de cette étude originale ont montré que la richesse et la composition de la végétation sont différentes selon que le pâturage soit réalisé par des brebis ou des chevaux mais des nuances sont aussi apparus entre chevaux domestiques et « sauvages ». Globalement, on retrouve un ensemble d’espèces similaires et caractéristiques de la végétation des terres de parcours du Causse Méjean avec cependant des spécificités car certaines espèces sont plus fréquentes chez les chevaux de Przewalski (Aster alpinus, Euphorbia duvalii, Inula montana, Leucanthemum graminifolium, Phyteuma orbiculare, Thesium divaricatum). De plus, la végétation est plus hétérogène et présente une plus grande fréquence d’espèces à fleurs dans les zones pâturées par les chevaux de Przewalski au détriment des herbes (graminées) qui dominent plutôt dans les espaces parcourus par les brebis.
Ces différences constatées entre chevaux domestiques et « sauvages » pourraient être reliées à la libre expression des interactions sociales conduisant à une socialité typique chez les chevaux de Przewalski, qui forment ainsi des groupes familiaux (harem) pérennes. Cette formation de groupes pourrait de fait entraîner une utilisation du milieu différente des troupeaux d’animaux domestiques.
De plus, les chevaux de Przewalski ne sont pas traités de façon préventive contre les parasites intestinaux comme le sont majoritairement les herbivores domestiques, ce qui pourraient les mener à consommer plus particulièrement certaines plantes pour se soigner. La consommation directe de ces végétaux pourrait donc entraîner une diminution de la présence de ces espèces et laisser plus de place à d’autres.
D’après nos résultats, en trente ans, les chevaux gérés comme “sauvages” font donc aussi bien que les brebis pour conserver la végétation des terres de parcours, tout en apportant des spécificités complémentaires, intéressantes en termes de fonctions écologiques.
Le cheval de Przewalski, comme d’autres grands herbivores, pourrait donc aujourd’hui jouer un rôle dans le maintien de la biodiversité des espaces semi-naturels en Europe, du moment que la gestion appliquée permet aux chevaux présents de pouvoir retrouver leur comportement d’origine. Cette possibilité n’implique cependant en aucun cas le remplacement les élevages traditionnels encore existants sur ce type de territoire, qui continuent eux-mêmes d’évoluer avec les pratiques (comme le fait de les garder avec des patous et ne plus les rentrer en bergerie chaque soir).
La gestion comme « sauvage » des herbivores apparaît donc plutôt comme une option qui pourrait accompagner cette transformation. L’adoption récente du règlement européen sur la restauration de la nature devrait alors logiquement conduire à de telles actions favorables à la biodiversité.
À propos des auteurs :
– Clémentine Mutillod. Doctorante en écologie, Université d’Avignon.
– Elise Buisson. Associate professor, Université d’Avignon.
– Tatin Laurent. Docteur en écologie, biologiste de la conservation de la nature.
– Thierry Dutoit. Directeur de recherches au CNRS en ingénierie écologique, Université d’Avignon, Institut méditerranéen de la biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), Aix-Marseille Université (AMU).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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