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Enquête : des menus veggie encore trop rares au resto U

Si tous les restaurants universitaires sont censés proposer des alternatives à la viande, dans les faits certains n’offrent que des accompagnements ou des options peu équilibrées et savoureuses. En cause ? Les poids des habitudes et des lobbies.

Le 10/09/2019 par WeDemain
Le NOMIS, de l'américain Jonathan Sparks, génère de la musique MIDI en boucle. Il a remporté les prix du public et de la meilleure performance. (Crédit photo : We Demain)
Le NOMIS, de l'américain Jonathan Sparks, génère de la musique MIDI en boucle. Il a remporté les prix du public et de la meilleure performance. (Crédit photo : We Demain)

Le menu sans viande ? Avec une petite moue et un regard dubitatif, la femme derrière les fourneaux nous désigne vaguement des accompagnements, du riz sec et des haricots verts peu engageants… Il est 12h30 au restaurant universitaire flottant sur les bords de la Seine (Paris 13ème). Ici, comme dans de trop nombreux “Resto U”, dur dur d’être végétarien….

Pourtant, selon une étude menée en 2016 par le le Cnous (Centre national des oeuvres universitaire et scolaire) auprès de 60 000 étudiants, 10 % d’entre eux affirmaient ne pas manger de viande. En 2019, une étude réalisée pour L214 auprès de 500 étudiants estimait même que 88 % d’entre eux jugeaient judicieux d’avoir un option végétale quotidienne.

Dès septembre 2017, le Cnous s’engage à répondre à cette demande. L’institution annonce développer des recettes associant céréales et légumineuses pour remplacer les protéines animales et proposer quotidiennement une option végétarienne au sein de ses quelques 450 restaurants.

La direction se félicite aujourd’hui d’avoir atteint ce résultat dans 80 % d’entre eux. Ce taux calculé “lors d’une consultation d’un séminaire interne de restauration”, laisse toutefois de nombreuses associations étudiantes et écologistes sceptiques car il ne spécifie ni la fréquence des repas végétariens, ni ce qui est considéré comme tel. Les données sont par ailleurs impossibles à vérifier puisqu’elles figurent dans un “document de travail” confidentiel.

Surtout, même si l’option végétarienne se développe bel et bien, elle reste loin d’être optimale. À l’université Paris-Dauphine, elle est désormais proposée un jour sur deux, mais “la viande est trop souvent remplacée par des substituts industriels un peu secs, des steaks de soja, des nuggets de blé, ou des produits gras et transformés, la sauce est souvent la même”, constate Camille, présidente de l’association Dauphine Durable, qui salue toutefois une évolution louable.

Pourtant, ces cantines sont un levier de changement essentiel : 65 millions de repas y sont servis chaque année à 2,6 millions d’étudiants. La cause de ce retard  ? Des œillères culturelles et le poids des lobbies.

Influence de l’industrie agro-alimentaire

Parmi les organismes mis en cause, le GEM-RCN, un groupement composé d’élus de grandes métropoles, de nutritionnistes bénévoles, de grands groupes de restauration collective, comme Elior et Sodexo, et d’associations défendant les intérêts d’industriels comme celles de la viande et du lait. Sa mission : traduire les conseils nutritionnels du PNNS (Programme National Nutrition Santé) sous forme de recommandations pour la restauration collective.

“Le groupe a été trusté”, dénonce Laure Ducos, chargée de mission agriculture chez Greenpeace France. “Il a notamment été investi par le bras armé de l’industrie agroalimentaire pour la restauration collective, l’association GECO Food Services, qui y a dépêché un salarié à temps plein. Que l’agroalimentaire soit représenté, pourquoi pas. Mais autant, et à ce niveau-là, c’est gênant… D’autant qu’aucune association environnementale n’était impliquée et que les rares scientifiques présents étaient des bénévoles, donc moins disponibles…”

Or, ces recommandations surévaluent largement les besoins en produits laitiers et carnés, dénonce en décembre 2017 un rapport de Greenpeace France. “Si l’on suit les indications du GEM-RCN pour le déjeuner, la viande et les produits laitiers recommandés apportent à eux seuls de 2 à 4 fois l’apport nutritionnel conseillé par les instances de santé publique, notamment de l’ANSES.”

Cette influence des industries agro-alimentaire était encore manifeste lors du salon de la restauration universitaire en mai 2018, où les géants du secteur (Bel, Nestlé, Bigard, Charal…) étaient venus présenter leurs produits aux équipes des CROUS. “C’est la grande messe de l’industrie agroalimentaire ! Il n’y a que de très grosses entreprises. C’est assez symptomatique du système d’achat du Crous qui laisse peu de place aux petits acteurs, notamment aux producteurs locaux”, déplore Camille, de l’association Dauphine Durable.

Il faut dire que le marché est lucratif. Sachant qu’un repas payé 3€25 par les étudiants coûte en réalité entre 6,5 et 7 euros selon les départements, le budget annuel de la restauration collective étudiante tournerait entre 422,5 et 455 millions d’euros…

“De la viande ? Si je n’en n’ai pas, ça ne va pas”

Le poids des habitudes explique aussi le retard pris. “Il y a un gouffre entre la majorité des quinquagénaires à la direction des CROUS, encore très pro-viande, et les étudiants qui souhaiteraient plus de végétarien”, estime Cyril de Koning, président de What the food une autre association qui milite pour la végétalisation des menus.

Et même certains étudiants ont du mal à évoluer : “De la viande ? J’en mange midi et soir, si je n’en n’ai pas, ça ne va pas !”, s’exclame Raphaël, en classe préparatoire scientifique à Paris. Pour sa camarade Emma, apprentie orthophoniste : “Pas le temps de m’occuper de mon alimentation ! Du végétarien pour ceux qui veulent, d’accord, mais pas pour moi.”

Pourtant, Anthony Fardet, chercheur à l’Inra de Clermont-Ferrand, le rappelle: “Un repas végétarien peut tout à fait satisfaire les besoins nutritionnels d’une personne saine dès lors qu’il est bien composé et varié ! Ajoutant: “14,5% des gaz à effet de serre sont causés par la production de viande. On ne peut pas continuer comme cela, c’est une question de survie, pour notre santé et celle de la planète”.

En juin dernier, des scientifiques, dont Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe de travail du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat), ont même signé une lettre ouverte encourageant les Crous récalcitrants à évoluer.

Des menus innovants

Bien sûr, les situations varient d’une cantine à l’autre. Cyril Ernst de l’Assiette Végétale, une association qui incite les restaurants universitaires de France à multiplier les alternatives végétariennes, observe des situations très contrastées selon les académies. Car, loin d’être une administration centralisée, le CROUS se compose d’une myriade de bureaux indépendants régionaux, plus ou moins réceptifs, et pour lesquels la définition même du menu végétarien diffère.

Si certains se contentent de proposer des accompagnements, d’autres évoluent et osent sortir des sentiers battus. Le Crous de Lille a organisé une formation de ses chefs en juin dernier. Celui de Versailles, sous la pression d’associations et de scientifiques, s’est finalement engagé à proposer une option végétarienne quotidienne dès cette rentrée.

Curry de légumes, risotto à la courge, sautés de d’aubergines … La cuisine de Julien Ledogar, chef du restaurant universitaire Paul Appell de Strasbourg, détonne. Depuis son entrée en fonction en 2016, il propose chaque jour un plat sans protéine animale à ses convives pour 3€25, soit le prix d’un repas classique.

“Un menu végétarien ne coûte pas plus cher, au contraire ! La viande et le poisson sont des denrées coûteuses. Et si les coûts en termes d’impacts environnementaux et de santé étaient pris en compte, elles le seraient encore plus”, estime Marion Rocher spécialiste de la restauration collective à la tête de la société de conseil Maiom.

La jeune femme reconnaît toutefois que les repas végétariens contenant des produits industriels, comme des galettes de soja préparées, ont parfois un coût plus élevé que celui de la viande.

Des plats végétariens cuisinés sur place

La solution : cuisiner sur place. “Les plats élaborés à base de produits bruts sont plus accessibles, plus sains, et plus savoureux. Cela peut nécessiter le recrutement d’un cuisinier mais ces frais de personnel doivent pouvoir être absorbés par la diminution des produits d’origine animale et par la lutte contre le gaspillage alimentaire : deux axes principaux d’évolution vers une restauration responsable et abordable !”

Ce que le chef Julien Ledogar a bien compris. Contacté par des associations étudiantes militant pour une alimentation plus saine, il a immédiatement accepté de travailler avec elles pour faire évoluer ses menus. Le mercredi, il propose même pour tous des menus végétariens.

Couscous à la pomme de terre, plats d’origine égyptienne, comme le koshari, créations ou recettes traditionnelles adaptées… tout est envisagé. “On a commencé doucement avec environ 50 portions”, explique-t-il. Et l’offre plait. Aujourd’hui pas moins de 180 à 200 portions végétariennes sont réclamées quotidiennement sur plus de 600 portions classiques, soit près d’un tiers d’entre elles. Le chef n’exclut pas, à terme, de proposer uniquement des menus sans viande.

À Amiens, Jean-Luc Hembise, directeur général du Crous se veut tout aussi optimiste. À l’écouter, la transition est en cours: “ Nos cuisiniers étaient curieux et friands de nouveauté. Nous n’avons pas rencontré d’obstacles particuliers lorsque nous avons modifié nos menus.” Pas même financiers… En mutualisant ses achats avec ceux d’autres restaurants universitaires, le directeur du CROUS d’Amiens assure même avoir dégagé des marges tout en misant sur des produits labellisés.

Article de Laure Coromines et Tiana Salles

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