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Les oursins violets, sentinelles de la pollution marine en Corse

Interfaces fragiles entre les milieux terrestres et marins, les écosystèmes côtiers sont soumis à une pression croissante due aux activités anthropiques. L’expansion des secteurs industriel, agricole et urbain entraîne l’introduction d’une quantité considérable de produits chimiques dans ces écosystèmes. Ces substances présentent souvent des propriétés toxiques susceptibles de causer des dommages multiples à l’échelle des organismes, des populations et des écosystèmes, menaçant non seulement la biodiversité marine mais aussi les services écosystémiques qu’ils fournissent. Les éléments traces, autrefois appelés métaux lourds, font partie des contaminants les plus répandus dans l’écosystème marin. En raison de leur toxicité, leur persistance et leur capacité à s’accumuler dans les organismes marins, ces derniers sont considérés comme de sérieux polluants dans l’environnement marin.

Bien que naturellement présents dans l’environnement à faible concentration, les éléments traces peuvent rester en solution, s’adsorber sur des particules sédimentaires, précipiter au fond ou encore s’accumuler et connaître « une bioamplification » dans les chaînes alimentaires atteignant ainsi des niveaux toxiques. Une surveillance constante de leur présence et leur concentration est donc essentielle face à ces menaces.

Le cas de l’oursin violet comme bioindicateur de contamination

Afin d’évaluer les niveaux de contaminants dans l’écosystème, des organismes peuvent être utilisés comme bioindicateurs. Ces organismes ont la capacité d’accumuler des polluants dans leurs tissus permettant ainsi d’évaluer la qualité de leur environnement.

De par sa large distribution, son abondance dans les écosystèmes côtiers, sa facilité de collecte, sa longévité, sa relative sédentarité et sa bonne tolérance aux polluants, l’oursin violet Paracentrotus lividus (décrit par Lamarck en 1816) est un organisme reconnu pour son rôle de bioindicateur.

L’utilisation de biomarqueurs représente également une approche clé dans la biosurveillance marine permettant d’évaluer les liens entre l’exposition aux polluants environnementaux et leurs impacts sur les individus et les populations. Les effets des polluants dans les écosystèmes marins peuvent être mesurés à travers des paramètres biochimiques.

De nombreuses études suggèrent que l’exposition à divers éléments traces est susceptible d’entraîner des dommages irréversibles chez les organismes marins via la production de molécules oxydantes. Dans ce contexte, il est essentiel d’évaluer, au sein de ces organismes, les activités d’enzymes antioxydantes qui jouent un rôle clé dans la défense contre le stress oxydant. Les teneurs de certains marqueurs d’oxydation dans les tissus des organismes constituent également des indicateurs précieux pour évaluer l’intensité du stress oxydant.

La Corse, un site d’étude privilégié

En raison de ses côtes fortement peuplées, la mer Méditerranée est soumise à de nombreuses pressions anthropiques. Située au nord-ouest de ce bassin, la Corse constitue un site d’étude privilégié pour les écosystèmes côtiers. Ses eaux, souvent considérées comme peu affectées par des sources anthropiques majeures, permettent d’identifier plus facilement les sources de contamination.

Afin d’obtenir des informations sur la qualité environnementale des eaux marines autour de l’île et d’identifier les zones de contamination locale, des prélèvements ont été réalisés. Ces travaux avaient pour objectif de suivre la dynamique spatio-temporelle de 22 éléments traces dans des oursins prélevés sur le littoral corse et d’estimer les effets de cette contamination sur le stress oxydant de P. lividus.

Des indices de pollution, calculés à partir de données issues de la littérature, ont permis de comparer les niveaux de contamination de la Corse à ceux d’autres régions méditerranéennes, comme l’Algérie, la Grèce, l’Italie et l’Espagne. Bien qu’il existe quelques cas de contamination élevée en Corse, les niveaux demeurent faibles en raison de la faible pression anthropique dans la région.

Des éléments traces présents naturellement ou liés aux activités humaines

La plupart des contaminations significatives qui ont été relevées sont attribuées à des sources localisées ou à des caractéristiques spécifiques des sites étudiés. Ainsi, de fortes teneurs en cobalt, chrome et nickel ont été mesurées dans les organes reproducteurs (les gonades) d’oursins à proximité de l’ancienne mine d’amiante à Canari en Haute-Corse. Ces niveaux résultent de déblais non traités rejetés en mer pendant la période d’activité de la mine d’amiante entre 1948 et 1965.

Malgré la fermeture de la mine depuis plus de 50 ans, le procédé utilisé pour récolter des résidus miniers le long du littoral ainsi que la composition géologique du sous-sol (constitué de roches dénommées serpentinites naturellement riches en éléments traces) contribuent encore à la dispersion de ces éléments dans l’environnement marin.

L’évaluation de la qualité des écosystèmes nécessite donc une bonne connaissance du contexte géochimique naturel afin de distinguer les éléments traces naturellement présents dans l’environnement de ceux résultant des activités anthropiques. Cet exemple illustre également comment les activités humaines, même anciennes, peuvent encore avoir un impact sur les écosystèmes.

Un indicateur pour mieux comprendre la diffusion des contaminants dans le milieu marin

Le calcul d’un indicateur appelé « Trace Element Pollution Index » – basé sur les concentrations en éléments traces dans les gonades et les tubes digestifs de l’oursin – a permis de déterminer un gradient de contamination avec des teneurs plus élevées au sud de l’ancienne mine d’amiante. Ce phénomène résulte de la migration des déchets miniers vers le Sud, entraînés par la houle et les courants marins dominants.

Cette observation souligne le rôle du milieu marin dans la diffusion et la distribution des contaminants dans l’environnement. Par conséquent, les éléments traces peuvent être largement diffusés à partir des sites sources rendant leur surveillance plus complexe.

Plusieurs études suggèrent que l’exposition à la contamination par les éléments traces peut induire une cascade d’événements qui stimulent des activités d’enzymes antioxydantes chez les oursins.

Dans le cadre de notre recherche, les activités spécifiques les plus élevées des enzymes antioxydantes ont été observées dans la zone sud de l’ancienne mine d’amiante, là où justement la contamination est la plus importante. Toutefois, aucune différence significative entre les sites n’a été mise en évidence. Ces données suggèrent que le système enzymatique antioxydant de P. lividus a protégé son organisme de manière efficace contre les dommages oxydants.

Intégrer aussi les caractéristiques de l’eau (température, acidité, oxygène, etc.)

La contamination en éléments traces varie selon les saisons, avec des concentrations généralement plus élevées en automne et en hiver et plus faibles en été. Cette variation s’explique par des changements physiologiques chez l’oursin. Lors de la production des cellules sexuelles ou gamètes (spermatozoïdes et ovocytes), un phénomène de dilution des concentrations en éléments traces est constaté dans les organes reproducteurs tandis qu’en dehors de cette période la concentration augmente.

Par ailleurs, certains éléments sont essentiels et leur concentration élevée durant la production des cellules sexuelles est considérée comme normale. C’est notamment le cas du zinc étroitement lié au processus de maturation des ovocytes ou cellules sexuelles féminines (l’ovogenèse) et dont les niveaux sont particulièrement élevés chez les femelles.

En conséquence, pour une utilisation optimale des oursins en tant que bioindicateurs, il est crucial de considérer divers facteurs dits « biotiques » et « abiotiques ». Les facteurs biotiques incluent la reproduction et le sexe des oursins qui influencent les concentrations d’éléments traces dans les gonades. Les facteurs abiotiques tels que la température de l’eau, le pH, la teneur en oxygène et la salinité influencent la biodisponibilité des polluants et la capacité des oursins à les accumuler.

Prendre également en compte d’autres bioindicateurs comme les moules et les algues

Par ailleurs, nos résultats ont démontré que les macroalgues et les tubes digestifs d’oursins bioaccumulent plus d’éléments traces que les gonades ce qui les rend particulièrement utiles pour identifier les contaminations locales. Le tube digestif des oursins, en particulier, pourrait être un outil plus précis pour les études écotoxicologiques car il présente généralement des concentrations d’éléments traces plus élevées et est moins affecté par les facteurs liés à la reproduction.

Ainsi, bien que les oursins soient d’excellents bioindicateurs, une approche intégrée avec d’autres organismes tels que des bivalves (les moules notamment) ou macroalgues permet d’obtenir une vision plus globale de la contamination dans les écosystèmes côtiers.

Ces recherches sont cruciales pour comprendre les pressions anthropiques exercées sur les écosystèmes marins et développer des stratégies de gestion environnementale efficaces visant à préserver la biodiversité ainsi que les services écosystémiques essentiels fournis par ces milieux.

À propos des autrices :
– Ouafa El Idrissi.
Enseignante chercheuse en biologie et écologie marine, Université de Corse Pascal-Paoli.
– Sonia Ternengo. Maître de conférences HDR en biologie et écologie marine, Université de Corse Pascal-Paoli.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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