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Méconnue, mal-aimée… pourquoi faut-il protéger la chauve-souris ?

Dès la tombée du jour, elles entament leur danse aérienne, dessinant de grands huit autour du clocher comtois de Cubry-lès-Faverney, petit village de Haute-Saône entouré de champs de céréales.

Un groupe de 223 chauves-souris a élu domicile dans les combles de l’ancienne mairie. D’après un premier comptage effectué en juillet 2019, il s’agit de la deuxième colonie la plus importante de Bourgogne-Franche-Comté. Et, bientôt, peut-être même la première.

“Un nouveau comptage aura lieu cette année en juillet”, précise Anne Tuffier, adjointe au maire de cette commune de 180 habitants. C’est elle qui a œuvré, en pleine crise sanitaire, à entériner l’arrêté préfectoral visant à sanctuariser le biotope, tandis que l’origine de la Covid-19 était imputée aux petits mammifères volants… lorsque ce n’était pas au pangolin.

À la suite de cette décision administrative, seuls quelques professionnels habilités (scientifiques, chercheurs, associations de protection) peuvent accéder aux combles. Toute autre personne tentant d’y pénétrer s’expose à des poursuites légales.

L’adjointe considère cette protection comme relevant “du bon sens”. Pour l’obtenir, elle s’est tout de même heurtée aux réticences d’une partie de la population locale.

“Même dans l’équipe municipale, un conseiller s’est abstenu, alors que la protection des chauves-souris est une obligation légale”, se souvient-elle.

Dans le village, quelques habitants proposaient de ‘les faire déguerpir avec un truc à ultrasons’.”
De quoi faire ressurgir chez l’élue de vieux souvenirs d’enfance : “Des gamins les attrapaient au vol et les clouaient aux murs par les ailes.”

Éviter l’anthropocentrisme

Pendant le confinement, une retraitée s’inquiétait quant à elle d’une potentielle contamination au Covid-19 par les quelques chauves-souris présentes dans son grenier.

La méfiance et le désamour pour l’animal viennent avant tout d’une méconnaissance à leur égard et d’idées reçues, entretenues au fil des générations. Par exemple, “les chauves-souris n’attaquent pas”, insiste Fabien Claireau. Ce chercheur consacre sa thèse aux routes de vol des chiroptères (leur nom savant), et précise qu’il n’y a aucune chance pour que des chauves-souris se prennent dans les cheveux d’un promeneur du soir.

Bien qu’il goûte peu l’approche anthropocentrée – qui revient à décrire, catégoriser et hiérarchiser les espèces selon les avantages qu’ils présentent pour l’Homme –, Fabien Claireau rappelle que les chauves-souris sont d’excellents “insecticides naturels”.

Elles se nourrissent notamment de certains insectes ravageurs et régulent leurs populations, protégeant ainsi les cultures et les forêts alentours. Lorsqu’elle chasse, une chauve-souris mange en moyenne un moustique toutes les 18 secondes, soit environ un millier de moustiques chaque nuit.

“La commune est envahi de toutes sortes de mouches, observe Anne Tuffier. Sauf aux alentours de l’ancienne mairie où les chauves-souris gîtent”.

Fabien Claireau insiste avant tout sur ce rôle dans la biodiversité, et leur importance, comme n’importe quelle autre espèce : “Elles permettent de maintenir un équilibre dans la chaîne alimentaire. Si cet équilibre n’est plus stable, cela peut avoir des conséquences sur l’ensemble de la chaîne.”

Les chauves-souris possèdent bien d’autres habiletés  remarquables. Par exemple, la salive des chauves-souris Desmodus rotundus (le vampire commun) contient une molécule, la draculine, qui permet de dissoudre les caillots sanguins. Utilisé en médecine, cet anticoagulant est particulièrement efficace pour prévenir les AVC.

Une autre espèce, présente au Mexique et aux États-Unis, pollinise l’agave bleu, la plante nécessaire à la production de la tequila. Alors qu’elle était menacée de disparition entre 1988 et 2018, les producteurs de tequila ont été contraints, pour la protéger et pérenniser leurs activités, de cesser la récolte prématurée de l’agave bleu. Sa fleur, qui ne s’ouvre que la nuit, est la principale source d’alimentation de la chauve-souris qui assure en retour sa pollinisation.

SOS chauve-souris

En France, depuis 1999, les chiroptères ont fait l’objet de trois Plans nationaux d’action (PNA), qui visent également à mieux les connaître pour améliorer leur protection.

Un réseau, SOS chauves-souris, formé en grande partie par des bénévoles, s’est même mis en place. Sébastien Cheneval, salarié au Groupe mammalogique breton, association régionale chargée de l’étude et de la protection des mammifères, en est l’un des maillons. Il reçoit de nombreux appels de particuliers qui, “confrontés” aux chauves-souris, lui demandent conseils et solutions.

En cette période de l’année, les sollicitations se multiplient : en mai, juin et juillet, les colonies de femelles se reforment pour la gestation. C’est à cette période que les chiroptères sont les plus visibles et bruyantes. Des particuliers s’en plaignent, et Sébastien Cheneval, en parlementant, tente de sensibiliser les réfractaires. “Dans les cas les plus complexes de cohabitation, nous nous déplaçons”, explique-t-il.

Comme le rappelle Fabien Claireau, couvrir le sol d’une bâche permet notamment de résoudre les problèmes de salissures. Si la cohabitation réclame parfois quelques efforts, le chercheur souligne que la présence des chauves-souris dans les habitations est une conséquence directe de la pression de l’homme sur les milieux naturels de ces dernières, “de plus en plus dégradés”.

La moitié des appels reçus par SOS Chauves-souris concernent des chauves-souris blessées. “Ce sont souvent des chauves-souris attrapées par des chats domestiques”, résume Sébastien Cheneval. Dans ce cas, les associations préconisent de placer les chauves-souris dans des boîtes en carton. Il faut s’équiper de gants épais car c’est là qu’intervient le principal risque pour l’homme : pour se défendre, la chauve-souris peut mordre. Or “elles véhiculent de nombreux pathogènes”, met tout de même en garde Fabien Claireau.

Une fois le chiroptère recueilli, SOS chauve-souris conseillera le particulier sur la marche à suivre.

Preuve que les mentalités évoluent, Sébastien Cheneval note aussi une augmentation des “appels de bonne foi”, c’est-à-dire de particuliers soucieux d’en faire plus pour préserver les mammifères volants. Des aménagements dans les toitures sont aussi possibles, en permettant une petite ouverture dans les greniers.

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