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Peut-on stopper et inverser la perte de biodiversité d’ici 2030 ?

La perte de biodiversité atteint des sommets historiques, menaçant un million d’espèces et notre propre survie. L’objectif de la stopper et de l’inverser d’ici 2030, fixé lors du sommet COP15, est ambitieux mais essentiel.

Le 12/01/2025 par Florence Santrot
salamandre biodiversité
À l'instar de cette salamandre, la biodiversité, qu'il s'agisse de la faune ou de la flore, est en grand danger. Agir maintenant est une nécessité. Crédit :
À l'instar de cette salamandre, la biodiversité, qu'il s'agisse de la faune ou de la flore, est en grand danger. Agir maintenant est une nécessité. Crédit :

C’était il y a un peu plus de deux ans. En décembre 2022, près de 200 pays se sont engagés à “stopper et inverser” la perte de biodiversité d’ici 2030, un objectif gravé dans le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal (CMB). Avec 23 cibles ambitieuses, ce plan vise notamment à protéger 30 % des terres et des mers, réduire de moitié l’utilisation de pesticides et réallouer 500 milliards de dollars de subventions nuisibles à la nature. Pourtant, cet accord, souvent comparé à l’Accord de Paris pour le climat, reste dépourvu de mécanismes juridiquement contraignants. Et depuis deux ans, les choses n’ont pas dramatiquement changé.

Pourtant, le défi est immense. Selon le WWF, les populations de mammifères, oiseaux, amphibiens et poissons ont chuté de 68 % entre 1970 et 2016. En Amérique latine et dans les Caraïbes, les populations animales ont même reculé de 94 %. Une catastrophe. Surtout que cette crise met également en danger les humains. Les pertes d’habitats côtiers, par exemple, augmentent les risques d’inondations pour 300 millions de personnes. L’urgence est telle que la perte de biodiversité pourrait menacer jusqu’à 44 000 milliards de dollars d’activité économique mondiale, selon le Forum économique mondial.

Pourquoi stopper la perte de biodiversité est vital

La biodiversité ne se limite pas aux espèces emblématiques comme le panda, le tigre ou l’éléphant. Elle englobe la diversité génétique des êtres vivants et les écosystèmes interconnectés qui soutiennent la vie sur Terre. Les conséquences de son déclin sont multiples : perte de pollinisateurs, appauvrissement des sols, diminution des ressources en eau potable… Autant de facteurs qui touchent directement la sécurité alimentaire et les conditions de vie humaine.

Un rapport de l’IPBES, le “GIEC de la biodiversité”, en 2019 a révélé qu’un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction. Des recherches ont également montré que 70 % des terres et 87 % des océans sont modifiés d’une manière ou d’une autre par les activités humaines. “La biodiversité n’a jamais été dans un si mauvais état et elle continue à décliner“, a souligné Neville Ash, directeur de la section biodiversité du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), le 8 octobre dernier en ouverture de la conférence de l’ONU sur la biodiversité biologique de Hyderabad (Inde). 

Plus qu’un déclin de la biodiversité, il vaut mieux parler d’effondrement à en croire Philippe Grandcolas, Directeur adjoint scientifique national pour l’écologie et l’environnement au CNRS. “Nous sommes dans un vortex d’appauvrissement des espèces”, a-t-il expliqué au Monde en novembre 2024. Déjà deux ans de perdus… mais tout n’est pas perdu.

Quels sont les leviers pour inverser la tendance ?

1. Réformer les subventions nuisibles
Chaque année, des milliards de dollars soutiennent des industries nocives pour la nature, comme les transports aériens, l’exploitation des énergies fossiles, l’agriculture intensive ou encore la surpêche. La cible 18 du CMB vise à rediriger ces fonds vers des pratiques durables. Selon Pete Smith, spécialiste des sciences du sol à l’Université d’Aberdeen, “ces réformes auraient aussi des co-bénéfices majeurs pour le climat.”

2. Protéger efficacement les écosystèmes
La cible phare du CMB est la protection de 30 % des terres et des mers. Cependant, cette mesure ne suffira pas sans une gestion durable des zones non protégées. “Certains pensent qu’il faut d’abord préserver la biodiversité là où elle est la plus menacée et d’autres ont une approche plus préventive, en insistant sur le fait qu’il faut anticiper de nouvelles pressions par exemple en Sibérie ou dans les pôles, explique Thierry Lefebvre, chargé du programme “Aires protégées” de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN). En réalité, nous avons besoin de combiner ces deux approches.”

3. Changer nos modes de consommation
La réduction de l’empreinte écologique des pays riches est indispensable. Une grande partie de la déforestation, par exemple, est liée à la demande occidentale en soja, huile de palme ou viande. Des politiques incitant à une consommation locale et responsable pourraient réduire cette pression sur les écosystèmes.

Un lien étroit avec d’autres crises

Les travaux de l’IPBES démontrent que la biodiversité ne peut être considérée indépendamment des autres crises environnementales, sanitaires ou climatiques. La perte de nature réduit la capacité des écosystèmes à séquestrer le carbone, filtre les ressources en eau et contribue à l’émergence de maladies. Par exemple, l’effondrement des populations de chauves-souris insectivores dans certains comtés américains a entraîné une explosion de l’usage d’insecticides, augmentant la mortalité infantile.

Ces relations en cascade, cet effondrement comme un jeu de domino, montrent que répondre à la crise climatique sans prendre en compte la biodiversité, comme la plantation massive d’arbres inappropriés, risque d’aggraver d’autres problèmes. Philippe Grandcolas, du CNRS, affirme qu’il est nécessaire de s’appuyer sur des solutions scientifiquement fondées.

Il appelle à un “changement transformateur” : “Cela consiste à mettre en place des solutions fondées sur la nature qui soient positives pour la biodiversité, mais aussi pour l’être humain, générant ainsi des cobénéfices. Pour chaque action, il nous faudrait prendre en compte les externalités négatives en matière d’environnement. En clair, intégrer dans chaque projet le calcul de l’impact qu’il va avoir sur l’environnement, afin d’adapter les mesures prises et d’aller vers des compromis. Par exemple, si l’on coupe une forêt pour installer un champ d’éoliennes, le bénéfice est médiocre, voire nul : on capte moins de CO2 avec moins de forêt, même si par ailleurs on produit une énergie dite ‘renouvelable’ au meilleur bilan carbone ; le compromis n’est pas adéquat.”

71 solutions existantes pour des résultats durables sur la biodiversité

Réussir à inverser la perte de biodiversité d’ici 2030 est un défi colossal. Surtout que certains milieux, comme les récifs coralliens, continueront de décliner malgré les efforts, en raison du changement climatique. Mais les scientifiques veulent garder espoir : dans son rapport “Nexus”, dévoilé en décembre 2024, l’IPBES a identifié 71 solutions potentielles. “Les deux-tiers portent sur des solutions qui sont déjà disponibles, pour lesquelles il n’y a pas besoin de nouvelles technologies et qui, pour certaines, ne coûtent pas très cher”, insiste Pamela McElwee, professeure au département d’écologie humaine à Rutgers (Etats-Unis) et coprésidente de l’évaluation. Parmi elles, l’optimisation de l’eau en agriculture, le développement d’une alimentation durable, et la restauration des mangroves ou des sols.

Ces 71 mesures stratégiques permettraient de répondre aux crises interconnectées de la biodiversité, de l’eau, de l’alimentation et de la santé. Elles soulignent l’importance de politiques coordonnées, basées sur une approche systémique et interdisciplinaire. Le rapport appelle également à une transformation de nos modèles économiques et sociaux pour intégrer pleinement les interdépendances entre la biodiversité, la santé et le climat. Il nous reste cinq ans pour agir et ainsi inverser la perte de biodiversité d’ici 2030.

Rendez-vous les 14-15 mars 2025 à l’Université de la Terre

C’est à au siège de l’Unesco à Paris que l’Université de la Terre tiendra sa vingtième édition avec pour thématique une équation – NATURE = FUTUR – et une ambition : “Réconcilier l’Humanité avec elle-même et avec le vivant”. La biodiversité sera donc au coeur des discussions dans le cadre d’un programme riche et varié avec plus de 200 intervenants répartis en 50 sessions. WE DEMAIN est partenaire de l’événement. Découvrez le programme et le formulaire d’inscription ici.

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