Planete  > “On n’atteindra probablement pas l’objectif des +1,5 °C… Mais ce n’est pas une raison pour abandonner !”

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“On n’atteindra probablement pas l’objectif des +1,5 °C… Mais ce n’est pas une raison pour abandonner !”

Très engagée dans les grèves pour le climat, dont on fête la quatrième année ce 20 août 2022, Isabelle Axelsson a l’activisme chevillé au corps.

Isabelle Axelsson
Isabelle Axelsson a l'activisme dans la peau. Crédit : Astrid de Rengervé et Carla Dominique.
Isabelle Axelsson a l'activisme dans la peau. Crédit : Astrid de Rengervé et Carla Dominique.

Isabelle Axelsson est une jeune activiste suédoise pour le climat qui a grandi à Stockholm. À seulement 21 ans (20 au moment de notre interview), elle est l’une des figures phares du mouvement Fridays For Future et des fameuses grèves pour le climat. Elle s’intéresse particulièrement à la justice climatique et, depuis plus récemment, à la lutte contre la déforestation. En parallèle de son engagement, Isabelle poursuit des études de géographie à l’université de Stockholm. Elle tente de concilier son activisme – qui lui a par exemple permis de participer au Forum économique mondial et de s’exprimer sur des plateaux télévisés – avec sa vie de jeune étudiante.

Changearth Project est une série de portraits de jeunes engagés pour la transition écologique, partout en Europe. Co-créé par deux étudiantes, Astrid et Carla, ce projet vise à mettre en lumière ces jeunes qui se mobilisent en faveur du climat et de la biodiversité, et à inspirer les autres à faire de même. Tout au long de l’été, WE DEMAIN va publier une fois par semaine l’un de ces portraits engagés.

La première fois que la jeune militante s’est intéressée à la nature, c’était au travers des célèbres documentaires de David Attenborough, qu’elle regardait enfant avec sa sœur jumelle. Cette sensibilité s’est par la suite transformée en activisme lorsque, en 2017, elle a rejoint les “climate strikes” suédoises, ces grèves pour le climat de jeunes collégiens et lycéens organisées chaque vendredi.

Grèves pour le climat : la naissance du mouvement

Greta Thunberg a été la première à faire grève devant le Parlement suédois, avant que d’autres jeunes ne la rejoignent pour manifester. Cela a démarré juste avant les élections suédoises de septembre 2018. Les activistes ont choisi de nommer le mouvement “Fridays for future” car les grèves pour le climat avaient lieu tous les vendredis, durant 7 heures d’affilée. Par la suite, le mouvement s’est peu à peu étendu en Europe et partout dans le monde.

Au fur et à mesure des marches, les jeunes sont parvenus à structurer le mouvement. Très vite, ils ont organisé de grandes manifestations au niveau international. “C’est un mouvement qui est né du bas, des jeunes…” raconte Isabelle. “Il n’y a pas vraiment de hiérarchie, puisque personne n’a de rôle spécifique au sein de Fridays For Future. Nous faisons attention à ce que chacun se sente suffisamment à sa place pour exprimer ses opinions.

Des marches organisées partout dans le monde

Isabelle a rejoint le mouvement en décembre 2018, et s’y engage depuis. Cette forme de manifestation, avec l’organisation des marches, était assez nouvelle en Suède. Elle a eu envie de les rejoindre car elle y voyait un moyen de prendre sa vie en main. “Finalement, c’était quelque chose d’assez simple de louper l’école une fois par semaine pour faire grève. Pour beaucoup de jeunes, qui vivent encore chez leurs parents et n’ont donc souvent pas de pouvoir sur leurs modes de consommation, c’était une opportunité inespérée d’agir par eux-mêmes.

Selon elle, c’est ce qui explique le succès aussi rapide du mouvement. Rien qu’en Suède, il a mobilisé plus de 50 000 personnes en 2019 (un chiffre important au regard des 10 millions d’habitants du pays). Le mouvement a ainsi fait connaître cette bataille pour le climat au grand public au niveau mondial. Les revendications globales de Fridays For Future portent sur la prise en compte de toute la science disponible sur le climat (en particulier les derniers rapports du GIEC). Les activistes réclament également le respect des Accords de Paris et une justice climatique (notamment des pays du Nord envers ceux du Sud). À Stockholm, ils ont la chance de travailler avec les scientifiques les plus reconnus sur le sujet. Ces derniers les forment grâce à des conférences et les conseillent de manière bienveillante.

Notre rencontre avec Greta Thunberg… le jour de l’anniversaire des grèves pour le climat

Lors de notre voyage en Interrail, nous sommes allées à Stockholm pour rencontrer plusieurs activistes, dont Isabelle. Par le plus beau des hasards, nous nous sommes retrouvées devant le Parlement Suédois le jour exact de l’anniversaire des climate strikes, les grèves pour le climat, le 20 août 2021. Nous avons pu échanger rapidement avec Greta Thunberg, qui participait comme toujours aux grèves qu’elle a initiées. Elle nous a étonnées par son sérieux et sa modestie. Son conseil pour quelqu’un qui souhaiterait s’engager est simple mais efficace : “N’attendez pas que quelqu’un d’autre le fasse à votre place.

Entre activisme, grèves pour le climat et vie étudiante, un équilibre pas évident

Isabelle Axelsson estime que les marches ont eu un impact positif sur sa vie personnelle. “J’ai énormément appris. J’ai repris goût à l’école et cela m’a permis d’obtenir de meilleures notes.” La jeune femme, autiste Asperger, était régulièrement contrainte de manquer l’école avant de rejoindre le mouvement, en raison de son handicap. “Bien sûr, l’autisme fait partie de moi et a un impact sur mes activités en tant qu’activiste. Par exemple en m’empêchant de faire des tâches spécifiques, comme passer certains appels téléphoniques. Mais il m’aide aussi à voir les choses d’une manière différente des autres, donc c’est une vraie force au quotidien.

Son rôle au sein de Fridays For Future implique aussi de fortes responsabilités. Isabelle participe à beaucoup de réunions pour l’organisation du mouvement et répond à des mails quotidiennement. Elle participe enfin à des interviews, surtout lors des temps forts annuels pour le climat. Néanmoins, elle essaie de conserver des temps de pause et de faire attention à elle, tout en suivant ses cours. Lorsqu’on l’interroge sur son rapport à la médiatisation : “Cela ne m’affecte pas beaucoup. Je trouve surtout ça ironique de recevoir des critiques de personnes qui pensent que le dérèglement climatique n’est pas réel.” Enfin, le militantisme lui a également permis de rencontrer ses meilleurs amis, dont Greta.

Isabelle utilise les réseaux sociaux et notamment Instagram pour partager son quotidien et son travail autour des grèves pour le climat. L’été dernier, elle s’est concentrée sur les actions pour la protection des forêts. “En Suède, c’est un vrai sujet. Nous avons encore beaucoup de forêts primaires, mais nous les remplaçons progressivement par de la monoculture et des plantations. Avant de s’occuper de ce qu’on devrait faire dans la forêt amazonienne, il faut aussi regarder ce qu’il se passe chez nous.”

Sa participation au Forum Économique Mondial

En 2020, Isabelle Axelsson a participé au Forum Économique Mondial, aux côtés d’autres activistes. Au milieu de personnalités politiques et de célébrités, elle a pu assister à des séminaires, conférences, panels et rencontrer des journalistes. “C’était assez particulier de pouvoir se mêler à ce monde-là quand on n’en a pas l’habitude. J’étais là, au milieu de toutes ces personnes influentes, en salopette au Forum économique mondial, raconte la jeune fille. D’ailleurs c’est une bonne chose je pense, il y a un certain pouvoir à ça” (rires). 

C’était une véritable chance d’avoir pu assister à un tel sommet. “Ce sont les personnes les plus puissantes de la planète qui se rassemblent pour prendre des décisions. Or, je pense qu’il faut aussi travailler au sein du système pour le faire changer.” Isabelle y a énormément appris sur le fonctionnement de la sphère politique, ainsi que sur le greenwashing dont font preuve certaines entreprises et certains leaders économiques.

Tout connaître sur le rôle d’activiste

Pour Isabelle, le plus important en tant qu’activiste est d’échanger avec d’autres personnes et de s’engager dans des mouvements existants pour les faire grandir, ou d’en créer s’il n’y en a pas encore. Mais aussi apprendre des autres et garder l’esprit ouvert. “Surtout, il ne faut pas faire quelque chose que tu as peur de faire, ou avec lequel tu ne te sens pas à l’aise, juste parce que tu penses que c’est ce qu’on attend d’un activiste. Il y a tellement de formes d’activismes différents, et on a besoin de chacune d’entre elles.” Elle nous recommande le podcast et compte Instagram Bad Activist Collective. Il aide à “relativiser le modèle du parfait activiste” et mentionne des conseils importants à connaître.

Avec sa sœur Sophia, Isabelle est également impliquée au sein de Rena Mälaren, une ONG suédoise qui effectue des actions de dépollution des lacs et de la mer Baltique. Elle apprécie le fait de se consacrer à quelque chose de très concret, car “quand on est activiste, c’est difficile de percevoir les avancées dans le changement systémique pour lequel on se bat“. 

Une vision réaliste des politiques environnementales

Plutôt qu’optimiste ou pessimiste, Isabelle Axelsson se définit comme réaliste. Elle doute du fait que les politiciens fassent ce qui serait nécessaire dans un futur proche. “Quand je regarde vers où nous nous dirigeons aujourd’hui, j’ai conscience qu’on n’atteindra probablement pas l’objectif des +1,5 °C. C’est un fait, et on doit être préparés à ça, mais cela ne veut pas dire qu’on doit abandonner. On doit se battre pour 1,6, 1,7 ou même 1,8°, et faire tout ce qui est en notre possible pour y arriver. Il y a bien un moment où le changement arrivera, et j’espère que ce sera avant qu’il ne soit trop tard“. En l’occurrence, avant de dépasser des points de bascule et des changements irréversibles.

Je suis parfois anxieuse, mais moins à propos du dérèglement climatique en tant que tel que de notre inaction. Je n’arrive pas à comprendre comment, simplement parce que nous ne voyons pas encore de conséquence directe du réchauffement climatique en Suède, nous pouvons faire comme si de rien n’était.”

Sur la Suède précisément, Isabelle réfute le cliché selon lequel le pays serait meilleur que les autres en termes de politique environnementale. Elle précise que cela cache des problèmes majeurs comme les émissions importées. En effet, le mode de vie des suédois repose majoritairement sur la consommation de biens produits à l’étranger. Mais les émissions liées à leur production et leur importation ne sont pas prises en compte dans les émissions nationales.

Un objectif “Net Zero” bien trop symbolique

Il y a aussi le problème de la biomasse, considérée comme une énergie propre : “On détruit des forêts et 80 % du bois est soit utilisé pour fabriquer des produits de court terme qui seront jetés, soit brûlé pour en faire de l’énergie. Cela émet des quantités énormes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et participe à la destruction des écosystèmes locaux.” De plus, parmi les 16 objectifs climatiques définis par le pays pour 2020, seul un a été atteint. Elle dénonce enfin l’objectif “net zero”, qui reste purement symbolique. 

Aujourd’hui, Isabelle poursuit son activisme au sein du mouvement Fridays For Future. Elle continue d’alerter sur les enjeux environnementaux en Suède, notamment en vue des prochaines élections, qui auront lieu dans un mois.

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