Partager la publication "Maisons requin, libellule ou pomme de pin : quand la nature inspire l’architecture"
Comme les écailles d’une pomme de pin, ses parois s’ouvrent en fonction de la météo. Comme les ailes d’une libellule, sa fine toiture respire. Comme une termitière, ses puits régulent la température… Cette étrange créature doit voir le jour en 2023 sur une colline d’Arcueil, au sud de Paris. Un bâtiment de 82.000 mètres carrés composé de bureaux, de logements et lauréat du concours Inventons la Métropole du Grand Paris pour son originalité : Ecotone, c’est son nom, sera le premier grand édifice français à intégrer de manière globale le “biomimétisme”.
S’inspirer du génie de la nature pour répondre à des défis scientifiques ou techniques, voilà le principe de ce mouvement qui commence à faire bouger les lignes – de l’architecture notamment – comme en témoigne ce méga-projet.
“De nombreux domaines, l’aéronautique par exemple, s’intéressent au biomimétisme, mais l’habitat est l’un des plus concernés.”
Estelle Cruz
Ingénieure au Ceebios (Centre européen d’excellence en biomimétisme de Senlis), la jeune femme est aussi doctorante au Muséum d’histoire naturelle, deux instituts qui accompagnent le projet dans la durée.
L’idée, bien sûr, n’est pas tout à fait nouvelle. Gustave Eiffel s’était déjà inspiré du fémur, l’os le plus résistant, pour sa fameuse tour. Le catalan Gaudi a pensé sa Sagrada Familia comme une forêt. Mais le biomimétisme trouve un nouvel élan.
“Ce n’est pas une tendance, c’est une nécessité ! Avec le réchauffement climatique et 75% de la population mondiale concentrée dans des métropoles, nous devons imaginer des bâtiments plus intelligents”, explique Mathieu Boncour, directeur des relations institutionnelles à la Compagnie de Phalsbourg, promoteur du projet Ecotone.
“Le mouvement s’accélère car il existe désormais des technologies qui aident à décrypter très finement le fonctionnement du vivant mais aussi des outils, comme l’impression 3D, qui permettent de l’imiter plus facilement”, ajoute Estelle Cruz.
Pour les bâtisseurs, il ne s’agit plus seulement de se donner bonne conscience en construisant des édifices en forme de fleurs ou de scarabée. Le stade olympique de Pékin, surnommé le Nid d’oiseau pour l’enchevêtrement de ses poutres évoquant des brindilles, avait épaté la galerie mais son bilan écologique est controversé. Si le modèle favorise la ventilation, il a nécessité de grandes quantités d’acier…
En s’inspirant du vivant, le défi est aujourd’hui de réaliser de substantielles économies d’énergie. “La nature est le plus intelligent des modèles car elle sait s’adapter à la lumière, aux ressources disponibles, et transformer les déchets… Plus on s’en approche, plus on devient raisonnable”, estime Manal Rachdi, d’OXO, l’un des quatre cabinets d’architectes chargé du projet.
À 95%, Ecotone devrait donc être autonome en énergie, grâce aussi à sa couverture végétale feuillue qui protègera le bâtiment de la chaleur en été, et laissera passer le soleil en hiver. Même la propulsion aérodynamique de ses pompes à eaux s’inspire de celle d’ailerons de requin…
Un fonctionnement qui peut sembler un peu complexe. “L’expertise est de plus en plus technique mais dans le but d’une vie simplifiée et d’une plus grande frugalité”, promet Manal Rachdi. Qui assure que le prix final s’accordera à ceux du marché, et veut croire que cet édifice n’est que le premier d’une longue série.
Reste néanmoins de la marge avant de rattraper l’Allemagne, leader du biomimétisme en architecture. L’université ITKE de Stuttgart, par exemple, conçoit chaque année deux pavillons qui s’inspirent des propriétés d’un organisme vivant. “En France, le ministère de l’Environnement suit la question de près, mais en Allemagne le dossier est piloté par les ministères de l’Industrie et de la Recherche, avec plus de moyens“, souligne Estelle Cruz.
Le transfert de connaissances entre secteurs semble donc l’une des clés de la maison biomimétique. En attendant, rien n’empêche de rêver en parcourant des projets de villes entières inspirées par la nature, comme les douces utopies végétales de Luc Schuiten.
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