Pour mieux connaître l’homme et mesurer le réchauffement, il traverse le Pacifique à la nage

À partir d’avril, pendant six mois, il sera quelque part entre Tokyo et San Francisco. Un petit point à la surface du Pacifique, suivi par un navire abritant une équipe de scientifiques. Après avoir traversé l’Atlantique à la nage sans planche en 1998, Benoît Lecomte est prêt à repartir.
 
Sa nouvelle expédition, l’athlète l’a baptisée The longest swim (“la plus longue nage”). À raison : jamais personne n’a traversé les 8 800 kilomètres qui séparent la capitale japonaise de la ville californienne… en crawl. À 49 ans, cet architecte de formation, né à Enghien-les-Bains et résidant à Austin (Texas), entend ainsi mener une expérimentation océanographique et médicale inédite à ce jour.

Après quatre ans de préparation, le “nageur fou” – il rit de cette appellation -, s’apprête à fendre les vagues du Pacifique à raison de 8 heures par jour. 1 440 heures au total pour permettre à des experts, sur Terre et sur mer, de dresser la plus vaste cartographie de l’océan à ce jour. Une fois l’expérience terminée, les douze institutions scientifiques partenaires, dont la NASA et l’Institut Océanique de Woods Hole, analyseront les échantillons collectés par l’équipage et des vidéos de quinze caméras et de drones.

Vortex de déchets plastique

Ils passeront notamment au crible le vortex de déchets plastique du Pacifique : dans le Nord-Est de cet océan, on recense, selon les chercheurs, jusqu’à un million de minuscules fragments de plastique. Quel est leur âge ? Quels sont les mécanismes chimiques qui les ont créés ? Et quel est leur impact sur l’écosystème ? “Habituellement, ces questions sont étudiées pendant des expéditions de deux semaines dans un endroit précis, pas sur six mois sur un aussi long périmètre et en filtrant vingt litres d’eau par jour”, explique Benoît Lecomte.

Le nageur va emprunter le chemin des déchets nucléaires libérés après l’accident nucléaire de Fukushima-Dai-ichi (Japon), en 2011. Grâce au “Radband”, un nouveau prototype de filtre, et à des échantillons d’eau habituels, l’équipe sera à même de prélever des données sur la position et la vitesse de déplacement (vers l’ouest) des particules radioactives, notamment du césium. Mais ce n’est pas tout : seront aussi calculés, pendant et après l’expérience, les concentrations de la mer en phytoplancton géant, les propriétés physiques et chimiques de l’Océan Pacifique, ses courants, la force de ses vents…

Évolution du corps dans des conditions extrêmes

Ce périple doit aussi servir à en apprendre davantage sur l’évolution du corps dans des conditions aussi extrêmes. Car pendant ces six mois, Benoît Lecomte sera muni d’un capteur électrocardiogramme (en plus du Radband, d’un bracelet anti-requin, de sa combinaison, de ses palmes, tuba, lunettes et bonnet).

“Mon appareil enverra des données sur satellite. C’est le même système d’échocardiographie à distance que la NASA utilise pour surveiller les astronautes en apesanteur dans la station spatiale internationale. Les données seront récupérées par le docteur Levine et son équipe à Dallas, au Texas, qui suivront l’évolution de mon coeur pour voir si trop d’exercice peut présenter un risque de lésion”, décrit le futur cobaye de la science.

Et de poursuivre :
 

“Ce sera aussi l’occasion de voir si tous ces mois passés allongé des heures durant dans l’eau, avec la pression des lunettes, modifieront mon acuité visuelle, ou encore si comme les astronautes, je perds du calcium dans les os.”

Héritage et convictions environnementales

Comment en vient-on à prendre autant de risques ? “Je veux attirer l’attention”, affirme Benoît Lecomte. À l’écouter, moins par sentiment narcissique que par héritage, et convictions environnementales. Un père ingénieur en horticulture, qui l’a initié à la nature, “aux plantes, aux arbres et à la mer”, décédé prématurément à l’âge de 49 ans :“Il voulait faire plein de choses, cela m’a mis un sacré coup de pied au derrière”. Et puis la passion de la nage en “eaux vives, loin des espaces contrôlés des piscines” et l’observation qu’au fil des ans, ces dernières se remplissaient de plus en plus de plastique.

D’où l’interrogation, après la naissance de ses enfants (une fille et un garçon aujourd’hui âgés de 16 ans et 10 ans) :
 

“Quelle nature je leur laisse ? Faudra-t-il, dans quelques années, que je leur montre des vidéos ou des livres pour leur expliquer ce qu’a été un dauphin ?”

Pas question. Surtout pas maintenant que “Trump, qui nie le réchauffement climatique, est au pouvoir” et que “nous devons plus que jamais passer cette étape ridicule où il s’agit, à nouveau de prouver que non, ce n’est pas une invention”.

Un corps en auto-pilote et “l’esprit à 1 000 km de là”

C’est aussi un besoin personnel qui habite le père de famille : “Je ne suis pas le meilleur athlète, mais l’aventure m’importe. Je veux trouver un équilibre dans l’aventure.” Quand il nage, explique-t-il, il est “dans une bulle de plaisir, faite de moments apaisants et d’autres si intenses que le coeur explose”. Une bulle où “rien n’est contrôlé, tout se passe au naturel, à la merci des éléments”.

Pour s’y préparer, en plus des sessions hebdomadaires de trois heures de course à pied, de vélo et nage, ainsi qu’une alimentation faible en glucides, Benoît Lecomte renforce surtout “le mental”. Notamment, en acquérant d’exceptionnelles capacités de contrôle de son esprit, qui lui permettront de transformer chaque heure de natation en une séance de méditation à part entière. La première de la journée, il la passera à se remémorer “avec tous les sens que cela induit”, une scène de vie avec son père. La seconde, il s’imaginera concevoir un building ou une extension de A à Z. Il pourra aussi chercher une solution à un problème soulevé par l’équipage, ou encore s’imaginer les contours d’une ville qu’il n’a encore jamais visitée.
 

“Toutes les demi-heures, l’équipe me donnera des liquides à boire ou à manger, il y aura des vagues… Je devrai donc quand même vivre dans le moment, même si, à un rythme régulier de 6 km/h, mon corps sera en auto-pilote et mon esprit à 1 000 km de là”, précise-t-il.

 

En attendant début avril, il tente surtout de ne pas se blesser. Et de promouvoir un projet, qui, il en est sûr, va entrer dans l’histoire.

Dès avril, grâce à un GPS et des tracker, le public pourra suivre l’avancée de Ben et ses performances dans l’océan tous les jours sur une carte interactive. Les conditions météorologiques y seront également visibles.

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