“Ce couple a planté 2 millions d’arbres en 20 ans pour recréer une forêt et les animaux sont de retour”, “En Éthiopie, 353 millions d’arbres plantés en 12 heures”, “À Bruxelles, pour chaque naissance, un arbre sera planté ”…
Les belles histoires de “reforestation” se multiplient. Depuis quelques mois, États, moteurs de recherche, compagnies aériennes ou simples particuliers, se mettent à planter des arbres. Et parfois par millions (les chiffres sont difficilement vérifiables), pour compenser les émissions carbone ou préserver la biodiversité.
Le reboisement est même un marché en plein essor, de “jeunes pousses” comme Reforest’Action ou EcoTree proposant par exemple à des particuliers ou des entreprises d’acheter des arbres ou de financer en ligne leur plantation. En un clic, on peut “compenser” ses derniers achats ou un voyage en avion à l’autre bout du monde.
S’il semble partir d’un bon sentiment, le phénomène interroge. Suffit-il de planter des arbres pour (re)constituer une forêt et compenser notre bilan carbone ? Le remède peut-il s’avérer pire que le mal ? Pour We Demain, Hervé Le Bouler, responsable du réseau Forêt de France Nature Environnement, fait le point.
- We Demain : Comment expliquer l’engouement actuel pour la plantation d’arbres ?
Hervé Le Bouler : La quasi-totalité des civilisations assimilent le fait de planter un arbre à un acte fort, un facteur d’émotion positive et d’unité. Les hommes politiques plantent des arbres pour commémorer un événement, nous en plantons pour célébrer la naissance d’un enfant ou marquer un deuil. Nous avons aussi les arbres de la Liberté. Aujourd’hui, je vois dans les opérations de plantation une volonté de “réparer les forêts”. Leur perte est vécue comme une destruction, la première tentation est donc, logiquement, de vouloir que tout revienne comme avant.
À lire aussi : En Thaïlande, j’ai suivi Tristan Lecomte, l’homme qui ressuscite les forêts
- Mais ces opérations de plantation massives ont-elles une réelle utilité ?
En revanche, dans certaines régions du monde, la nature se charge toute seule de planter des arbres. Mieux vaut consacrer son temps et son énergie à accompagner ce qui pousse spontanément. La zone autour de la centrale de Tchernobyl accueille aujourd’hui une biodiversité remarquable. De même, le no man’s land entre les deux Corées, où aucun homme n’a mis les pieds depuis la guerre de 1950-53, est devenue une jungle naturelle. La forêt française s’agrandit aussi de 100 000 hectares par an, dans les régions du sud et montagneuses, là où reculent les Hommes et les terres agricoles.
- Et en termes de compensation carbone, est-ce efficace ?
- Entre une plantation industrielle et une forêt, il existe une différence de taille. Quels principes doit-on respecter pour reboiser un terrain en respectant l’environnement ?
Une forêt est, effectivement, bien plus qu’un ensemble d’arbres. Il lui faut un sol, des insectes, des champignons, toute une vie que l’on appelle la biodiversité. Au XIXe siècle, les premiers directeurs de l’école forestière de Nancy conseillaient déjà d’“imiter la Nature et d’hâter son œuvre”. Toute plantation doit commencer par une analyse très fine du lieu où on se trouve.
“Tout l’art consiste à créer un milieu accueillant, où la nature peut se développer spontanément.”
Cela passe par une diversité des essences d’arbres, qui doivent être adaptées aux conditions locales, mais aussi par de la foresterie biologique. Certaines forêts abritent par exemple des nichoirs, afin d’attirer les oiseaux et lutter contre la prolifération d’insectes.
Au siècle dernier, les Français ont fait beaucoup de plantations et pas mal de bêtises. Tous les forestiers le reconnaissent. On considérait l’emplacement d’une future forêt comme un champ vide, où il fallait tout nettoyer avant de planter. Maintenant on laisse beaucoup d’humus et de branches au sol, on ne retire pas les souches. Laisser des branches et ronces par terre complique l’accès à la parcelle pour les chevreuils, et réduit donc le risque qu’ils mangent les petits arbres.
De même, bien s’occuper d’une forêt c’est réfléchir à la façon d’en faire le moins possible. Ne pas arroser, ne pas mettre d’engrais ou de pesticides. L’Homme doit juste apporter le petit coup de pouce qui va lui permettre de se débrouiller toute seule.
- À l’inverse, que faut-il à tout prix éviter de faire ?
Il faut bien faire attention à ce qu’une plantation d’arbres ne se fasse pas au détriment d’un milieu. Ce n’est pas une chose à faire dans la savane par exemple ou les tourbières et zones humides. Une prairie avec des vaches fixe aussi du carbone et possède sa propre biodiversité. De même, il n’est pas acceptable de compenser la déforestation en plantant 5 000 hectares sur des terrains où vivent déjà des personnes !
Il ne faut pas non plus passer au “tout-arbre”
La solution unique n’existe pas. D’après mon expérience, dès que nous généralisons une façon de faire, cela aboutit forcément à des erreurs. Laissons de la place à la nature dans sa diversité.
- Finalement, vous appelez à agir, mais en respectant les équilibres naturels…
Les forêts existent depuis 500 millions d’années, elles n’ont pas besoin de l’homme. Mais l’homme a besoin des forêts pour réguler l’eau, s’approvisionner en bois, en champignons… À l’avenir, il faudra donc les protéger, mais plutôt en s’appuyant sur les forces de la nature plutôt qu’en essayant de les contrôler. Nous allons fatalement faire des erreurs, car nous sommes face à un défi totalement nouveau dans l’histoire de l’humanité. Continuons notre ouvrage, mais soyons prudent, restons modeste.