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Restrictions de licences, coupures d’eau… l’Espagne durcit le ton contre les locations touristiques

En Espagne, le surtourisme, et ses effets désastreux, fait de plus en plus grincer des dents. Alors qu’on soupçonne qu’un appartement sur trois est exploité illégalement à des fins touristiques à Séville, le maire José Luis Sanz vient d’annoncer sa volonté de couper l’eau aux logements en état d’irrégularité. 5 000 appartements et maisons seraient concernés dans un premier temps. “Nous agissons avec une tolérance zéro envers les appartements touristiques loués de manière irrégulière. Il faut davantage de contrôles et plus de sévérité, après des années pendant lesquelles les politiciens municipaux ont fermé les yeux”, a-t-il déclaré. La ville, cependant, continue à délivrer de nouveaux permis pour les locations touristiques…

Ce phénomène, lié aux plateformes comme Booking.com, Abritel et Airbnb, est très répandu en Espagne. À Valence, la réglementation relative aux logements à usage touristique vient d’être modifiée afin de lutter contre les dérapages. Tout logement à usage touristique doit désormais disposer d’un permis en bonne et dû forme, renouvelable tous les cinq ans, sous peine d’une amende allant de 100 000 à 600 000 euros. Une nécessité : il y aurait quelque 105 000 logements à usage touristique à Valence et alentours.

Une flambée des prix de l’immobilier en raison des locations touristiques

Barcelone, Madrid, Valence, Séville, Málaga… sous la pression des habitants, les grandes villes d’Espagne mettent peu à peu en place des restrictions. Car, outre la présence des touristes et les désagréments associés, le surtourisme crée de réelles tensions sur le marché immobilier. Par exemple, à Valence, le nombre d’hébergements à usage touristique a bondi de 160 % depuis 2015, selon le ministère de l’Innovation, de l’Industrie, du Commerce et du Tourisme. La Communauté valencienne vient même d’annoncer début août un record de fréquentation avec 5,3 millions de touristes internationaux au premier semestre 2024. C’est 19,9 % de plus que la même période de 2023.

Résultat : les prix de l’immobilier ont flambé, obligeant les habitants à quitter le centre-ville pour des communes limitrophes. Le réseau d’associations de quartiers Entrebarris dénonce d’ailleurs l’arrivée de fonds vautours dédiés à la spéculation immobilière. Il exige une législation renforcée afin de conserver ce qu’elle appelle une “ville des voisins”. Selon ses préconisations, les activités économiques liées à l’hébergement touristique seraient fortement encadrées et limitées afin de préserver un environnement résidentiel habitable. Par exemple, la location de tourisme pourrait être autorisée uniquement durant certaines périodes de l’année.

À Barcelone, les tensions entre habitants et touristes se multiplient. À l’image de cet autocollant apposé un banc dans la ville en juillet 2024. Crédit : marktucan / iStock.

Face à un tourisme hors de contrôle, Barcelone dit stop

Selon le ministère du Tourisme espagnol, près de 41 millions de touristes internationaux devraient déambuler dans les rues et sur les plages du pays durant la saison estivale. En hausse de 13 % par rapport à l’été 2023, c’est un nouveau record. Et le bilan annuel devrait lui aussi bondir, dépassant largement les 85,1 millions de visiteurs étrangers accueillis l’an passé, principalement britanniques, français et allemands. C’est certes une bonne nouvelle sur le plan économique : les recettes touristiques s’envolent elles aussi avec 59 milliards d’euros attendus cet été, en hausse de 22 %.

Mais la manne financière – qui devrait peser pour 13,2 % du PIB espagnol en 2024 selon Exceltur – n’est pas sans désagréments. Les manifestations se multiplient pour dénoncer la surfréquentation, la pollution, les problèmes de consommation d’eau ou encore la congestion des infrastructures de transport. Pour Barcelone, un point de non retour semble même avoir été atteint. La capitale catalane a annoncé en juin dernier vouloir mettre un terme à la location d’appartements touristiques d’ici à 2029.

Dans cette optique, le maire Jaume Collboni a révélé qu’aucune nouvelle licence de location touristique ne serait accordée. Les permis actuels ne seront pas renouvelés ces prochaines années, les dernières licences devraient donc expirer en novembre 2028. Cela “nous permettra de remettre 10 000 logements sur le marché de la location ou de la vente”, a expliqué le maire socialiste de Barcelone lors d’une conférence de presse. Il faut dire que le prix des loyers a explosé (+68 %) au cours des dix dernières années dans la capitale catalane.

En France aussi, les locations touristiques sont sous surveillance

Un exemple qui pourrait en inspirer d’autres, partout dans le monde. Barcelone n’est pas une exception. Des restrictions ont déjà été mises en place à New York, par exemple. En France aussi, première destination touristique mondiale avec 100 millions de visiteurs étrangers par an, la législation se durcit peu à peu pour lutter contre le tourisme de masse. La Ville de Paris a renforcé ces dernières années son arsenal juridique vis-à-vis des locations meublées touristiques de courte durée.

Ainsi, certains quartiers très prisés sont désormais soumis à des obligations de compensation “très renforcées”. En outre, seules les résidences principales peuvent être louées librement 120 jours par an maximum. Et des contrôles ont été accentués sur les transformations de locaux commerciaux en meublés touristiques. Des mesures qui portent peu à peu leurs fruits :  l’Observatoire des meublés touristiques à Paris dénombrait 43 000 annonces déclarées de locations de meublés touristiques à l’automne 2022, contre 50 000 en 2020. Mais la capitale n’est pas la seule concernée.

En Haute-Savoie, à Annecy, l’été est aussi source de tensions. Les habitants dénoncent de plus en plus fortement l’afflux massif de touristes. On compte en effet 3 millions de “visiteurs” par an pour seulement 215 000 habitants dans l’agglomération du Grand Annecy. Quelque 8.500 logements seraient dédiés uniquement au tourisme autour du lac. Des quotas ont été instaurés un temps mais le tribunal administratif a suspendu cette décision courant 2023. Depuis, les habitants, qui dénoncent une “disneylandisation” de la vieille ville, attendent avec impatience un jugement sur le fond.

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