Partager la publication "Le figuier, vénéré depuis l’âge des pharaons"
Ce sont des feuilles de figuier, et non de vigne, qui couvrent l’intimité d’Adam et Ève, ce qui fit écrire à Victor Hugo, dans Les Misérables, que « le figuier est le grand-père des jupons ».
Le figuier a toujours été vénéré par les hommes. Il est l’arbre préféré des pharaons et c’est dans un cercueil fait de son bois qu’ils effectuent leur dernier voyage. Les Hébreux apprécient aussi la figue et sa culture s’intensifie logiquement au Proche-Orient. La Bible précise que ce sont des feuilles de figuier, et non de vigne, qui couvrent l’intimité d’Adam et Ève, ce qui fit écrire à Victor Hugo, dans Les Misérables, que « le figuier est le grand-père des jupons ».
Fidèles à leurs habitudes, les Grecs améliorent sa culture et pratiquent la caprification, une méthode qui hâte le mûrissement des fruits. Ils utilisent pour cela le blastophage, un insecte qui vit dans la figue. Cette petite guêpe permet la dissémination du figuier avant que les pépiniéristes ne réussissent à produire des plants qui ne réclament plus d’aide extérieure pour la pollinisation. Rien n’a changé pour les plantes sauvages et la vie de l’insecte et du figuier restent étroitement liées.
Les Grecs consomment des figues et ils savent que les fruits se conservent bien. Ils en emportent lorsqu’ils partent à la conquête de nouvelles terres et c’est ainsi que des figuiers sont cultivés dans la région de Phocée. Cette ancienne cité située sur la mer Égée a été fondée voici plus de trois mille ans par les Hellènes venus s’installer dans ce pays qui est aujourd’hui devenu la Turquie.
Six siècles avant Jésus-Christ, les Phocéens fondent Massalia, la future Marseille. Arrivés par la mer, ils sont venus avec les figues et les Gaulois découvrent le fruit. Sa culture s’intensifie alors sur tout le pourtour méditerranéen comme dans la région de Carthage (aujourd’hui Tunis), qui devient l’une des villes les plus actives pour sa production.
Mais cela va créer un problème, car la figue est également vénérée par les Romains. Elle est même si appréciée que Caton, homme politique et militaire, alerte le Sénat en 153 avant J.-C. sur le danger que représente Carthage. Pour convaincre l’Assemblée, il présente une figue venue de la capitale ennemie en à peine trois jours, prouvant ainsi sa proximité et sa dangerosité. La guerre est déclarée !
Au VIIIe siècle, de nouvelles voies maritimes et terrestres permettent l’introduction du figuier en Chine. Les siècles suivants, la conquête des océans et la découverte de nouvelles terres favorisent sa dissémination partout sur la planète. Au Moyen Âge, dans le sud de la France, le figuier est un symbole de fertilité. Il était alors fréquent que des sages-femmes enterrent au pied de l’arbre le placenta après un accouchement. Cette pratique facilitait, paraît-il, la lactation des jeunes mamans.
Il est ensuite planté des figuiers dans toutes les villes de France, y compris à Paris comme celui installé face à l’hôtel de Sens, dans le futur 4e arrondissement. L’arbre devient si imposant que la rue où il réside est baptisée vers 1280 « rue du Figuier ». Il vécut jusqu’en 1605, date à laquelle il fut abattu car il était devenu gênant pour la circulation des carrosses et charrettes.
Quelques siècles plus tard, à Versailles, les médecins conseillent à Louis XIV de limiter sa consommation de fraises. Le monarque se tourne alors vers les figues qu’il dévore avec gourmandise. Pour satisfaire davantage le roi, le jardinier Jean-Baptiste de la Quintinie crée dans son potager une figuerie et améliore la technique de la culture en bac. Les résultats dépassent ses espérances et il parvient à fournir à la table royale des figues dès le mois de juin.
Le figuier le plus célèbre de France vivait à Roscoff. Planté vers 1610 dans le jardin du couvent des Capucins, sa ramure couvrait 600 m2 et il produisait chaque année près de 500 kg de fruits. Sous prétexte d’une santé précaire et malgré l’absence de tout danger, il a été abattu en 1987. Triste fin pour un arbre symbole d’abondance et de fécondité !
Alain Baraton est jardinier en chef du Domaine de Versailles.
Chronique extraite de We Demain n°8