Moins cher, plus écolo : isolez votre corps plutôt que votre maison

Ces dernières décennies, le mercure s’est affolé dans nos foyers. Selon David MacKay, conseiller scientifique au ministère britannique de l’énergie, la température moyenne des logements anglais était de 13°C en hiver en 1970… Bien loin des 19°C aujourd’hui recommandés par l’ADEME, ou des 21°C préconisés par son homologue américain.

Mais le fait de regarder la télé en T-shirt en plein hiver a un coût : en France, le chauffage représente en moyenne 65 % des dépenses d’énergie domestiques. Comment réduire sa facture, même en ces temps de grand froid ? Trois méthodes s’offrent à vous. Les deux premières sont bien connues : opter pour un mode de chauffage plus efficients et une isolation plus performante. En la matière, de réels progrès ont été accomplis ces dernières années. Mais leur généralisation prendra des décennies, au rythme actuel des rénovations.

NOTRE CORPS, CETTE PETITE USINE CHAUFFÉE À 37°C

Moins souvent évoquée lorsqu’il est question d’économies d’énergie, la troisième méthode est, elle, à effet immédiat : baisser le thermostat… et enfiler davantage de vêtements. Évident ? Pas tant que cela, à en lire Kris De Decker, fondateur de Low-Tech Magazine, dans un passionnant article scientifique (en anglais). À partir de savants calculs, le journaliste nous explique comment tirer le meilleur profit (énergétique) de notre corps, cette petite usine continuellement chauffée à 37°C. 

Doté ni de plumes, ni de fourrure (et de moins en moins de poils) l’Homme n’a d’autre alternative que de porter des vêtements pour capturer cette chaleur. Sous ces derniers, l’air se réchauffe et devient un isolant. Le principe est le même que celui appliqué à nos maisons. À une différence d’échelle près : alors que l’isolation d’un bâtiment nécessite tout un arsenal de matériaux, celle de notre corps ne demande qu’une faible surface isolante.

Il existe de nombreuses unités pour mesurer l’isolation fournie par un vêtement. Celle retenue par Kris De Decker est le « clo » (pour clothes, vêtements en anglais). ». Un clo (ou 0,155 m²K/W) correspond à l’isolation offerte par un costume et une chemise, tenue permettant d’être à son aise à 21°C. Burton, qui a définit cette unité, écrivait ainsi en 1946 : « Nous avons découvert que nous pouvions expliquer à un général ou un amiral, sans passer par un cours de physique pour lequel il n’avait ni le temps, ni la patience, que son uniforme valait à peu près un clo, son manteau un deuxième clo, et que tous les deux ils lui fournissaient un total de deux clos. » Pour revenir à des tenues plus contemporaines, un T-shirt vaut environ 0,1 clo, un pantalon 0,25, et un sweat-shirt entre 0,2 et 0,4.

Un pull, 20 à 30 % de chauffage économisés

Selon les calculs de Burton, le fait de porter 0,18 clo permet de compenser une variation d’1°C. Il faut donc se vêtir de 2,7 clos pour être à son aise dans un intérieur à 10°. Sans aller jusqu’à extrémité, prenez un individu (vous ?) en T-shirt/pantalon (soit 0,55 clo), à son aise dans un intérieur à 24°C. Faites-lui enfiler un pull et, atteignant un niveau d’isolation de 1 clo, elle se contentera d’un air à 21°C. Mais surtout, elle économisera entre 20 et 30 % de chauffage ! Car, sachez-le, diminuer la température de votre logement de seulement 1°C vous permet d’économiser entre 9 et 10 % d’énergie.

Cette technique d’empilement vestimentaire a toutefois une limite : le poids. On s’explique. Pour gagner un clo, il faut s’affubler en moyenne de 3 kilos de vêtements. Ainsi, pour résister à une température 0°C sans sourcilier, il faut porter 4 clos, soit… 12 kg de vêtements. L’armée américaine, qui s’est penchée sur la question, a d’ailleurs conclu que ce poids était le maximum permettant de rester dextre et mobile.

Pour gagner en insolation sans perdre en agilité, de nouveaux tissus à la fois chauds, fins, et légers ont été conçus ces dernières décennies par l’industrie du vêtement de montagne. Cette dernière a notamment développé des sous-vêtements thermiques (caleçons longs et T-shirts). Situés au plus près de la peau, ces vêtements évitent « l’effet cheminée », c’est à dire la déperdition de l’air chaud ventilé lors des mouvements.

Oui mais qu’en est-il côté style ? Rassurez-vous, ces vêtements isolants, qui se portent sous des vêtements classiques, n’enlèveront rien à votre sex-appeal. Preuve en est, les collants thermiques sont entrés dans les moeurs outre-Atlantique, où les températures hivernales ont cessé d’être tue-la-mode depuis bien longtemps. Selon le manuel de survie de l’US Air Force, une couche de sous vêtements longs correspond à 0,6 clo, et deux couches…à 1,5 clos. Résultat, on peut se balader en costume par seulement 12,7°C, ceci sans ressembler à un mammouth laineux !

150 euros l’ensemble collants/T-shirt en mérino

Si une partie de ces sous-vêtements est fabriquée à base de dérivés du pétrole, ces isolants restent écologiques vis à vis de l’économie d’énergie qu’ils permettent. Mais à côté du synthétique, qui a tendance à salir rapidement, existe une alternative naturelle. Elle est à aller chercher du côté du mérino. Venue de Nouvelle-Zélande, cette laine à l’aspect cotonneux est beaucoup plus douce et surtout naturellement anti-bactérienne. En clair, on peut porter le même T-shirt pendant une semaine sans la moindre odeur. Certaines marques, comme Woolpower, le leader suédois du secteur, la mélangent à des fibres synthétiques pour la rendre plus résistante. Seule barrière, son prix : aux alentours de 150 euros pour un ensemble collants/T-shirt, là où son équivalent en synthétique vous en coûtera trois fois moins cher.

Kris De Decker ne nous incite bien évidemment pas à abandonner le chauffage, qui demeure une nécessité sous certaines latitudes. Seulement, il rappelle que si l’efficience énergétique de nos logements doit être une priorité à moyen terme, l’isolation de nos vêtements est de loin la méthode la plus rapide et simple, et surtout la moins chère à court terme. Concrètement, le fait de porter des sous-vêtements thermiques vous permettra de baisser le chauffage de quelques degrés ou de l’allumer plus tard dans l’année, le tout sans perdre en confort (ni en élégance). Seul problème : quand vous inviterez des amis non-initié à la science des « clo », il vous faudra leur prêter vos sous-vêtements…

Jean-Jacques Valette
Journaliste We Demain

Note de l’auteur : cet article a été rédigé en conditions réelles, sans chauffage en plein mois de février, mais avec un ensemble collant/T-shirt en mérino.

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