Partager la publication "En troquant des graines sur le net, ils défient l’industrie des semences"
“Ce fut un long cheminement, mais le jour où j’ai mis les pieds dans une AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), j’ai su qu’il fallait que je fasse quelque chose pour participer moi aussi à la transition écologique indispensable que nous sommes en train de construire.”
La plateforme de Sébastien Wittevert rassemble aujourd’hui plus de 5 000 troqueurs, qui s’échangent 3 000 variétés de graines.
Cette façon inédite de se réapproprier des semences disparues du commerce, de particulier à particulier, l’ancien cadre l’a construite en s’appuyant sur son expérience professionnelle des monnaies virtuelles. Affranchie de tout échange monétaire, cette pratique s’en retrouve entièrement légale. Graine de troc s’évite ainsi de connaitre le même sort que Kokopelli, une autre association de défense des semences libres, poursuivie en justice en 2014 pour commercialisation de variétés anciennes non homologuées au catalogue officiel
. ÉCHANGE DE SAVOIR-FAIRE
En plus de pouvoir troquer des graines, les utilisateurs du site disposent d’un forum, dans lequel ils peuvent mutualiser leurs savoir-faire : techniques de semis, astuces pour monter son potager, recettes, repérage des espèces invasives ou dangereuses.
À en croire son fondateur, désormais entouré de trois salariés, le site ne cesse de gagner en visibilité et en fréquentation.
“Nous recensons 600 échanges quotidiens et 13 000 échanges au total”, explique à We Demain Sébastien Wittevert, qui veut croire que ce dynamisme est le “signe que de plus en plus de gens sont en train de se convertir à cette alternative simple de désobéissance citoyenne”.
JARDINIERS AMATEURS
Pour Sébastien Wittevert, cela s’explique par la standardisation des graines, soigneusement croisées et sélectionnées par leurs détenteurs. À eux seuls, les grands groupes de biotechnologie agricole comme Monsanto, Syngenta, Pioneer, Bayer, Limagrain ou encore Vilmorin contrôlent 75 % du marché mondial des semences. Ces derniers produisent principalement des graines “hybrides F1”, qui, sans être forcément génétiquement modifiées, ne sont pas utilisables au-delà d’une saison. Une façon de contraindre leurs utilisateurs à les racheter chaque année.
Malgré ses déboires judiciaires, sur son site Internet, Kokopelli continue de commercialiser 1 300 variétés de semences. Tapez-y “basilic” et vous obtiendrez deux pages entières consacrées aux différentes variétés de cette plante. Qu’elles soient “à floraison tardive”, “au parfum d’anis”, “à feuilles mauve” ou “pouvant atteindre la taille d’une main”, ces dernières sont difficilement trouvables dans le commerce. Et si Kokopelli a été condamnée pour avoir vendu de telles semences non-homologuées, leurs acheteurs, eux, ne risquent rien aux yeux de la loi, qu’ils soient agriculteurs ou jardiniers amateurs.
La démarche de Kokopelli, “en résistance ouverte aux géants de l’agro-industrie”, a beau avoir été jugée illégale, elle repose sur le même constat que celui établi par Sébastien Wittvert : en un millénaire, les trois quarts des espèces de plantes ont disparu selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture). En cause, un vaste mouvement de contrôle des semences, enclenché à l’orée de la Seconde Guerre mondiale.
Des tarifs jugés “prohibitifs” par l’avocate. Et nombre d’acteurs du monde agricole, qui se retrouvent contraints de faire leur choix parmi le petit nombre de semences commercialisées par les multinationales.
TRAÇABILITÉ DES CULTURES
Parmi les “gardiens” de ce catalogue, on trouve le GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences), qui est en charge de vérifier si les semences respectent les nombreux critères de certification.
Pour Delphine Guey, responsable des affaires publiques au GNIS, de telles restrictions “garantissent la qualité, la réussite et la traçabilité des cultures”. Une façon, selon elle, de “favoriser une biodiversité de qualité, avec plus de 73 entreprises françaises, qui chaque année, créent de nouvelles variétés”. Des semences “identifiables, indemnes de virus et pures, non assimilées à des mauvaises herbes.”
En proposant des échanges de graines non commerciaux, le fondateur de Graines de Troc, lui, entend faire vivre la biodiversité autrement. Pour Sébastien Wittevert, l’essor de la lutte contre “les standardisations” signe le début de la fin d’un encadrement excessif de la biodiversité.
Un mouvement dans lequel il s’investit au-delà de son site, à travers la création de potagers dans les écoles, l’organisation de d’ateliers ou encore de “grainothèques “, des événements au cours desquels les graines de basilic, de tomate ou de petits pois s’échangent librement sur la place publique.
Lara Charmeil
Journaliste à We Demain
@LaraCharmeil