“Make our planet great again” : cette scientifique a quitté Santa Barbara pour Montpellier

“Make our planet great again” : c’est la formule employée par Emmanuel Macron au lendemain du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, en juin dernier.

Face à la montée du climato-scepticisme, le président français invitait alors les chercheurs américains travaillant sur le climat ou l’écologie à venir en France pour continuer leurs recherches, menacées par les coupures budgétaires de l’administration Trump.

Six mois plus tard, la promesse semble être tenue : Emmanuel Macron a dévoilé lundi 11 décembre les noms des premiers lauréats du programme, en majorité américains, lors du rassemblement TechForPlanet à la station F à Paris.
 
We Demain a rencontré Delphine Renard, l’une des 18 scientifiques choisies sur les quelque 1 822 postulants. Cette Française avait choisi de travailler aux États-Unis ; elle quitte désormais l’Amérique de Donald Trump. Lors de l’appel de Macron aux chercheurs étrangers, on a tous pensé à un coup de communication” , confie la scientifique, qui quitte son contrat postdoctoral à Santa Barbara en Californie pour un laboratoire à Montpellier.

“Mais son discours à TechForPlanet, lundi, avait l’air sincère. Il semble réellement vouloir encourager la recherche sur le climat” .

30 millions d’euros

Après une thèse en France, la chercheuse a effectué un premier contrat postdoctoral à l’Université McGill au Canada puis à Santa Barbara, en Californie. “À Santa Barbara, mon bureau était face à la mer, et j’y voyais des dauphins”, raconte-t-elle. “Je serai un peu moins bien payée qu’aux États-Unis”, ajoute Delphine Renard, avant de nuancer :

“Mais il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte : le système de santé et de retraite sont sans commune mesure. Pour ceux qui ont des enfants, la crèche coûte 1400 euros par mois. Il faut relativiser” .

“Ces collègues vont venir partager notre misère”, a déclaré à France info  Patrick Monftort, secrétaire général du Syndicat National des chercheurs scientifiques. Delphine Renard, elle, ne parle pas de misère des chercheurs français. Elle émet toutefois quelques réserves.

“Mon salaire est assuré par le programme, c’est une chance. Mais les chercheurs français ne sont pas assez payés”.

 
Le programme Make our planet great again est attractif, 30 millions d’euros ayant été débloqués pour rémunérer les chercheurs. Un budget qui provoquera une inégalité entre ces nouveaux venus et les chercheurs déjà sur place, note Delphine Renard : 

“C’est une bonne chose d’attirer les chercheurs étrangers, mais il faudrait aussi songer à rendre la France attractive pour ses propres chercheurs”.

“Des chercheurs ont peur pour leurs projets”

Fait-il bon vivre aux États-Unis lorsqu’on mène des recherches sur le climat ? “Je n’ai personnellement pas été touchée de plein fouet par le climato-scepticisme”, affirme la scientifique. Pourquoi ? En cause, le contexte politique, le milieu socioprofessionnel et la météo :

“La Californie est un état très libéral, et l’université l’est encore plus. Et il est difficile d’ignorer les conséquences du réchauffement climatique avec les incendies qui ravagent justement Santa Barbara…

 
“Mais beaucoup de chercheurs ont peur pour leurs projets. J’ai entendu beaucoup de craintes”, ajoute Delphine Renard. Outre la sortie de l’Accord de Paris, une abdication dont Donald Trump s’est dit “fier”, le président américain avait nommé à l’Agence de protection de l’environnement un climatosceptique proche des magnats du pétrole, Scott Pruit.

Le futur patron de la Nasa, Jim Bridenstine, est tout aussi défiant quant au réchauffement climatique et dépourvu de toute qualification scientifique. Enfin, la venue de deux experts américains lors d’une conférence sur les effets du changement climatique a été annulée en octobre, faisant de la censure une menace avérée.
 
Ces signes peuvent décourager. Camille Parmesan, une lauréate américaine, a déclaré à Franceinfo :

“C’est psychologiquement difficile d’avoir le chef de l’État de votre pays qui ne croit pas à la recherche que vous menez depuis 20 ans, qui la discrédite et dit que ce n’est pas réel.”

Pour la Delphine Renard, les priorités de Trump ont des conséquences funestes pour la recherche, “mais aussi pour toute la société”.

La sécurité alimentaire face aux changements climatiques

“Utiliser l’agrobiodiversité pour sécuriser une fourniture stable de nourriture en contexte de variabilité climatique” : derrière un intitulé qui peut sembler alambiqué pour le novice, le projet de Delphine renvoie à des réalités tangibles : dans certaines régions, le réchauffement climatique a pour conséquence des phénomènes météorologiques extrêmes qui fragilisent la sécurité alimentaire. Comment maintenir cette sécurité quand les pluies sont de plus en plus imprédictibles ?
 
Face à ces phénomènes, Delphine s’intéresse à la diversité des plantes cultivées, appelée agrobiodiversité : si certaines graines ne supportent pas la sécheresse, d’autres survivent. Grâce à ces différences, il devient possible de maintenir une production même dans des conditions peu favorables. C’est l’enjeu des recherches de Delphine.
 

“Si Marine Le Pen avait été élue…”

Pour cela, en travaillant sur trois terrains (France, Sénégal et Maroc), Delphine entend apporter des réponses scientifiquement valables mais aussi prendre en compte les savoirs locaux :

“Pour les agriculteurs, le réchauffement climatique n’est pas quelque chose de nouveau. Depuis des générations, ils ne sont pas restés sans rien faire, ils ont inventé des solutions. C’est pourquoi il faut travailler avec eux”.

 
Se délocaliser en France et quitter les dauphins de Santa Barbara est-il un acte politique ?

“C’est un choix plus personnel que politique, confie Delphine Renard. Mais je n’aurais jamais songé à postuler pour un poste permanent en France si Marine Le Pen avait été élue.”

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