Partager la publication "Gordon Hempton, l’homme qui veut sauver le silence"
Malgré la mauvaise qualité de notre conversation vidéo et la fatigue, Gordon Hempton pourrait parler pendant des heures. Peut-être parce que le combat qu’il mène depuis des années vient de remporter une jolie victoire. Peut-être parce qu’il vient de passer dix jours en Amazonie équatorienne.
Hempton est bioacousticien – il enregistre les sons de la nature – et depuis 2005, il consacre sa vie à traquer les rares zones encore épargnées par les bruits d’origine humaine. Tout commence l’année de ses 27 ans.
“Après une journée passée à conduire, je me suis mis sur le bord d’une route dans l’Iowa et je me suis allongé entre deux rangées de tiges de maïs bien épaisses pour économiser le prix d’une chambre de motel, raconte-t-il à The Sun Magazine. J’écoutais les criquets. Puis j’ai entendu le tonnerre retentir à des kilomètres. Je suis resté allongé là, alors que le tonnerre devenait de plus en plus fort, et j’ai laissé l’orage me passer dessus. Je me suis laissé tremper. Je me suis simplement plongé dans l’expérience. […]. Quand ça s’est terminé, il me restait une question : comment était-ce possible qu’à 27 ans, je n’aie jamais écouté un orage en entier ? ”
Hempton passera les années suivantes à parcourir la planète et à poser son micro dans ses recoins les plus isolés. Dans les années 1980-1990, les albums qu’il sort sur le label Miramar font de lui “l’un des spécialistes en enregistrement de l’environnement (le field recording) les plus respectés et les plus vendus au monde”, d’après le journaliste Nate Cavalieri.
Ses morceaux, Chœur au point du jour, La Crique aux cèdres, ou Tonnerre roulant, sont des captations, brutes et sans montage, de sons naturels – cours d’eau, vent dans les arbres, chants d’amour de crapauds. En 1992, il décroche même un Emmy Award pour son documentaire sur les paysages sonores.
Acouphènes
À l’époque, Hempton souffre d’acouphènes, et se dit que si personne n’agit, “le futur ressemblera à ça”. Pendant 18 mois, il est incapable de travailler. Puis son audition revient, aussi mystérieusement qu’elle avait disparu. C’est alors qu’il crée One Square Inch of Silence (Quelques centimètres carrés de silence) : une tentative de protéger une minuscule portion de la forêt Olympique, au nord-ouest des États-Unis, de ce qu’il appelle “le bruit”.
“Qu’est-ce que le bruit ? Moi, je définis ça comme de l’information simple, relativement forte, généralement continue, et sans intérêt. Le silence, c’est l’absence de bruit – ou en tout cas, un lieu dans lequel le bruit ne vient pas nous empêcher d’accéder à de l’information pleine de sens. Le bruit, c’est dangereux parce que ça nous coupe de notre environnement.”
Le bruit, le silence : pour Hempton, ces deux termes désignent autre chose qu’un niveau de décibels. Ce sont des concepts philosophiques, forgés dans un moment d’angoisse. Ainsi, le silence n’est pas l’absence de bruit, mais “la présence de quelque chose” – un moment presque mystique au cours duquel “on ne pense pas, on ressent”. Le bruit, il l’associe aux activités humaines : voitures, sirènes, claquements de portes, usines… et le silence aux sons naturels : chants d’oiseaux, insectes, brise, pluie… Les premiers obscurciraient nos jugements alors que les seconds nous permettraient d’y voir clair.
L’expérience One Square Inch attire l’attention des médias, mais c’est un échec. En 2018, Gordon change d’approche. One Square Inch visait à préserver un minuscule bout de forêt de l’État de Washington ? Quiet Parks International (QPI) prend le pari de conserver les zones les plus vastes possible. En pleine nature pour les plus silencieuses, mais aussi dans les villes. Le label se décline en six catégories : Wilderness Quiet Parks, Urban Quiet Parks, Quiet Trails, Quiet Hotels, Quiet Residencies and Communities et Quiet Marine Parks. Autant de façons de promouvoir des “safezones” dans tous les environnements possibles.
“Zone sauvage silencieuse”
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