Ils ont rallumé les étoiles : cette région du Québec a vaincu la pollution lumineuse

“Le plus important, quand on fait de l’astronomie, c’est d’écouter du bon blues !” lance, rigolard, Bernard Malenfant, 61 ans, avant de faire pivoter le télescope de vingt-quatre tonnes vers l’étoile WR 121 en poussant à fond une chanson de B.B. King pour couvrir le grondement des machines.

Au-dessus de la tête échevelée du technicien, le dôme de l’Observatoire québécois du Mont-Mégantic oriente sa large embrasure vers le ciel où se déroule l’écharpe de la Voie lactée. Malgré les 250 kilomètres qui séparent Montréal de cette petite montagne culminant à 1 100 mètres d’altitude au milieu des forêts de l’Estrie, deux étudiants sont venus de la métropole canadienne après une attente de plusieurs mois.

Les prestigieuses universités UdeM, Laval ou McGill se bousculent pour profiter de la voûte étoilée d’une exceptionnelle clarté qui la surplombe. Portées disparues dans les années 1980, des constellations comme le Scorpion ou le Capricorne ont réapparu dans le ciel nocturne. Une fierté, pour les habitants de la région : ce sont eux qui lui ont redonné son obscurité et fait du Mont-Mégantic la première “Réserve internationale de ciel étoilé” au monde, en 2007, en chassant impitoyablement la pollution lumineuse : moins 30 % en dix ans, entre 2003 et 2013.

Une mer de collines bleues

Difficile, au sommet de cette montagne qui domine une mer de collines bleues et vertes plantées de conifères, de voir d’où pourrait venir la menace pour l’observation de la Voie lactée. Il fallait bien l’œil d’un astronome pour discerner le risque de disparition des étoiles.

“Réparateur du télescope”, Bernard Malenfant partage sa vie avec cet engin depuis son installation, en 1978, et a vu le ciel se dégrader dès les années 1990 : “Quand nous avons commencé à utiliser des plaques photo infrarouges pour l’observation, nous avons réalisé que nous perdions de la lumière dans l’univers.” Pour les scientifiques, cet “éblouissement” condamne, à terme, l’observatoire.

De petite taille, il n’en a pas moins sa place dans le réseau international, servant de plateforme de test pour les nouveaux outils de mesure du spectre infrarouge et de lieu de formation. Mais le ciel, lui, n’appartient pas aux chercheurs et c’est aux alentours qu’il faut convaincre de l’intérêt de tamiser l’éclairage.

Économies d’énergie

L’idée d’un plan à destination du grand public va germer à l’AstroLab, la structure d’éducation populaire rattachée à l’observatoire, où un copain d’enfance de Bernard Malenfant, Pierre Goulet, prend la tête du projet. En 2003, ce natif de la région lance une grande campagne de sensibilisation en porte-à-porte :
 

“L’argument central était la protection de l’observatoire, mais nous avons vite élargi le propos. Les craintes portaient surtout sur la sécurité, nous avons donc pointé du doigt les lumières qui aveuglent, pour montrer qu’éclairer moins, c’est aussi éclairer mieux.”

Mais le meilleur argument s’avère le plus basique : “Il y a un intérêt convergent entre la réduction de la pollution lumineuse et les économies d’énergie”, synthétise Pierre Goulet, avant d’ajouter d’un clin d’œil : “Ce qui fait bouger les gens, c’est le portefeuille.”

La physique de la lumière

Celui de l’observatoire n’était pas bien garni. Pour aider au financement de la conversion lumineuse, l’équipe de l’AstroLab décide de constituer un “fonds”. Plusieurs acteurs y contribuent : l’opérateur électrique Hydro Québec, des ministères et collectivités territoriales ainsi que des Caisses populaires du Québec mettent 1,5 million de dollars canadiens au pot.

Pour s’assurer de l’efficacité du dispositif, les promoteurs doivent tenir compte de la physique de la lumière : la pollution lumineuse diminuant selon le carré de la distance, les 1 250 habitants du bourg de Racine, au pied du Mont-Mégantic, voilent presque autant le ciel que les 160 000 résidants de Sherbrooke, à 50 kilomètres de là !

Application directe de ce principe : plus les éclairages sont proches, plus la prise en charge prévue est importante. Sans jamais être gratuite : “Il fallait que les habitants s’approprient cette conversion, justifie Pierre Goulet. Néanmoins, nous avons fait notre possible pour faire baisser les coûts : des commandes groupées, des devis, etc.”

Avec l’aide de Chloé Legris, professeur de mathématique à Sherbrooke embauchée à plein temps pour ce projet, l’équipe se tourne en priorité vers des bâtiments emblématiques : très vite, les hangars du célèbre fabricant de guitares acoustiques Guitabec, le long de la route 212 qui traverse le parc, limitent leur pollution lumineuse.
Lire la suite de cet article dans We Demain n°14.

Sylvain Lapoix.

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